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Comme mentionné précédemment, la DN est présente chez environ 80% des individus ayant une LMi (Finnerup et al., 2014). Cette douleur apparait peu de temps après la lésion et persiste dans le temps, ce qui fait que la plupart du temps, les personnes souffrent de douleur lors de leur période de réadaptation à la marche. Pourtant, nous avons vu que la DN ainsi que le retour de la locomotion étaient traitées de façon séparée, l’un via la pharmacologie et l’autre via les entrainements locomoteurs. Basé en grande partie sur des études animales, il a pourtant été montré que des interactions existaient entre la motricité et la DN à la suite d’une LM, et que l’un pouvait influencer l’autre (Ferguson et al., 2012b). Dans cette section, nous allons donc nous

intéresser aux liens qui existent entre ces 2 aspects à la suite d’une LM chez l’animal, puis nous verrons qu’il existe aussi des liens chez l’humain.

6.1 Évidences chez l’animal

6.1.1 Effet de la douleur sur la motricité

Il a été montré chez les rats avec une LM complète et incomplète que la douleur pouvait influencer négativement la motricité lors d’une tâche d’apprentissage moteur. En effet, lorsqu’un stimulus nociceptif était appliqué de manière contrôlée à la patte en extension, les rats étaient capables d’effectuer une flexion constante de leur patte dans le but d’éviter davantage l’exposition. En revanche, si le stimulus est appliqué de manière désorganisée (patte ou non en extension), les rats n’effectuaient pas de flexion constante de la patte. Lorsque soumis le lendemain à des chocs contrôlés, les rats ayant reçu les stimuli contrôlés la veille effectuaient une réponse de flexion rapide, tandis que le groupe ayant reçu les stimuli incontrôlés échouaient à effectuer la flexion. Ces rats étaient d’ailleurs encore moins performants que les rats n’ayant reçu aucun choc (Grau et al., 1998; Crown et al., 2002). Au niveau du retour locomoteur post-LM, il a été observé que les rats qui recevaient des stimuli incontrôlés post-lésion avaient un moins bon retour de la locomotion comparés aux rats ayant reçu des stimuli contrôlés (Grau et al., 2004). Ces études démontrent que des stimulations incontrôlées, pouvant s’apparenter à des décharges ectopiques chez l’humain, ont un effet négatif sur l’apprentissage moteur, ainsi que sur le retour de la locomotion à la suite d’une LM. De plus, étant donné les résultats obtenus à la suite d’une LM incomplète et complète (lésions au niveau thoracique), ces évidences suggèrent que les mécanismes impliqués pourraient se situer dans la moelle épinière (Ferguson et al., 2006).

6.1.2 Effet de la motricité sur la douleur

À l’inverse, il a été montré que la motricité pouvait avoir, quant à elle, un effet positif sur la douleur. En effet, il a été rapporté qu’une tâche d’apprentissage moteur effectuée avant l’application de douleur permettait d’empêcher le développement d’une hyperactivité tactile chez des rats avec une LM complète (Hook et al., 2008). Il a aussi été montré qu’un entrainement locomoteur sur tapis roulant associé à une récupération locomotrice post-LMi permettait de diminuer cette hyperactivité chez le rat (Brown et al., 2011). De plus, un entrainement locomoteur, effectué très tôt post-lésion (5 jours post) permettait de prévenir, et même de

renverser la douleur si effectué plus tard (3 semaines post) (Dugan & Sagen, 2015). D’autres études ont rapporté l’importance d’un retour sensoriel spécifique lors des entrainements (tapis roulant VS se tenir debout ou nager) pour diminuer la douleur, montrant encore une fois l’implication spinale dans les mécanismes de douleur et motricité (Hutchinson et al., 2004). L’ensemble de ces études suggèrent qu’il existe des circuits partagés entre la plasticité adaptative sous-jacente à la récupération locomotrice et la plasticité maladaptative en lien avec la DN post- LM. Basé sur ces résultats, il a été proposé qu’une forme de compétition existerait entre ces 2 types de plasticité qui pourrait s’inhiber mutuellement (Ferguson et al., 2012a). Ainsi, favoriser la plasticité adaptative représente une perspective intéressante dans la diminution de DN à la suite d’une LM.

6.2 Évidences chez l’humain

Le lien entre le retour de la marche et la DN chez l’humain à la suite d’une LM est encore, à l’heure actuelle, peu étudié. Cela vient principalement du fait que, dans les études cliniques mesurant les effets d’un entrainement locomoteur sur la récupération à la marche, la douleur est souvent considérée comme un paramètre à part, et souvent même, les participants ayant de la douleur sont exclus de ces études (Mercier et al., 2017). Il existe toutefois des évidences en faveur d’une interaction motricité-douleur, mais celles-ci sont plus limitées.

6.2.1 Effet de la douleur sur la motricité

L’effet de la douleur sur le patron locomoteur a été investigué de nombreuses fois, mettant en avant des changements au niveau de l’activation musculaire et au niveau biomécanique, affectant la qualité du patron locomoteur (Hodges & Tucker, 2011; Bank et al., 2013). Toutefois, ces études se concentrent principalement sur l’effet d’une douleur nociceptive et non neuropathique. Une étude récente s’est intéressée à mesurer les effets d’une douleur expérimentale cutanée (mimant les effets d’une DN) sur l’apprentissage moteur à la marche. Les résultats ont montré que la douleur n’influençait pas la performance motrice lors de la tâche au jour 1, mais influençait la performance au jour 2, ce qui démontre l’impact de la douleur sur la rétention d’une tâche locomotrice (Bouffard et al., 2014).

D’autres études ont mesuré l’effet d’une DN sur l’excitabilité des circuits moteurs. Les résultats indiquent une diminution de l’amplitude des MEPs pour les muscles ayant reçu la douleur, ce qui montre une inhibition des circuits moteur en présence de DN (Farina et al., 2001; Le Pera et

al., 2001).

Ces études montrent que les mécanismes sous-jacents à la douleur et à la motricité partagent des circuits aussi au niveau cortical, et montrent l’effet négatif de la douleur sur la motricité.

6.2.2 Effet de la motricité sur la douleur

Il est généralement bien connu que les exercices physiques ont un effet positif sur la douleur chronique (O'Connor et al., 2015), principalement dû à un effet analgésique (Koltyn, 2000). L’effet bénéfique d’un entrainement sur la DN à la suite d’une LM a été montré lors de rapports de cas. En effet, il a mesuré que des individus ayant une LM complète avait une diminution du niveau de DN à la suite d’un entrainement moteur impliquant un ergomètre (Norrbrink et al., 2012) ou d’un entrainement impliquant l’utilisation d’un exosquelette (Kressler et al., 2014; Cruciger et al., 2016). Des résultats similaires menant aux mêmes conclusions ont aussi été observés à la suite d’un entrainement avec exosquelette, mais à la suite d’une LMi cette fois-ci (Labruyere & van Hedel, 2014).

D’autres études ont mesuré les effets de la TDCS ou de la rTMS sur le niveau de DN dans différentes populations, dont les personnes ayant une LM. Les résultats indiquent qu’il est possible de diminuer le niveau de douleur à la suite de plusieurs sessions stimulant M1, indiquant encore une fois le lien entre les circuits moteurs et nociceptifs (Fregni et al., 2006; Lefaucheur, 2006).

Considérant les interactions présentes entre les mécanismes de douleur et de motricité, il est nécessaire, pour de futures études, de prendre en compte ces deux aspects lors de la réadaptation à la suite d’une LM. Cela permettrait de davantage comprendre les mécanismes impliqués, mais aussi d’offrir de nouvelles opportunités en ce qui concerne le traitement de la DN (Nees et al., 2017).