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3. Contrôle neurophysiologique de la marche

3.3 Contrôle au niveau supraspinal

Nous venons de voir qu’il existe chez l’animal et chez l’homme, un réseau de neurones au niveau de la moelle épinière capable de générer une activité rythmique de base. Cependant, chez l’homme, contrairement à l’animal, une lésion à la moelle épinière a un effet beaucoup plus important sur le contrôle de la marche, suggérant que l’activité de ce réseau est plus fortement influencée par les voies supraspinales descendantes afin d’initier et de moduler les mouvements locomoteurs. Dans cette partie nous allons donc aborder les voies et structures impliquées dans le contrôle descendant qui regroupe le contrôle volontaire et le contrôle par le tronc cérébral. Une attention particulière sera portée à la voie corticospinale étant donné son importance dans cette thèse.

3.3.1 Contrôle volontaire généré au niveau cortical Le faisceau corticospinal

Le faisceau corticospinal relie le cortex à la moelle épinière. Son origine provient du cortex moteur primaire (environ 30% des fibres), de l’aire motrice supplémentaire, du cortex pré- moteur (environ 30% des fibres) et du cortex somatosensoriel (environ 40% des fibres) (Filipp

et al., 2019). La majorité (environ 90%) de ses fibres croisent la ligne médiane au niveau de la Medulla oblongata du tronc cérébral (décussation pyramidale) et descendent dans la moelle du côté

controlatéral. Il s’agit du faisceau pyramidal croisé. Une faible proportion des fibres (environ 10%) ne subit pas la décussation et projettent directement vers le côté ispilatéral de la moelle épinière. Il s’agit du faisceau pyramidal direct (Shinoda et al., 2006).

L’implication de la voie corticospinale lors de la marche simple varie selon les espèces. En effet, il a été montré qu’une lésion de cette voie chez le chat ou le singe ne causait que peu de déficits et n’affectait pas leur capacité à marcher (Jiang & Drew, 1996; Courtine et al., 2005). En revanche, chez l’humain, il a été rapporté que la voie corticospinale avait un rôle important dans la marche simple. En effet, les expérimentations impliquant la TMS ou la cohérence EEG-EMG (électroencéphalogramme-électromyogramme) indiquent que la voie corticospinale est modulée en fonction du cycle de marche (Schubert et al., 1997), et qu’il y a une synchronie entre les signaux provenant de M1 et ceux de l’activité EMG du TA (Petersen et al., 2012). Il semblerait aussi que M1 contribue à l’activité des fléchisseurs plantaires lors de la phase d’appui et participe à la phase de propulsion (Jensen et al., 2019). Enfin, il a aussi été montré que l’activité du TA pouvait être

inhibée pendant la marche via une stimulation en dessous du seuil au niveau du cortex moteur, ce qui suggère que celui-ci participe au contrôle de l’activation musculaire pendant la marche (Petersen et al., 2001).

Toutefois, il a été montré que la voie corticospinale jouait un rôle prépondérant dans le contrôle des mouvements fins lors de la locomotion. Cette voie serait davantage impliquée lorsqu’il faut s’adapter à un environnement plus complexe impliquant des tâches de précision ou marcher en présence d’un champ de force par exemple.

Chez l’animal, de nombreuses études ont montré qu’une lésion au niveau de la voie corticospinale, ou qu’une inactivation du cortex moteur chez le chat engendrait des déficits lorsque la tâche de déplacement nécessitait une modification volontaire anticipée. En effet, l’animal était incapable d’enjamber un obstacle sans le frapper (Drew et al., 1996; Jiang & Drew, 1996; Friel et al., 2007). D’autres auteurs se sont intéressés à la décharge cellulaire du cortex moteur et ont rapporté que la décharge neuronale augmentait lors d’une tâche de placement de pattes précis comme enjamber un obstacle ou marcher sur une échelle (Beloozerova & Sirota, 1993; Lavoie & Drew, 2002). Ces études soulignent donc l’importance de la voie corticospinale lors de situations impliquant une coordination visuomotrice (Drew et al., 2008).

Chez l’humain, il a été montré à l’aide de la TMS que l’excitabilité corticospinale était augmentée lorsque les sujets devaient marcher en présence d’un champ de force par rapport à une marche simple (Bonnard et al., 2002; Barthelemy et al., 2012). D’autres études ont aussi rapporté que la cohérence intramusculaire au niveau du TA était augmentée lors d’une tâche impliquant les informations visuelles afin de placer son pied lors de la marche comparée à une marche simple (Jensen et al., 2018; Spedden et al., 2019). Ces études ont donc permis de conclure qu’une tâche de marche plus challengeante ou impliquant de la précision engageait davantage la voie corticospinale.

Le cortex pariétal postérieur

Le cortex pariétal postérieur (PPC) reçoit des informations provenant du cortex somatosensoriel et du cortex visuel, et a une connexion directe avec le cortex moteur. Il aurait un rôle dans la planification et la coordination des mouvements lors d’une tâche nécessitant des modifications basées sur la vision (Drew & Marigold, 2015). En effet, il a été montré chez le chat qu’une augmentation de la décharge cellulaire était observée lorsqu’il planifiait d’enjamber un obstacle (Andujar et al., 2010), et que des déficits dans la réalisation de cette tâche étaient observés lorsque

l’animal avait subi une lésion du PPC (Drew et al., 2008). Chez l’humain, des observations menant à des conclusions similaires en imagerie ont rapporté que le PPC était bien activé lors d’une tâche de navigation impliquant la mémoire spatiale (Billington et al., 2013; Boccia et al., 2014), et que les individus souffrant d’une lésion au PPC présentaient des déficiences d’orientation spatiale lorsqu’ils effectuaient une tâche de navigation (Ciaramelli et al., 2010).

En ce qui concerne les informations visuelles, celles-ci permettent de guider la marche et de s’adapter aux contraintes environnementales en modifiant le patron locomoteur (Marigold & Patla, 2008; Matthis et al., 2017). En effet, les informations visuelles ont un rôle important pour effectuer les changements de direction (Patla et al., 1991), ou encore pour enjamber un obstacle où elles permettent un placement approprié du pied en fonction de la taille et de la position de l’objet (Patla et al., 1991; Patla & Greig, 2006).

3.3.2 Contrôle généré au niveau du tronc cérébral Le faisceau réticulospinal

Le faisceau réticulospinal prend son origine au niveau de la formation réticulée située dans le tronc cérébral et est sous l’influence directe de la région locomotrice mésencéphalique (MLR). Suite à une stimulation électrique, cette région peut induire la locomotion et permet d’adapter la rythmicité du patron de marche en fonction de l’intensité de stimulation. En effet, Shik et al. (1966) ont montré que suite à une décérébration chez le chat, lorsque celui-ci était placé sur un tapis roulant, la stimulation de la MLR permettait d’initier la marche. De plus, lorsqu’ils stimulaient avec une intensité croissante la MLR, l’animal passait de la marche au trot et du trot au gallop (Shik et al., 1966). Chez l’humain, il semblerait que la MLR soit aussi impliquée dans le contrôle de la marche. En effet, il a été rapporté que la perte des neurones cholinergiques situés dans le noyau pédonculo-pontin (noyau faisant parti de la MLR) était en lien avec la sévérité des déficiences lors de la marche chez les personnes atteintes de la maladie de Parkinson (Rinne et

al., 2008; Sebille et al., 2019). De plus, ce noyau représente aussi une cible d’intervention

potentielle auprès de ces personnes afin de diminuer leurs limitations à la marche (Mazzone et

al., 2005; Plaha & Gill, 2005; Tubert et al., 2019).

Le faisceau rubrospinal prend son origine au niveau du noyau rouge magnocellulaire. Il serait responsable des mouvements de flexion des pattes chez l’animal. En effet, il a été montré que la stimulation du noyau rouge induisait la contraction des fléchisseurs contro-latéraux et inhibait les extenseurs (Orlovsky, 1972). Il semble aussi qu’il soit impliqué dans le contrôle moteur plus fin pour réaliser des tâches demandant plus de capacités (Horn et al., 2002; Liang et al., 2012). En revanche, chez l’humain, le noyau rouge relaie principalement l’information du cortex vers le cervelet, et n’a pas de projection directe vers la moelle épinière (Cacciola et al., 2019). Il semble donc que son rôle soit moindre chez l’humain et reflète davantage le rôle du faisceau corticospinal chez l’animal.

Le faisceau vestibulospinal

Il prend son origine au niveau des noyaux vestibulaires situés à la jonction ponto-médullaire du tronc cérébral et se projette dans la moelle épinière. Le faisceau vestibulospinal participe à la navigation, à la mémoire spatiale, ainsi qu’au maintien de l’équilibre et la posture lors de la marche (Baloh & Honrubia, 1979; Lacour & Borel, 1993; Berthoz et al., 1995; Fitzpatrick & Day, 2004; Iles et al., 2007; Michel, 2009; McCall et al., 2017). En effet, les informations provenant du système vestibulaire renseignent sur l’orientation de la tête dans l’espace (Raphan et al., 2001), et informent notament le SNC sur la position et les mouvements de la tête par rapport à la verticale. Il a été plus précisement montré que les informations vestibulaires sont modulées en fonction du cycle de marche, qu’elles sont davantage importantes lors de la phase de double appui et ont donc un rôle dans la planification du placement du pied pour effectuer le prochain pas tout en maintenant l’équilibre (Bent et al., 2002, 2004).

Le faisceau tectospinal

Le faisceau tectospinal prend son origine au niveau du colliculus supérieur au niveau du tronc cérébral (Nudo & Masterton, 1989; Reynolds & Al Khalili, 2020). Chez le chat et le singe, ce faisceau intervient dans l’orientation des yeux et de la tête en fonction des stimuli visuels ou auditifs (Corneil et al., 2002; Isa & Sasaki, 2002) et serait donc impliqué dans le contrôle directionnel de la marche. Bien que chez certains mammifères comme le chat le faisceau tectospinal soit bien développé, il semblerait que son rôle chez l’humain soit moindre et encore peu connu (Reynolds & Al Khalili, 2020).

3.3.3 Influence provenant d’autres structures du système nerveux central Le cervelet

Le cervelet peut ajuster la commande motrice en contrôlant indirectement l'activité des CPGs via les voies descendantes vestibulospinales, rubrospinales et réticulospinales. Il participe principalement au contrôle, à l’exécution, et à la coordination du mouvement ainsi qu’au maintien de la posture et à l’adaptation du patron locomoteur (Morton & Bastian, 2004). Son rôle a été mis en évidence grâce aux études utilisant la marche partitionnée comme paradigme d’adaptation locomotrice (Morton & Bastian, 2006; Torres-Oviedo et al., 2011), ainsi qu’aux études documentant les effets de lésions au cervelet sur la locomotion. En effet, des lésions au niveau du cervelet provoquent l’apparition de différents symptômes, tels que l’hypotonie ou l’ataxie qui consistent en d’importants troubles du mouvement (Palliyath et al., 1998; Rapoport

et al., 2000). Le cervelet reçoit aussi des informations provenant de la voie spinocérébelleuse et

sert ainsi de comparateur entre le mouvement exécuté et le mouvement prévu. Il peut donc détecter en temps réel les erreurs motrices et ainsi corriger le mouvement en envoyant des signaux au tronc cérébral et au thalamus (Morton & Bastian, 2006; Shadmehr et al., 2010).

Les ganglions de la base

Ils sont composés de plusieurs noyaux connectés tels que le striatum, la substance noire, le noyau sous-thalamique et le globus pallidus. Ils ont un rôle principalement dans la sélection d’informations et dans le processus de décision locomoteur (sélection d’action), ainsi que dans la posture (Takakusaki et al., 2004; Yanagisawa, 2018). De plus, il est bien connu que les personnes atteintes de la maladie de Parkinson due à une atteinte des neurones dopaminergiques situés dans la substance noire présentent plusieurs déficits reliés au trouble de la posture, à la fluidité et à l’initiation des mouvements (Murray et al., 1978; Morris et al., 1994).

Figure 0.4. Influences des structures supraspinales dans le contrôle de la marche.

Adaptée de Kandel et al. Principles of Neural Science, 4th edition.