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Chapitre 6 : Discussion générale

6.1 Avancements et contributions

6.1.1 Sollicitation de la voie corticospinale lors d’une tâche de précision à la marche

Les études 1 et 2 ont montré qu’une tâche de précision à la marche permettait d’augmenter l’excitabilité corticospinale comparée à une tâche de marche simple, à la fois chez des participants sains et des participants avec une LMi. Ces résultats permettent de mieux caractériser les mécanismes neurophysiologiques qui sous-tendent la réalisation d’une tâche locomotrice impliquant davantage de contrôle volontaire chez l’humain, et plus précisément concernant le rôle de la voie corticospinale. Les résultats obtenus sont en accord avec des études précédentes qui rapportent aussi une augmentation de l’excitabilité corticospinale lors d’une tâche de marche

plus challengeante comme marcher en présence d’un champ de force chez l’humain (Bonnard et

al., 2002; Barthelemy et al., 2012). Cela concorde aussi avec la littérature animale qui suggère que

M1 a un rôle important lors d’une marche qui requiert de la précision, telle que marcher sur une échelle ou enjamber un obstacle (Drew, 1988; Beloozerova & Sirota, 1993; Lavoie & Drew, 2002). À notre connaissance, seulement une étude a mesuré l’excitabilité corticospinale avant et après une tâche de précision à la marche réalisée sous forme d’entrainement à la suite d’une LMi (Zewdie et al., 2015). Les résultats ont mesuré une augmentation de 20% de l’excitabilité, 2 mois après l’entrainement. Bien que ces résultats rejoignent nos conclusions, étant donné que la mesure n’a pas été effectué directement pendant la tâche, la comparaison demeure difficile. Toutefois, leurs résultats suggèrent que l’augmentation du contrôle volontaire à la marche amène des changements qui perdurent plusieurs mois suite à l’entrainement, ce qui est très important pour une réadaptation fonctionnelle efficace.

Les résultats obtenus dans cette thèse permettent aussi de montrer l’existence d’une réserve corticospinale chez des individus ayant une LMi. Dans le contexte de nos études, nous pouvons définir cette réserve comme étant la capacité du SNC à recruter davantage les circuits impliqués en fonction d’une tâche donnée. Cette notion de réserve a une importance non négligeable dans les programmes de ré-entrainement à la marche à la suite d’une LMi. En effet, tel que mentionné dans l’introduction, des approches thérapeutiques impliquant davantage le contrôle volontaire de la marche, et plus particulièrement la voie corticospinale ont émergé ces dernières années pour les individus ayant une LMi (Musselman et al., 2009; Yang et al., 2014a; Christiansen & Perez, 2018; Martinez et al., 2018). Basées sur la littérature, ces approches utilisent des tâches de marche plus challengeantes afin de solliciter davantage la voie corticospinale. Étant donné qu’aucune étude n’avait, jusqu’à présent, mesuré l’excitabilité corticospinale lors de ces tâches à la suite d’une LM, on peut donc se questionner sur ce qu’il se passe si les circuits du SNC sont déjà saturés lors la marche simple, c’est-à-dire si aucune réserve n’est disponible. En effet, considérant les conséquences importantes d’une LM sur le contrôle de la marche (van Hedel et

al., 2005), il est possible qu’une marche simple recrute déjà tous les circuits disponibles pour

effectuer le mouvement. Dans l’étude 2, nous avons démontré que l’excitabilité corticospinale est augmentée lors de la marche simple par rapport à celle mesurée en position assise, et encore plus augmentée lors de la marche de précision chez des individus avec une LMi. Ces résultats

montrent donc qu’il existe bien une réserve corticospinale disponible et que celle-ci est modulable dépendamment de la tâche à effectuer.

Bien qu’il ait été montré qu’une augmentation de l’excitabilité corticospinale était possible chez des participants sains et des individus avec une LMi, une différence importante a été mesurée entre ces deux groupes. En effet, l’augmentation lors de la marche de précision chez les sujets sains qui est de 93 +/- 72%, est plus grande que chez les participants avec LMi pour qui elle est de 45.0 ± 49.6% (test de Wilcoxon; p=0.043; résultat non publié). Cela peut s’expliquer par les conséquences directes de la lésion impliquant une importante réorganisation corticale et spinale comme expliqué dans l’introduction. Dans ce cas, il est probable qu’il soit plus difficile de stimuler davantage les circuits endommagés. De plus, il a aussi été montré que la marche simple était plus exigeante pour des participants avec une LMi que pour des sujets sains (Lajoie et al., 1999; Srisim et al., 2017). Il est donc possible, dans ce cas, que moins de réserve soit disponible pour les individus avec une LMi, et ainsi limite l’augmentation de l’excitabilité.

Une autre différence importante entre les 2 groupes concerne la performance des participants mesurée lors de la tâche de précision. Le score de réussite moyen pour les participants sains était de 88.7 ± 7.7% avec un intervalle allant de 70.6 à 97.2%, contre 94.2 ± 5.5 % avec un intervalle allant de 83.3 à 100% pour les individus ayant une LMi (p=0.016). Cette différence pourrait s’expliquer par le fait que la vitesse de marche pour effectuer la tâche de précision était imposée pour les participants sains, tandis que la vitesse confortable était utilisée pour les individus ayant une LMi. Il est donc probable que les individus avec une LMi aient privilégié une vitesse de marche plus lente pour être sûr de pouvoir effectuer la tâche de précision, leur permettant au final d’avoir un plus haut score de réussite que les participants sains. Concernant le lien avec l’augmentation de l’excitabilité, dans l’étude 1, une corrélation a été mesurée entre la performance de chaque participant et l’augmentation de l’excitabilité lors de la marche de précision. Dans ce cas, considérant que le score de réussite est très élevé chez le groupe avec une LMi et que l’intervalle de confiance à 95% est plus rapproché, il est possible que cela explique, du moins en partie, la différence d’augmentation d’excitabilité entre les 2 groupes.

Concernant l’origine de l’augmentation de l’excitabilité corticospinale entre la marche de précision et la marche simple, différentes possibilités sont à considérer. En effet, nous avons montré que la performance semble avoir un effet chez les sujets sains pour qui une plus grande

augmentation de l’excitabilité corticospinale a été observée chez les participants qui ont un score de réussite plus bas. Il donc est possible que les participants avec une meilleure performance aient eu besoin de moins solliciter leur réserve corticospinale, contrairement aux participants avec une moins bonne performance. En revanche, aucune corrélation n’a été mesurée entre ces variables chez les individus avec une LMi. Comme mentionné plus haut, étant donné que les scores de réussite sont très élevés pour ce groupe (proche de 100%), il est possible que cela limite les effets sur la modulation de l’excitabilité et l’utilisation de la réserve.

Dans les études 1 et 2, un effet d’apprentissage lors de la tâche de précision, avec un score de réussite plus élevé à la fin qu’au début, a également été démontré. Nous avons aussi observé une différence entre les 10 premiers et les 10 derniers MEPs lors de cette tâche. Dans ce cas, il est possible que l’effet d’apprentissage intra-session ait influencé l’excitabilité corticospinale comme il a été montré dans de précédentes études (Rosenkranz et al., 2007; Bagce et al., 2013). Il est toutefois important de mentionner que malgré cet effet d’apprentissage, les 10 derniers MEPs mesurés lors de la marche de précision sont restés plus élevés que les MEPs mesurés lors de la marche simple. Basé sur ces résultats, il est donc fort probable que l’augmentation d’excitabilité ait été maintenue pendant toute la durée de la tâche. Ceci suggère que la tâche de précision demeure efficace après l’effet initial et malgré l’apprentissage intra-session, ce qui est important pour le développement de ce type de méthode d’entrainement en réadaptation. En effet, toujours dans un but de favoriser la plasticité adaptative, il est important que l’excitabilité corticospinale reste élevée tout au long d’une session d’un entrainement locomoteur visant à solliciter le contrôle volontaire.

Dans l’étude 1, nous avons aussi mesuré les scores de réussites du groupe en fonction des différents changements de longueur de pas demandés. Les résultats montrent que le score de réussite du groupe est plus bas lorsqu’il s’agit d’effectuer des plus petits pas (80%) (Hoogkamer

et al., 2015; Haarman et al., 2017), mais aucune différence n’a été trouvée entre les MEPs mesurés

lors d’un pas à 80% et ceux mesurés lors des pas à 100 et 120%. Ce résultat est assez surprenant considérant que l’étude de Hookgmaer et al., (2015) a rapporté que la stratégie pour effectuer des plus petits pas implique des changements rapides et challenge l’équilibre. Dans notre étude, étant donné que les longueurs de pas à effectuer étaient pseudo-randomisées, il se peut que cela ait limité notre capacité à discriminer spécifiquement chaque longueur de pas en lien avec l’excitabilité corticospinale.

Une autre variable pouvant avoir un effet sur l’excitabilité corticospinale concerne le retour visuel prodigué par l’environnement virtuel lors de la tâche de précision. Dans l’étude 1, un contrôle visuel a été réalisé, en plus des 2 tâches de marche, afin de vérifier cet effet. Des MEPs ont été mesurés lorsque les participants marchaient sur le tapis roulant avec un retour visuel semblable à celui de la tâche de précision mais sans aucune adaptation locomotrice à réaliser. Les résultats (non inclus dans la thèse) n’ont montré aucune différence significative pour la taille des MEPs mesurés lors du contrôle visuel et ceux mesurés lors de la marche simple (p=0.87), suggérant que la stimulation visuelle ne représente pas la source de modulation des MEPs.

Enfin, dans l’étude 2, des variables qui caractérisent les individus ayant une LMi et pouvant avoir un effet sur l’excitabilité telles que le niveau de douleur et la vitesse de marche ont aussi été prises en compte (Dijkers et al., 2009; van Hedel & Group, 2009; Billot et al., 2018). En revanche, aucune corrélation n’a été mesurée entre l’augmentation de l’excitabilité et ces variables.

Enfin, un dernier point important dans cette partie de discussion concerne les structures et mécanismes impliqués dans l’augmentation de l’excitabilité corticospinale lors de la marche de précision. Le but de la thèse était de mettre au point une tâche de marche capable de favoriser davantage l’utilisation du contrôle volontaire. Étant donné que M1 reçoit de nombreuses afférences de différentes structures (Figure 6.1), et considérant qu’il apparait comme étant le point de convergence de ces afférences dans le contrôle descendant (Purves et al., 2001), la stimulation a été effectuée au niveau de cette structure. Concernant son implication dans la tâche de précision, il est bien connu qu’il participe au contrôle des mouvements fins et à l’exécution du mouvement lors d’une modification volontaire de la marche (Beloozerova & Sirota, 1993; Drew et al., 1996). Il parait donc évident que celui-ci participe activement lors la tâche de précision. Considérant l’influence du PPC sur M1 et son rôle dans la planification du mouvement lors d’une tâche qui requiert la vision afin de se déplacer (Drew & Marigold, 2015), il se peut aussi qu’il soit impliqué dans la tâche de précision. De plus, dû à son rôle dans la coordination du mouvement, à l’adaptation du patron locomoteur, ainsi que dans l’apprentissage moteur (Thach, 1998; Ito, 2000; Morton & Bastian, 2004), il est fort possible que le cervelet soit également impliqué. Une autre structure qui influence M1 et qui peut être activée lors de la tâche est le cortex somatosensoriel primaire. En effet, celui-ci reçoit des informations du retour sensoriel cutané et proprioceptif, et il a été montré que ces afférences sensorielles étaient notamment impliquées dans des tâches de marche plus challengeantes afin de guider les jambes

lors du mouvement (Malik et al., 2017; Pearcey & Zehr, 2019). D’autres structures telles que les ganglions de la base et le cortex pré-moteur influencent aussi M1, toutefois, leur possible rôle dans une tâche de marche de précision reste encore à éclaircir (Drew & Marigold, 2015). Un autre point important concerne le rôle de la charge cognitive dans la modulation des MEPs. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une tâche cognitive, la transformation visuomotrice impliquée ainsi que l’attention exigée lors de la marche de précision pourraient participer à augmenter l’excitabilité corticospinale (Koenraadt et al., 2014). Enfin, il est connu que la TMS effectuée au niveau du M1 peut activer les structures sous-corticales et spinales (Petersen et al., 1998; Petersen et al., 2001; Fisher et al., 2012). Considérant leur rôle important dans le contrôle de la marche (Nielsen, 2003; Drew et al., 2004), il se peut que ces structures soient aussi impliquées dans la tâche, plus particulièrement pour initier la marche et générer la rythmicité des mouvements, et aient ainsi participé à l’augmentation de l’excitabilité corticospinale.

Figure 6.1. Structures impliquées dans la planification et l’exécution du mouvement.

Figure adaptée de Drew et Marigold (Drew & Marigold, 2015). Le cortex moteur primaire (en vert) est la principale cible de notre étude. Les structures pouvant aussi être impliquées dans la tâche de précision à la marche sont représentées en gras.

En conclusion, cette thèse démontre que le fait de réaliser la tâche de précision suffit à augmenter l’excitabilité corticospinale chez des sujets en santé et des individus avec une LMi. Des facteurs, tels que la performance ou un effet d’apprentissage pendant la tâche, peuvent toutefois moduler cette augmentation. Il est aussi important de mentionner qu’il est possible de solliciter la voie corticospinale chez les patients indépendamment de leur niveau de douleur et de leur capacité

ambulatoire ou leur niveau/type de lésion incomplète. Enfin, bien que les études de cette thèse ne permettent pas de conclure sur la contribution relative des différentes structures dans la tâche, il est tout de même possible de suggérer qu’une tâche de marche de précision requière une intégration complexe de plusieurs structures afin d’effectuer le mouvement approprié.