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La société, un « champ social », une structure en mouvement traversée de « flux »

Chapitre I : Rapport « identité » et « événement historique »

1.4. Une construction identitaire / un rapport au catholicisme

1.4.4. La société, un « champ social », une structure en mouvement traversée de « flux »

Avant d’aborder la section suivante, nous jugeons pertinent de parler de certains concepts, élaborés par Gilles Deleuze et Jacques Derrida, que reprend Gagnon-Tessier, afin d’établir un lien entre « archive » et « politique ». Ce point est intéressant puisqu’il donne à réfléchir sur les différents éléments impliqués au niveau de la structure et du contenu historique et, de saisir ses impacts dans l’agencement d’un modèle de construction identitaire et de ce qui en découle au niveau des relations interculturelles et interreligieuses. Ce point est intéressant puisqu’il donne à réfléchir sur les différents éléments impliqués sur les plans de la structure et du contenu historique, et aussi parce qu’il permet de comprendre les impacts du contenu historique sur l’agencement d’un modèle de construction identitaire et de ce qui en découle du point de vue des relations interculturelles et interreligieuses. Ce que nous trouvons intéressant et qui fait écho à nos intérêts se trouve d’abord dans la théorie deleuzienne des espaces. Gagnon-Tessier reprend le concept de société de Deleuze, qu’il décrit comme un « champ social » à travers lequel nous pouvons voir s’établir « un agencement de processus nommés parfois “flux”, “ligne de fuite” ou “pointe de déterritorialisation” » (Gagnon-Tessier, 2014, p. 163). Ces « flux » ou ces « lignes de fuite » auraient « des potentialités créatrices qui deviennent des facteurs de transformations imprévisibles amenant à comprendre la société tel un “système métastable” et donc, en devenir perpétuel » (Gagnon-Tessier, 2014, p. 163).

Autrement dit, nous retrouvons dans le champ social d’une société un espace où nous pouvons repérer des mouvements qui ressortent du cadre de la normalité du quotidien, de l’habituel et du connu. Nous pouvons observer, à travers diverses périodes de

l’histoire, certains courants de transformations qui viennent changer ce qui les précédait. Autre élément intéressant, l’auteur cite un passage qui précise à ce propos qu’ « une société (ou un champ social) ne se définira plus par son mode de production, ses institutions, sa structure ou sa culture, mais plutôt d’une part, par les agencements (les mélanges des corps qu’elle permet ou bloque) et, d’autre part, par “les lignes de fuites qui la traversent” » (Gagnon-Tessier, 2014, p. 163). Nous constatons en effet que ces grands mouvements de l’époque qui ont transformé la société québécoise des années 1960 recèlent un contenu fortement chargé de « flux » et de « lignes de fuite ».

Notre réflexion se poursuit avec les concepts d’ « appareil d’État », d’« espace lisse » et d’« espace strié », que Gagnon-Tessier reprend chez Gilles Deleuze. Il débute par le caractère d’imprévisibilité de ces « espaces de transformations » que l’on associe à ces « espaces lisses » et qui « appelle, sur le plan politique, une force de blocage destinée à enrayer, ou à tout le moins, contrôler la nouveauté » (Gagnon-Tessier, 2014, p. 163). Autrement dit, à travers le caractère changeant et incertain que provoquent ces mouvements de transformation sociale, le rôle du politique appellera inévitablement à devoir contrôler et « diriger » ces mouvements de transformation sociale vers un retour à une forme de stabilité. Ainsi, « la philosophie politique consistera à réfléchir sur le problème de la production et du contrôle des “flux”. Ils ne peuvent passer à côté du processus inverse, anti-créateur, qui tente de réprimer, de bloquer les lignes de fuite (les flux) à travers des mécanismes de contrôle et de domestication cherchant à “strier les espaces”. C’est là le propre de ce qu’ils appellent “l’appareil d’État” » (Gagnon-Tessier, 2014, p. 164). Qu’entendons-nous exactement par « strier les espaces » ?

L’« espace strié », tel que nous l’avons présenté, est associé à l’« appareil d’État ». En effet, « l’objectif de ce dernier est de conjurer l’espace lisse en le striant » (Gagnon- Tessier, 2014, p. 164). Lorsque ce dernier ferait face à des épisodes de mouvements et de transformations, ses actions impliqueraient une mise « en place des mécanismes de contrôle, de régulation et de normalisation afin de canaliser ou encore de capturer les “flux” » (Gagnon-Tessier, 2014, p. 164). En quoi cela consiste-t-il ?

L’auteur revient au concept d’archive et au processus d’archivation, qui sont en réalité des mécanismes « qui visent à contrôler et à “strier”, car l’action de strier implique la

mise en archive et le contrôle de l’archive » (Gagnon-Tessier, 2014, p. 164). Ce qui suit est intéressant puisque nous parlons d’une entité faisant partie de l’appareil étatique deleuzien, et qui permet de mieux comprendre un des mécanismes à travers lesquels on aura écrit l’« histoire » des Franco-Québécois. Cette entité dont nous parlons est celle des « archontes ». Gagnon-Tessier décrit le rôle de ces derniers comme ceux qui « créent des lieux de mémoires » (Gagnon- Tessier, 2014, p. 164). Ainsi, leur rôle est de « récupérer les flux qui apparaissent et de les inscrire dans les archives pour éventuellement les autoriser » (Gagnon-Tessier, 2014, p. 164).

Autrement dit, le rôle des « archontes » consiste à recueillir et à « déposer », en partie, ce qui fera partie de la mémoire et de l’histoire d’une société. Un autre élément intéressant que l’auteur vient ajouter à notre réflexion sur le sujet est qu’ « il y a les archontes sociaux, religieux ou médiatiques, qui ont archivé un certain nombre de choses sur le catholicisme, mais tout n’a pas été archivé. Il y a une série de “flux” qui s’échappent sans être archivés » (Gagnon-Tessier, 2014, p. 164-165). Pour comprendre plus en détail les éléments impliqués dans le processus d’« archivation », « qui contribue à construire une mémoire collective et un imaginaire national » (Gagnon-Tessier, 2014, p. 165), l’auteur nous explique que l’historiographie du catholicisme au Québec y joue un rôle important. S’apparentant à celui des archontes, le rôle des historiens serait cette fonction d’écrire l’histoire, et ils font partie de ceux qui consignent l’histoire. « En ce sens, l’historiographie du catholicisme au Québec joue un rôle important dans son archivation, car elle est celle qui institue la “vérité historique” dans la mémoire religieuse, faisant ainsi force de loi » (Gagnon-Tessier, 2014, p. 165). Tenant compte des concepts deleuzien tels que l’archive, le processus d’archivation et le rôle des archontes, nous dirigeons principalement notre attention sur celui des phénomènes sociologiques qui génèrent des « flux » et plus spécifiquement ceux qui n’auraient pas été « archivés ». Une question se pose : si certains événements de l’histoire québécoise de l’époque de la Révolution tranquille n’ont pu être « archivés », que peut-on conclure de l’histoire du catholicisme québécois des années 1960-1970 ?

1.5. La Révolution tranquille, perspective d’un chanoine