• Aucun résultat trouvé

Chapitre I : Rapport « identité » et « événement historique »

1.4. Une construction identitaire / un rapport au catholicisme

1.4.2. La notion de spectre

Dans son ouvrage, Gagnon-Tessier reprend la notion de spectre chez Derrida qui contribuera, sous un aspect, à l’analyse du rapport au catholicisme au Québec. Par analogie avec l’expression derridienne « spectre de Marx », il propose celle de « spectre du catholicisme québécois ». D’après l’auteur, il existerait deux manières de se le représenter : « le catholicisme comme spectre qui hante le Québec, ou les spectres qui hantent le catholicisme au Québec » (Gagnon-Tessier, 2014, p. 179). La première interprétation, qui désigne le catholicisme comme spectre qui hante le Québec, définit ce dernier comme un fantôme qui continuerait de hanter le Québec. En effet, l'auteur constate que, sur la scène politique et sociale, le catholicisme québécois fait parfois figure de fantôme. À titre d’exemples, Gagnon- Tessier nomme la diminution de la fréquentation des cérémonies liturgiques, la disparition des paradigmes religieux comme modes de référence des consciences individuelles et collectives. Selon notre interprétation, ce renversement aurait provoqué une coupure entre l’individu, la collectivité et la matérialité du catholicisme. Selon nous, l’auteur réfère à un catholicisme auquel nous n’aurions plus accès, c’est-à-dire qu’il est toujours présent par la matérialité des objets qu’il a laissés, mais la relation à cette essence de « Dieu » qui existait autrefois, à ce mode de vie intérieure spirituelle auquel il donnait accès, est aujourd’hui presque absente. La deuxième interprétation peut se traduire comme suit. Nous pouvons constater, malgré cet éloignement entre le citoyen et le catholicisme, la présence du catholicisme à travers ses « traces » et la subsistance de certaines pratiques (baptême, mariage). Ainsi sa présence serait représentative plutôt que physique et

matérielle ; autrement dit, le catholicisme n’est pas présent de manière concrète, mais il continuerait à subsister dans les souvenirs. Pour reprendre les propos de l’auteur, c’est pourquoi « il n’est pas pleinement présent à soi, il devient constitutif de ce qu’il hante, et il est une projection qui escamote, camoufle, ou déforme » (Gagnon-Tessier, 2014, p. 180). L’auteur met en lumière d’autres aspects intéressants pouvant décrire les spectres du catholicisme québécois. Il affirme que « pour certains, le catholicisme fait peur et est un mauvais souvenir qu’il faut oublier. Il représente quelque chose de disparu qui pourrait revenir sous sa forme passée ou sous une nouvelle forme, mais qui serait semblable à l’ancienne par sa manière d’être. Il est un spectre négatif » (Gagnon-Tessier, 2014, 180). Ce passage nous interpelle et nous permet d’établir un parallèle avec certains passages de mémoires qui s’apparentent à la description du spectre du catholicisme. L’auteur cite deux exemples éloquents:

« Les femmes ont des raisons particulières de redouter l’arrivée (ou le retour) en force du fondamentalisme religieux. Et les Québécoises qui ont longtemps subi le joug du catholicisme sont particulièrement sensibles sur ces questions » (Confédération des syndicats nationaux, 2007, cité dans Gagnon-Tessier, 2014, p. 181).

« Mais que faire des gens, tant à l’intérieur de notre propre religion que de traditions autres, qui présentent les mêmes signes que celle qui m’a infantilisé, m’a ennuquélisé, désérotisé, désexué, défamillérisé, déquébéquisé, culpabilisé, déplésirisé bref, déshumanisé. Devant des leaders religieux qui brandissent leur livre sacré de manière apodictique, j’éprouve une grande tristesse à les entendre y puiser les mêmes doctrines dualisantes et étouffantes. Que faire ? » (Barrette, 2007, cité dans Gagnon-Tessier, 2014, p. 181).

L’auteur poursuit son analyse en cherchant à appliquer les éléments du spectre du catholicisme dans le contexte québécois. Il observe, en fonction de la nature des réactions qu’il suscite chez ce qui est hanté, qu’il peut en dégager trois catégories, qu’il nomme : spectre négatif, spectre positif et spectre invisible ou subtil. Le premier, le spectre

négatif, « consiste en ce fantôme qui fait peur et que l’on tente de conjurer, de fuir en raison d’une image négative qu’il projette. Il est une trace de quelque chose qui remonte à la surface » (Gagnon-Tessier, 2014, p. 182).

Nous pouvons observer qu’il suscite cette forme de réaction dans certains témoignages, dont ceux que nous avons présentés supra. Il semble que cette catégorie du spectre reste bien présente dans l’imaginaire collectif de nombreux Franco-québécois de souche canadienne-française. Nous pouvons voir une cohérence entre la réaction provoquée par le spectre et certains témoignages associant les représentations du catholicisme à quelque chose de négatif, dont il faudrait se débarrasser. Le deuxième spectre, le spectre positif, « consiste en ce fantôme dont on souhaite le retour en raison parfois d’une image positive, d’un lien significatif rompu, d’un passé idéalisé qu’il projette. Il est aussi une trace de quelque chose qui remonte à la surface » (Gagnon-Tessier, 2014, p. 182). Nous observons quelque peu ces formes de réactions lorsqu’il est question du spectre du catholicisme québécois dans le contexte des relations interculturelles et interreligieuses. Nous étudierons peu cette catégorie. Le spectre invisible ou subtil « est en partie constitutif, tout comme les deux autres types de spectre, mais demeure subtil, il n’est pas mentionné et est même parfois ignoré. Il peut être enfoui dans l’inconscient » (Gagnon- Tessier, 2014, p. 182). Autrement dit, les trois catégories spectrales présentées par l’auteur nous permettent de comprendre que les représentations associées au catholicisme agissent comme un fantôme qui hante l’imaginaire des Québécois. Il possède les caractéristiques de ce dernier, au sens où il est invisible et subtil, mais il agit et fait agir. Dans la réalité, il ne sera pas mentionné ou « sa présence ne sera pas explicitement remarquée, mais il n’en sera pas moins constituant de certains gestes, mouvements ou structures sociales » (Gagnon-Tessier, 2014, p. 182). En nous inspirant des observations de Lemire-Lafontaine vues dans la section précédente et en les comparant aux caractéristiques de l’archive et du spectre, pourrait-on voir une explication à cette tendance, que nous retrouvons dans de nombreux mémoires présentés à la CBT, à utiliser des exemples historiques peu diversifiés et bien souvent peu expliqués, sans compter qu’ils le sont de manière anachronique et qu’ils varient selon les besoins de la situation ?