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Paragraphe 1. Les excès de l'adoption filiative au sein de la parenté

B. Adoption et famille élargie

179 - Analyse des législations malienne et sénégalaise. En l’absence de toute disposition prohibitive dans les législations malienne et sénégalaise, les membres de la famille élargie277

doivent être considérés comme des adoptants potentiels de l’enfant issu de la parenté. Or, l’admission d’une adoption créatrice de liens de filiation entre les membres de la famille est de nature à bouleverser les structures de la parenté ou l’ordre des générations. La mise en œuvre d’une telle adoption conduit à créer un véritable rapport de filiation entre individus qui n’a pas lieu d’être.

180 - Une adoption révélatrice de paradoxes. L’adoption d’un enfant par un membre de sa famille élargie, est un phénomène de mœurs au Mali et au Sénégal. Symbole de la solidarité entre membres d’une même famille élargie, cette forme d’adoption a le mérite de favoriser une certaine continuité de la vie de l’enfant au sein de sa famille par le sang. Cette continuité produit néanmoins un ébranlement des liens de parenté à partir du moment où cette forme d’adoption crée un nouveau lien de filiation entre l’enfant et son parent non biologique qui envisage de l’adopter. En effet, bon nombre de liens de parenté biologique s’en trouveraient

274 Civ. 15 mai 1986. D. 1986. p. 494. note MASSIP (J.)

275 Pau, 21 avr. 1983. D. 1984. p. 109. HAUSER (J.).

276 On sait qu'avant cette loi les juridictions prononçaient parfois l'adoption simple à la place de l'adoption plénière demandée, civ. 17 mars 1989. D. 1990. IR 93, mais considéraient parfois que le maintien de liens avec la famille par le sang constituait une circonstance exceptionnelle au sens de l'article 371-4 alinéa 2 du Code civil. Chambéry le 20 février 1992, Juris-data 048803.

déconstruits et reconstruits sur le plan légal au travers la création d’une filiation adoptive qui viendrait bousculer l’ordre des généalogies ou les repères identitaires de l’enfant278

. Cette forme d’adoption révèle donc une antinomie : symptôme ou expression d’une solidarité familiale, elle est aussi source d’un certain bouleversement familial.

181 - Expression d’une solidarité familiale. En Afrique, en général, et au Mali et au

Sénégal, en particulier, l’adoption se conçoit bien à l’intérieur de la famille élargie après le décès d’un ou des auteurs de l’adopté ou même de leur vivant en cas de défaillance ou non. La demande d’adoption présentée par un membre de la famille repose sur une sorte de solidarité familiale. Par hypothèse proches du mineur et de ses père et mère, les membres de la famille élargie sont naturellement appelés à nouer des liens particuliers avec l’enfant. Ce dernier demeure ainsi dans son milieu familial, à défaut de son foyer initial, et peut continuer à entretenir des liens, fussent-ils ténus, avec ses parents biologiques lorsque ceux-ci sont vivants. Les membres de la famille élargie se présentent donc comme les « continuateurs naturels » de la fonction dévolue aux père et mère de l’enfant, de sorte qu’il est logique de maintenir l’enfant dans sa famille élargie si cette solution est possible, plutôt que de l’en détacher en vue, notamment, d’une adoption « à la française ». En revanche, le paradoxe apparaît toutes les fois qu’un proche parent de l’enfant sollicite devant le tribunal la transformation du lien nourricier qui le lie à l’enfant, en un rapport de filiation. C’est à partir de là que cette forme d’adoption semble relever d’une incongruité car la superposition du nouveau lien au lien de parenté préexistant nous paraît surabondante et inopportune.

182 - Une source de bouleversement familial. L’adoption doit, avant tout, créer de la filiation respectueuse de la différence des générations; or, l’adoptabilité de l’enfant issu de la parenté sous sa forme limitée ou plénière méconnaît cet objectif. En faisant l’impasse sur une telle différence, l’adoption entre proches parents dénature l’institution de l’adoption et porte atteinte à la cohérence même de la famille279

. Pire, la création du nouveau lien de filiation ne peut qu’apporter confusion et trouble dans l’esprit de l’enfant adopté par un membre de sa famille. Regrettant l’existence de cette forme d’adoption en France, le Professeur MURAT a noté, avec raison, que l’adoption entre frère et sœur « perturbe fortement les structures

278 La filiation adoptive née de l’adoption d’un enfant par un membre de sa famille élargie peut créer chez l’enfant un sentiment de confusion quant au lien qui se tisse désormais non seulement entre lui et ses "nouveaux parents", mais aussi entre lui et ses "anciens parents": la grand-mère, la tante, la cousine de la mère ou la demi-sœur de l’enfant peuvent ainsi devenir sa mère.

279 L’adoption entre proches parents perturbe la problématique même de l’identité de l’enfant. Cf., en ce sens, BATTEUR (A), L’interdit de l’inceste – Principe fondateur du droit de la famille, RTD. Civ. 2000, p. 774.

familiales, le rapport fraternel se trouvant changé en un rapport de parent-enfant »280

et que l’adoption, même simple, « ne peut être réduite à un instrument de répartition successorale :

c’est une institution créatrice d’un lien de filiation »281

.

183 - Hypothèses de bouleversement des principes de la parenté. L’adoption entre les membres d’une même famille bouleverse incontestablement les principes de l’institution de la parenté. Pour preuve, le cumul sur la tête des mêmes personnes de plusieurs identités généalogiques engendre des effets d’indifférenciation en chaîne. A titre d’illustration, l’adoption d’un enfant par ses grands-parents fait du petit-fils le fils mais aussi, de la mère la sœur de son fils282

. A cet égard, le Professeur GOUTTENOIRE a fait remarquer qu' en France " la jurisprudence fait preuve d'une certaine réticence à l'égard de ces adoptions qui provoquent un bouleversement familial, en faisant notamment d'un enfant adopté par ses grands-parents, le frère ou la sœur de l'un de ses parents, particulièrement lorsque ces

derniers sont vivants "283. Cette hypothèse demeure possible même si on ne retrouve aucune indication dans les législations malienne et sénégalaise concernant l’admissibilité d’une adoption par un grand-parent. Concernant cette dernière, le Professeur RUBELLIN-DEVICHI a justement souligné que l’adoption d’un enfant par ses grands-parents est « troublante parce

qu’elle supprime un degré dans les générations »284

. Pareillement, la sœur adoptant son frère, quand bien même l’a-t-elle élevé, en devient la mère tout en restant la sœur à l’égard des autres frères et sœurs285. De plus, il ne faut pas oublier que l’enfant n’est pas le seul intéressé à la construction de la parenté dont il est membre. Son inscription généalogique et les transformations que l’adoption lui apporte, affectent la place des autres membres de la

280 MURAT (P.), note sous PARIS, 10 février 1998, Dr. fam., 1998, comm. n° 83.

281 MURAT (P.), note sous Civ. 1ère, 16 octobre 2001, Dr. fam., 2002, comm. n° 41.

282 CA Lyon, 18 octobre 1983, RTD civ., 1984, p. 309, obs. Roger Nerson et Jacqueline Rubellin-Devichi ; Cass. 1ère civ., 16 octobre 2001, Juris-Data n° 2001-011281 ; Dr. fam., avril 2002, com. N° 41, p. 18, note Pierre Murat « L’adoption simple et ses petits-enfants à des fins successorales » ; D., 2002, n° 13, jur., p. 1097, note François Boulanger « Le rejet de la requête d’adoption simple de petits-enfants par leur grand-mère » ; RTD civ., 2002, p. 84, note Jean Hauser, « L’esprit de l’adoption simple : de l’adoption intra-familiale et du PACS » ; Petites Aff., 28 février 2002, n° 43, p. 21, note Jacques Massip, « Adoption par les grands-parents : Détournement de l’institution ».

283 COURBE (P.) et GOUTTENOIRE (A.) - Droit de la famille, 6ème éd. Dalloz, op. cit., p. 455, n° 1219. V. Civ. 1ère, 6 mars 2013, n° 12-17.183, AJ Fam. 2013,. 229, obs. SALVAGE-GEREST (P.). V., sur la même affaire, BONFILS (PH.) et GOUTTENOIRE (A.) - Droit des mineurs, 2ème éd. Dalloz, 2014, p. 276, n° 426.

284 RUBELLIN-DEVICHI (J.), Une filiation élective, Revue Autrement, « Abandon et Adoption », 1988, n° 96, p. 109.

285 CA Paris, 10 février 1998, Juris-Data n° 1998-020403 ; JCP éd. G., 1998, II, 10130, p. 1431, note Catherine Philippe « Adoption d’un frère par sa sœur malgré la différence d’âge inférieure à quinze ans » ; Dr. fam., juin 1998, com. N° 83, p. 14, note Pierre Murat « Adoption entre frère et sœur ».

famille286. L’artifice de la filiation adoptive bute dans ce cas sur le principe de l’ordre des généalogies.

184 - Une prudence observée par les juges français. A propos justement de la préservation

de ce principe d’ordre généalogique, en France, les cours d’appel ont souvent été prudentes face aux demandes d’adoption formulées par les grands-parents, lorsqu’elles refusent, par exemple, de supprimer une place au bénéfice d’une autre susceptible d’entraîner une confusion de générations287. En effet, l’adoption plénière pratiquée au sein de la famille aboutit à une situation paradoxale. Comme on le sait, l’adopté cesse d’appartenir à sa famille d’origine pour être intégré totalement dans sa famille adoptive. Dans notre hypothèse, l’adopté rompt donc avec sa famille d’origine pour la réintégrer immédiatement, mais avec une modification des rapports de parenté288

. Dès lors, « l’instauration de ces rapports juridiques nouveaux dans un milieu familial inchangé, risque d’engendrer complications et

conflits »289

; il en résulte en outre une perte d’identité pour l’enfant.

185 - Perspectives de solutions. Différentes solutions pourraient toutefois être envisagées à

titre de remèdes à ces excès de l'adoption filiative intrafamiliale.