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4. Plasticité adaptative du système nerveux central à la suite d’une lésion médullaire

4.1 Récupération spontanée

Bien qu’une LM implique généralement des conséquences néfastes sur la fonction sensorimotrice, une récupération fonctionnelle est souvent observée, notamment à la suite d’une LMi (Waters et al., 1995; Burns et al., 1997). En effet, cette récupération peut se produire grâce à une réorganisation du SNC. Ce processus peut durer jusqu’à plusieurs semaines chez l’animal et jusqu’à plusieurs mois chez l’homme (Rasmussen & Carlsen, 2016). Cette réorganisation est notamment possible à la suite d’une LMi étant donné qu’une partie des réseaux neuronaux au niveau de la circuiterie corticale et spinale demeurent intacts et inter-connectés (Christiansen & Perez, 2018). Différents mécanismes peuvent être impliqués dans cette récupération. Toutefois,

étant donné la capacité limitée de régénération axonale à la suite d’une lésion au niveau du SNC, la récupération spontanée est principalement dû à une réorganisation au niveau des circuits déjà existants en modifiant les propriétés neuronales et/ou synaptiques ou à l’apparition de nouveaux circuits grâce à l’élongation des connections axonale ou dendritiques (Fishman, 1987; Bradbury & McMahon, 2006; Filipp et al., 2019). La plasticité induite lors de la récupération spontanée résulte donc d’un processus multidimensionnel engendré au niveau cortical, spinal, au niveau du tronc cérébral, ainsi qu’au niveau des différentes voies qui connectent ces structures (Raineteau & Schwab, 2001). Dans cette section nous allons nous intéresser à ce qui se passe au niveau cortical, spinal et au niveau de la voie corticospinale.

La neuroplasticité au niveau spinal spinale à engendrer de la plasticité a été mise en évidence dans des études réalisées chez l’animal qui ont montré qu’un retour de la locomotion sur tapis roulant était possible à la suite d’une lésion complète et incomplète, grâce à une adaptation au niveau des CPGs (Rossignol & Frigon, 2011). Chez l’homme, comme mentionné précédemment, assez tôt après le choc spinal, un retour des réflexes est observé (Ditunno et al., 2004), et ce retour semble nécessaire pour induire un patron locomoteur après une lésion complète et incomplète (Dietz et al., 1998), soulignant l’importance des réseaux spinaux dans la récupération (Dietz & Colombo, 2004).

Au niveau supraspinal, une réorganisation peut aussi être observée avec un réarrangement des cartes corticales, principalement au niveau de M1 et S1 (Nardone et al., 2013). Tout d’abord, une différence d’activation peut être observée au niveau du cortex sensorimoteur, de l’aire motrice supplémentaire, du thalamus ou encore du cervelet comparé à des sujets sains (Kokotilo et al., 2009). En effet, les participants ayant une LMi ont une activation augmentée dans ces différentes aires lors de mouvements de la main par exemple (Bruehlmeier et al., 1998; Curt et al., 2002b). Des résultats semblables menant aux mêmes conclusions ont aussi été montrés à la suite d’une lésion complète lors de mouvements imaginés du pied (Alkadhi et al., 2005).

Nous avons vu précédemment que les représentations des aires motrices des membres affectés étaient généralement diminuées voir abolies pour un même participant. À l’inverse, il a été montré que les représentations des membres non-affectés avaient tendance à être davantage activées, déviées, et voyaient même leur taille augmenter (Levy et al., 1990; Freund et al., 2011a). En effet, les résultats obtenus à l’aide de la TMS, de l’IRM fonctionnelle (IRMf) et de la

tomographie par émission de positrons indiquent qu’il y a une expansion et une plus grande activation des aires sensorimotrices pour les muscles du bras ou de la main chez des individus ayant une paraplégie (Levy et al., 1990; Bruehlmeier et al., 1998; Curt et al., 2002a; Freund et al., 2011b). Ces résultats suggèrent une augmentation de l’excitabilité des projections corticospinales vers les muscles préservés au-dessus du niveau de la lésion, ce qui confirme les résultats obtenus par Topka et al. en 1991 (Topka et al., 1991).

Une autre observation importante au niveau de la réorganisation corticale est une déviation spatiale de l’activation des aires motrices. Deux principales déviations de l’activation sont observées, soit une déviation plus postérieure ou une déviation en direction des aires des membres atteints (Kokotilo et al., 2009). Concernant la déviation vers l’aire du membre atteint, l’étude de Freund et al. (2011) a montré une activation de l’aire corticale de la jambe de M1 lors de mouvements de la main, ainsi qu’une activation de l’aire corticale au niveau de S1 lors d’une stimulation du nerf médian (Freund et al., 2011b). Cette déviation vers l’aire sensorimotrice de la jambe pourrait être reliée au phénomène du rewiring. Cela s’expliquerait par une reconnexion des neurones corticospinaux des membres inférieurs vers la partie plus cervicale de la moelle épinière. Ainsi, il y aurait une émergence de nouvelles projections des neurones des membres supérieurs en provenance des aires des membres inférieurs, comme il a été montré chez l’animal (Ghosh et al., 2010). D’autres études en EEG ou IRMf ont aussi rapporté que, lors de mouvements de la main ou des doigts, les représentations étaient davantage déviées au niveau postérieur comparé aux mêmes mouvements chez des sujets sains (Green et al., 1999; Turner et

al., 2003). Cette déviation postérieure pourrait être expliquer par le fait que les axones de S1 qui

contribuent à la voie corticospinale soient moins touchés par la lésion que les axones de M1 et donc seraient davantage activés (Green et al., 1999).

Cette différence de déviation observée peut être expliquée par la chronicité de la lésion. En effet, il a été montré que la déviation vers les membres atteints corrélait avec le temps post-lésion, et que le déplacement était minimal en phase subaiguë (Lotze et al., 2006). De plus, Green et al. ont aussi rapporté que la déviation initialement postérieure devenait plus antérieure, et que cela semblait associé à une récupération sensorimotrice au cours du temps (Green et al., 1999). Au niveau de la voie corticospinale, il a été montré que la latence des MEPs évoqués au niveau des membres supérieurs et inférieurs restait inchangée plusieurs mois après la lésion (Curt et al., 1998; Smith et al., 2000; Wirth et al., 2008). En revanche, l’amplitude des MEPs du TA évoqués

à 6 mois était plus grande que celle 1 mois post-lésion (Wirth et al., 2008). Par contre, un changement significatif n’était présent seulement que pour des individus ayant une tétraplégie avec un ASIA D, comparés à des individus ayant un ASIA B ou C (Curt et al., 2008). Autrement dit, pour des individus ayant minimalement une capacité locomotrice minimale pour qui la voie corticospinale a probablement participé au retour de la fonction locomotrice post-lésion (Thomas & Gorassini, 2005).

Concernant la mesure sensorielle à l’aide des SSEPs, il a été montré qu’il n’y avait pas de changements de latence ni d’amplitude entre la première évaluation et une mesure recueillie 6 mois plus tard (correspondant aussi à 6 mois post-lésion) (Curt & Dietz, 1997). Au contraire, il a été rapporté que les dSSEPs initialement affectés avaient une diminution de latence plusieurs mois après la première évaluation en subaiguë. Parmi ces dSSEPs, 76% avaient une latence au- dessus des valeurs des contrôles tandis que 24% égalaient les valeurs contrôles (Kramer et al., 2010). La différence de résultats observée entre les SSEPs et dSSEPs pourraient s’expliquer par des changements effectués au niveau de chaque segment spinal, qui ne seraient pas suffisants pour changer la latence globale enregistrée avec les SSEPs (Kramer et al., 2010).

Nous avons vu précédemment que généralement, les mesures neurophysiologiques pouvaient être corrélées aux déficiences sensorimotrices observées. D’autres auteurs se sont intéressés à corréler ces changements neurophysiologiques avec le degré de récupération à la marche. Au niveau de la voie corticospinale, il a été montré que les MEPs mesurés initialement permettaient de prédire le potentiel de récupération de la locomotion chez des sujets avec une LMi en phase aigüe. En revanche, les résultats obtenus chez ces mêmes individus en phase chronique (6 mois plus tard) indiquent que même si une amélioration de la capacité locomotrice est observée, il n’y a aucun changement dans les paramètres des MEPs (Curt et al., 1998). L’étude de Wirth et al. a confirmé qu’aucune corrélation n’était mesurée entre l’amplitude des MEPs et le degré de récupération locomotrice ou le degré de force musculaire, même si une augmentation de l’amplitude est présente (Wirth et al., 2008). Au niveau sensoriel, aucune corrélation entre les changements cliniques et les SSEPs ou dSSEPs n’a été observée (Curt & Dietz, 1997; Kramer et

En revanche, au niveau cortical, il a été montré que l’augmentation de l’activation au niveau du M1 était corrélée avec une amélioration de la fonction sensorimotrice des membres supérieurs au cours de la première année post-lésion (Jurkiewicz et al., 2007).

Nous venons de voir l’importance des structures impliquées dans la récupération spontanée de la fonction sensorimotrice à la suite d’une LMi. En effet, la lésion va engendrer une réorganisation à différents niveaux pendant plusieurs mois. Il s’agit donc d’un processus dynamique en constant changement qui est nécessaire à la suite d’une LM. Toutefois, la plasticité neuronale représente une grande source de variabilité entre les individus et dépend de plusieurs facteurs tels que l’âge de la personne, le niveau et l’étendue de la lésion, le temps post-lésion (Bruehlmeier et al., 1998; Kleim & Jones, 2008). De plus, il est important de mentionner que cette plasticité, bien qu’elle fournisse l’opportunité de permettre une certaine récupération fonctionnelle, ne permet pas de garantir un retour de la marche (Wolpaw, 2007). En effet, il a été suggéré que la récupération spontanée est souvent incomplète, et que des limitations au niveau sensorimoteur demeurent à la suite d’une LMi (Raineteau & Schwab, 2001). Plusieurs programmes de recherche ces dernières années se sont donc intéressés à trouver des façons de favoriser davantage cette plasticité. En effet, des techniques, telles que la pharmacologie, la neurostimulation ou des interventions de réadaptation comme les entrainements locomoteurs peuvent être utilisées. Dans les prochaines parties, nous porterons un intérêt particulier à la plasticité induite via les entrainements locomoteurs étant donné qu’elle est au cœur de cette thèse.