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La relation « je-tu » pour penser le rapport à l’« Autre »

Chapitre III : L’identité intégrée dans un rapport à l’histoire

3.3. La relation « je-tu » pour penser le rapport à l’« Autre »

Comme nous l’avons vu dans la section précédente, la notion d’expérience pure est constituée d’éléments importants, qui permettent de penser une conception de « soi » et de l’« Autre » plus ouverte et plus pacifique. Tel que l’explique Tremblay, Nishida reprend cette vision du « soi », qu’il resitue dans le modèle de la relation « je-tu ». Dans cette dynamique de rapport, le « je » est un « soi » plus ouvert et plus apte à de « véritables » relations, et le « tu » occupe à présent une place centrale dans l’existence et dans la pleine réalisation du « je ». Pour le « je », le « tu » n’est plus représenté comme un objet de connaissance ; il est à présent un autre « je », un agent essentiel à l’enrichissement des composantes de l’identité du « je ». Dans cette posture s’opère à présent, au cœur du « je », une nouvelle disposition à l’égard du « tu ». Dès lors, le « tu » n’est plus représenté comme un objet sur lequel le « je » peut exercer son pouvoir et son contrôle : il devient plutôt une existence absolue, dont dépend l’existentialité du « je ».

philosophique chez Nishida » (2007), Tremblay présente un des éléments caractéristiques de la subjectivité moderne, qui selon Nishida contribue aux difficultés dans la relation à autrui. L’auteure affirme « qu’une substance fixe est nécessairement séparée du tissu des relations interpersonnelles et des relations sociales » (Tremblay, 2007, p. 22). Autrement dit, une substance devient fixe lorsqu’elle se « coupe » du processus d’altérité que produisent les relations interpersonnelles. L’auteure reprend le caractère fixe de la substance comme identité en évoquant l’exemple du monologue. « Parler tout seul, c’est refuser d’autoriser l’autre à venir déstabiliser une construction intérieure chèrement acquise au fil des expériences personnelles passées, mais qui, en définitive, repose sur fort peu de choses ; c’est refuser de se laisser remettre en question par les réactions, sentiments ou opinions personnelles d’autrui » (Tremblay, 2007, p. 23). C’est ce qui, selon Tremblay, aurait conduit Nishida à développer sa pensée autour de la relation « je-tu ». Ce qui selon nous donne toute sa pertinence à cette vision pour penser le rapport à l’« Autre » au Québec, c’est qu’elle permet d’offrir à une culture qui se considère comme menacée par ce qui est représenté comme « Autre » qu’elle- même une nouvelle posture, lui donnant la possibilité de reconstruire son identité selon un modèle de rapport qui prend racine dans un fondement se présentant comme suit : au fondement de l’être se trouve un « lieu », un « basho », qui selon Nishida est vide de toute substance. Ce lieu est un espace en soi où l’être accueille l’« Autre » en lui-même pour le « voir ». Dans cette reconnaissance de l’« Autre », l’être, le « je », peut ainsi se re-connaître. Selon Nishida, c’est dans cette altérité que le « je » se construit et s’épanouit. Autrement, il est une « substance fixe » qui ne se rattache à rien ; il est coupé de toute forme de relation, et avec le temps, il s’appauvrit et s’assèche.

En observant les modèles de construction identitaire élaborés dans le chapitre I, nous pouvons repérer certaines ressemblances entre ce que Nishida nomme « substance fixe » et les caractéristiques des discours des participants lorsqu’il est question d’élaborer l’argument histoire. Comme nous l’avons vu dans le premier chapitre, les résultats d’analyse de Lemire- Lafontaine montrent qu’en grande majorité, les arguments que présentent les participants sont peu élaborés et peu expliqués pour justifier l’autorité de leur culture sur celles des « Autres ». L’argument histoire est, et il n’offre pas matière à discussion. Nous percevons dans ces faits une difficulté de la part de ces « Québécois »

à remettre en question une « identité » perçue comme étant menacée et qu’il importe de la « protéger ». Nous voyons là un lien intéressant entre cette difficulté et le concept d’attachement à une identité comme substance fixe de Nishida. Est-ce ce qui expliquerait les réactions de braquage identitaire qui contribuent aujourd’hui, en réponse à ces expériences, à l’agencement et à l’attachement d’une représentation identitaire rigide et non discutable ?

Nous le constatons, l’attachement à une « identité » comme substance fixe peut poser problème au dialogue interculturel et interreligieux tout comme à l’édification d’une identité. Nous resituer dans la posture de Nishida, qui dans la relation exprime la nécessité d’une ouverture à l’« Autre » pour que le « je » puisse se construire et s’épanouir pleinement, permet de constater qu’un attachement à des conceptions d’une identité inaltérable est utopique. Nous croyons qu’en reconsidérant les représentations de cette « identité », qui semblent se rattacher à des éléments fixes et indiscutables, et en les repensant à partir de la notion de « basho » intégrée à la philosophie de la relation « je-tu », peut-être y aurait-il possibilité de reconstruire cette identité dans une perspective où les nouveaux immigrants représenteraient le « tu » dans la relation « je-tu », et peut- être pourrions-nous voir là tout un univers de possibilités d’être en ce monde. Ainsi pourrions-nous penser l’« Autre » au Québec en représentant les femmes, les enfants, les Autochtones, les nouveaux immigrants, les cultures et les religions comme des agents « absolus » de l’essor d’une identité renouvelée.