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Chapitre II : Cadre philosophique de Nishida

2.4. Fondements théoriques de la philosophie de Nishida

2.4.7. Logique du « basho », selon Nishida

Selon les interprétations de Tremblay (2000), le mot japonais basho pourrait être traduit en langue française par le « lieu », ou le « champ ». Nous utiliserons le terme « basho »5 de la manière dont il a été présenté par l’auteure, dans le but de conserver l’intégrité de sa signification. Dans son texte, Tremblay rapporte la définition qu’en donne Nishida et affirme : « Il est, selon les expressions mêmes de Nishida, “ce en quoi” se situe un contenu ou “ce qui se situe dans” ». (Tremblay et Nishida, 2000, p. 16). Ainsi, la logique du basho « met l’accent sur le lieu et sur une série de lieux toujours plus englobants les uns par rapport aux autres » (Tremblay et Nishida, 2000, p. 16). Afin d’illustrer cette disposition des différents lieux, l’auteure utilise la métaphore des poupées russes. À titre d’exemple, l’espace qui occupe l’intérieur de la plus petite poupée pourrait être représenté par le contenu de notre conscience. Il existe dans l’univers des espaces encore plus vastes vers lesquels notre conscience est appelée à se déployer. Ces derniers sont représentés par les poupées plus grandes, qui englobent les plus petites. De cette théorie se dégage toute une logique permettant de mieux concevoir la manière dont le contenu d’une représentation « X » parvient à se transformer pour ensuite se déployer vers le lieu « Y ». C’est précisément ce qui a attiré notre attention dans cette œuvre remarquable. Nous nous intéressons principalement au contenu même du lieu et à ce qu’il advient de lui, dans cette transformation, lors du passage d’un « basho » à un autre plus englobant. Pour mieux comprendre cette logique, voici l’interprétation que Tremblay apporte de la philosophie nishidienne.

D’après l’auteure, Nishida aurait d’abord conçu trois « basho » :

« Le premier étant le basho de l’être qui aurait comme contenu le monde de la

5 Le mot basho est traduit de l’allemand par Ort, Pltz, Ortschaft, Telle, Sittz, Raum, Gegend, et Stätte. En

anglais, il est traduit par les mots, place, spot, location, situation, position, seat, room, et space. Tire de : Jacynthe Tremblay et Nishida Kitarô. 2000, p.16.

nature. Le second serait le basho du néant oppositionnel, qui aurait comme contenu le monde de la conscience; et le basho du néant absolu, qui a comme contenu le monde de l’intelligible. Étant donné l’insistance sur le caractère épistémologique du basho, Nishida établira trois universels : l’universel du jugement, qui rend compte du basho de l’être; l’universel de l’éveil à soi, qui rend compte du basho du néant oppositionnel; et l’universel de l’intelligible, qui rend compte du basho du néant absolu » (Tremblay, 2000. p. 16).

L’auteure ajoute que Nishida, au cours de la constitution de cette logique, se référera régulièrement à Aristote et à Kant. Nous traiterons peu de sa démarche philosophique, puisqu’elle nécessite une compréhension plus approfondie. Nous traiterons des étapes que présente l’auteure, pour mieux saisir tout le sens que nous accordons à l’issue de cette logique. Nous y reviendrons un peu plus loin dans cette section. À partir de la logique aristotélicienne du sujet, qui ne peut devenir prédicat, Nishida se situera dans la perspective de Kant, dans la mesure où ce dernier affirme que l’intelligibilité de l’expérience humaine « ne repose pas uniquement sur une analyse métaphysique fondée sur une réification objective, puisque la connaissance du sujet suppose les formes transcendantales du sujet de connaissance qui configure ce sujet comme objet » (Tremblay, 2000. p. 17). C’est sur ce plan que nous pouvons repérer tout l’intérêt de cette vision, permettant à Nishida de dépasser la logique aristotélicienne du sujet ainsi que la logique kantienne du prédicat transcendant. Selon Tremblay, il y parviendra à travers la médiation de la philosophie de Husserl.

À la lumière des lectures philosophiques d’Aristote et de Kant ainsi que des notions d’opposition sujet-objet, Tremblay précise que Nishida percevra à travers les catégorisations de Husserl une structure « constitutive » de l’acte du jugement (ou de l’acte prédicatif). Cette analyse lui permettra de voir apparaître différentes formes de la subjectivité, qui culminera avec l’élaboration de la « logique du prédicat », vision à partir de laquelle il opérera un renversement de la logique aristotélicienne du sujet, où à présent le sujet se retrouve englobé dans le prédicat. Nous repérons dans cette logique du prédicat un fondement du principe d’acquisition des notions de connaissance du sujet ou

de l’individu qui détermine que ce qui est prédicat « qualifiant du sujet » ne peut « être » le sujet en tant que tel. En ce sens, nous pourrions en déduire qu’au préalable il est illusoire d’attribuer au sujet les éléments qui le déterminent en tant que sujet. Autrement dit, la véritable nature du sujet ne peut être déterminée selon la somme de ses prédicats. Selon notre interprétation, c’est pourquoi la véritable connaissance de l’« Autre » ne peut être résolue uniquement à partir de la conscience rationnelle. Elle impliquerait au préalable un véritable rapport à autrui que seul le véritable « soi » peut accomplir. En somme, la rencontre de l’« Autre » passe par la nécessaire rencontre de « soi ». Nous remarquons qu’il se trouve une forme de « dynamique » inhérente à la logique du basho. C’est à partir de cette dynamique que nous nous exercerons à penser le rapport à l’Autre, au chapitre suivant. Nous comprenons que cette dynamique permet également d’illustrer le « soi », déterminé ici « dans » la logique du « basho ». Elle répond d’un nécessaire rapport que joue cette logique dans la notion d’éveil à soi, qui consiste en ceci : le « soi » se voit dans le « soi ». L’auteure cite : « Le passage d’un universel à un autre n’est rien d’autre qu’un approfondissement de l’éveil à soi et de ses divers niveaux. La mise en lumière de la structure à trois universels, comprise comme autodétermination autoéveillée du néant absolu, ne sert qu’à une chose : approfondir l’éveil à soi, qui est l’essence de la conscience, jusqu’au basho du néant absolu, dans lequel se résout l’opposition noético-noématique » (Tremblay et Nishida, 2000, p. 18). Donc, le « soi » qui se voit dans le « soi » consiste à « voir » et à être conscient du rapport entre les deux natures du « soi ». En somme, cette interconnexion entre la conscience de l’existence de cette petite chose en soi qui opère le lien entre les différents « soi » qui subissent des transformations d’instant en instant, et celle du véritable « soi », qui selon Nishida est le seul apte à entrer en relation, se définit selon la capacité de faire abstraction de son ego pour créer un espace en soi-même et pouvoir y accueillir « l’Autre ». Cette capacité permettrait, selon notre interprétation de la pensée de l’auteure, de « voir » en « soi » l’« Autre absolu » et ainsi de pouvoir s’« autodéterminer » par et à travers la relation.