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Les composantes de la personnalité selon Nishida et la question de l’identité

Chapitre II : Cadre philosophique de Nishida

2.4. Fondements théoriques de la philosophie de Nishida

2.4.5. Les composantes de la personnalité selon Nishida et la question de l’identité

occidentale des éléments qui posent problème en ce qui a trait à la réalisation d’une identité « pleinement consciente ». Pour Nishida, lorsque nous parlons d’une identité « pleinement consciente », nous nous référons à la notion de personnalité issue du bouddhisme zen qui conçoit cette dernière comme un composé d’éléments « dont aucun n’existe indépendamment des autres » Tremblay, 2007, p. 20). Il s’agit de :

1. « la constitution physique ou matérielle ;

2. la sensibilité affective, c’est-à-dire la manière dont nous sommes affectés par nos sensations ;

3. notre équipement socioculturel, à savoir l’ensemble des connaissances et des comportements auxquels nous nous identifions ;

4. les tendances à agir ;

5. la capacité d’attention sélective ou la conscience ; cette faculté d’attention permet aux quatre premiers éléments de devenir conscients » (Tremblay, 2007, p 20).

Dans son ouvrage, Tremblay (2007) reprend le problème de l’identité du moi traité par le moine bouddhiste Nâgârjuna (vers le IIe ou le IIIe siècle avant notre ère) et par le psychiatre Kimura Bin (1931- ), dont les écrits sur le même sujet s’inspirent de la pensée de Nishida. D’après cette vision du bouddhisme, l’identité du moi, une fois entrée dans l’époque moderne, « a eu tendance à s’identifier au cinquième élément, c’est-à-dire à la conscience » (Tremblay, 2007, p. 20). D’après la critique nagarjunienne, ce moi, rattaché à la conscience seule, suppose deux choses. Il s’identifie à la conscience qu’il a de lui- même, et son identité n’est que substance de la conscience d’elle-même ; il ne possède pas la capacité de reconnaître « en lui- même », et de ce fait il ne possède pas la capacité de se définir et de s’identifier en rapport à l’« Autre ». De plus, cela suppose que nous pouvons nous référer à ce moi clairement identifié car il « demeure le même peu importe les changements qui l’affectent » (Tremblay, 2007, p. 21). S’appuyant sur les critiques de Kimura Bin, Tremblay affirme que « l’identité du moi à lui-même n’est pas une chose clairement fixée une fois pour toutes. La raison majeure en est que l’établissement du moi n’est pas le fait propre de ce dernier, mais nécessite comme condition indispensable les relations à autrui » (Tremblay, 2007, p. 21). Selon Tremblay, la pensée de Nishida converge dans ce sens, et le problème de l’identité se pose lorsque celle-ci s’identifie uniquement à la conscience. Tremblay reprend l’idée de l’identité du moi en raison du fait que le moi nécessite, comme condition indispensable à sa constitution et à sa définition, l’établissement des relations à autrui. Nishida propose une perspective intégrant plusieurs éléments constitutifs de l’individu qui nous apparaissent fondamentaux et qui nous semblent délaissés par de nombreux courants de la philosophie occidentale. L’abandon des quatre premières facultés au profit de la conscience pousse à notre avis le « moi » de la subjectivité moderne à s’isoler. Autrement dit, le « moi » se trouve, dans son fondement et son édification, privé de substances agissantes en lui et autour de lui, d’autres substances qui sont encore plus englobantes.

Une perspective selon laquelle l’identité du moi est vide de substance et nécessite au préalable une relation avec ce qui est autre qu’elle-même pour pouvoir se définir nous apparaît intéressante. « L’identité du moi à lui-même (Nishida parle en ce sens d’auto- identité), condition de l’autonomie du moi, se constitue à travers la reconnaissance de ce qui est autre que soi. Autrement dit, l’être humain doit toujours acquérir à nouveau son

propre moi à travers la rencontre du monde et d’autrui » (Tremblay, 2007, p. 22). La manière dont s’articule l’identité du moi autour de cette vision de la relation est pertinente à la compréhension du véritable soi et permet également de penser l’identité dans une perspective inédite. « Ce que Nishida appelle le “véritable soi” n’est d’ailleurs rien d’autre que cet acte même de la rencontre au sein de laquelle se construisent tant le soi que l’autre qui est rencontré » (Tremblay, 2007, p. 22). Mais qu’entend Nishida par « véritable soi » ?

Tremblay reprend la pensée de Nishida pour montrer que l’humain, lorsqu’il s’implique activement dans ses rapports, le fait de son propre point de vue subjectif unique. L’auteure explique que cette subjectivité n’est jamais établie à l’avance et que l’humain doit la refaire sienne chaque fois qu’il expérimente l’altération produite par la rencontre de l’« Autre ». De cette manière, le soi se construit dans l’acte de se retrouver dans cette altérité. Nous pouvons voir dans la notion de la relation « je-tu » de Nishida, à travers laquelle s’articulent les différentes composantes agissantes, des individus dans ce processus d’altération. Pour des fins de clarification, le texte de Tremblay présente les termes « véritable soi », « individu », « humain » et « identité », qui dans la perspective orientale sont synonymes.

Tremblay explique que, selon la vision de Nishida, le « véritable soi », qui est aussi un « espace vide » de toute substance, est également un « basho », soit, en un autre mot, un « lieu » en soi dans lequel il est possible d’accueillir l’« Autre ». Dans cet accueil, le soi voit l’« Autre » en lui-même. Dans cet acte de reconnaissance, « voir » l’« Autre » en soi, qui est « Autre » que soi-même, produit l’« effet » d’altération par cet acte de la rencontre. C’est en fonction de cet acte que Nishida affirme que l’identité ne se construit que par l’acte de la rencontre de ce qui est autre que soi-même. C’est ainsi qu’il pense le « je » selon lequel il ne peut être le fait propre de lui-même. Une fois cette altération produite, le « je » doit reconstruire son identité à partir de cette rencontre de l’« Autre » ; à présent, il devient le produit du « je » d’avant, pendant et après la rencontre.

C’est dans cette perspective que l’auteure situe l’identité du « je ». En ce sens, le véritable « je » est une identité qui « s’autoéveille » lorsqu’elle réalise son statut de « vide substantiel » nécessitant la relation à autrui pour se construire et se réaliser. Nishida parle

aussi d’auto- identité. « L’identité doit être pensée en fonction des interconnexions et des interrelations des êtres vivants. En ce sens, l’identité est une identité affectée et transformée par ses contacts répétés avec le monde. L’individu n’acquiert sa véritable identité que lorsqu’il se laisse influencer et transformer par ce qui est autre que lui-même. Il est en réalité constitué, au niveau de l’expérience, par quantité d’autres choses » (Tremblay, 2007, p. 24).