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L’utilité ou la nocivité des stéréotypes dans la production identitaire

Chapitre I : Rapport « identité » et « événement historique »

1.2 Une construction identitaire / un rapport entre langue et identité

1.2.5. L’utilité ou la nocivité des stéréotypes dans la production identitaire

Après avoir compris comment peut se construire le stéréotype, nous cherchons à saisir en quoi il pose des difficultés dans les relations entre ces groupes distincts. Nous nous intéressons aux définitions suivantes, qui selon nous offrent une première piste de réflexion. Le schéma de production des ethno-sociotypes de Bres (1993), que reprend Remysen (2004), montre que le stéréotype (images collectives) est une « construction imaginaire qui ne reflète en rien le réel » (Amossy et Pierrot, 1997, cité dans Remysen, 2004, p. 99). Il « contribue à la représentation qu’on se fait de la réalité » (Remysen, 2004, p. 99). Créant ainsi une forme de consensus social « qui autorise, voire impose, une façon de concevoir le monde et qui contribue ainsi à faire la réalité de ce monde, cette vision légitime du monde est celle qui est imposée par l’autorité symbolique » (Remysen, 2004, p. 99). Autrement dit, le stéréotype est une construction qui ne représente pas la réalité et qui d’un autre côté autorise, voire impose une vision du monde. Ce passage suscite une première question : en quoi une construction représentative du stéréotype pose-t-elle des difficultés lorsqu’il est question d’établir un dialogue ou des rapports à autrui ?

stéréotype est souvent utilisé à titre de stratégie sociale, dans le but de se différencier par rapport à un autre groupe. L’auteur ajoute que « c’est souvent le cas pour les collectivités minoritaires qui essaient de défendre leur identité contre toute menace venant de l’extérieur » (Remysen, 2004, p. 99-100). Dans son analyse, il mentionne que l’utilité du stéréotype serait attribuable à ses caractères spécifiques, qu’il qualifie de contraignants. Notre intérêt s’attache principalement à la « nocivité » du stéréotype dans l’élaboration de l’identité, et il visera ultérieurement ses impacts aux points de vue interculturel et interreligieux.

Cet extrait a attiré notre attention car nous y pouvons le rapprocher de certaines conclusions présentées dans le rapport de la Commission Bouchard-Taylor (2008). En effet, Bouchard et Taylor constatent qu’il y a une insécurité du minoritaire dans la francophonie québécoise, qui dans les faits se manifeste par de nombreux comportements pouvant poser problème, d’une part lorsqu’il est question de remettre en question cette identité culturelle, et d’autre part lorsqu’il est question d’établir des rapports entre cette même identité et ce qui est représenté en tant qu’« Autre » qu’elle- même. « Les controverses sur les prières au début des conseils municipaux, le crucifix à l’Assemblée nationale et le rituel de Noël, pourtant largement provoquées par des Québécois d’origine canadienne-française, ont été vues comme autant de menaces à l’endroit des traditions nationales. Enfin, la double (sinon triple) appartenance revendiquée par plusieurs membres des minorités ethniques a parfois été perçue comme une forme de non-intégration à la culture québécoise, donc comme une menace à sa survie » (Bouchard, G. et Taylor, C., 2008, p. 78). Nous remarquons, à partir du modèle de production des ethno-sociotypes de Remysen, que certains discours et réactions des participants témoignent des difficultés qu’impose ce modèle de construction identitaire. L’auteur montre des résultats d’analyse intéressants, présentant des similarités avec certains points des textes d’Émilie Lemire-Lafontaine (2010) et de Louis-Charles Gagnon-Tessier (2014). En somme, de nombreux cas étudiés montrent qu’une majorité de Franco-Québécois utilisent des stéréotypes sur le plan argumentatif pour se différencier et affirmer la défense de leur identité. En quoi cela consiste-t-il ?

Certains résultats présentent des éléments intéressants, pouvant servir d’explications et de réflexion. En effet, l’auteur constate une grande difficulté à obtenir de la part des

participants des arguments autres que ceux associés à des stéréotypes pour justifier la langue française comme élément de leur identité. Autrement dit, il apparaît difficile d’obtenir de la part des participants une argumentation élaborée tenant lieu de fondement pour pouvoir affirmer leur identité, principalement lorsqu’il est question d’établir un rapport entre cette dernière et ce qui est représenté comme « Autre » qu’elle-même. Constatant cette difficulté, en quoi le stéréotype cause-t-il ces difficultés et de quelle manière agit-il ?

D’après Remysen, le recours au stéréotype serait utilisé à titre de stratégie sociale, qui se présente sur divers plans. Nous nous intéressons plus spécifiquement aux stéréotypes qui sont utilisés sur le plan argumentatif. Nous remarquons qu’ils peuvent appartenir à deux formes de catégories, que l’on nommera: le discours traditionaliste et le discours moderniste. Théoriquement, le stéréotype présente certaines caractéristiques qui en permettent l’usage dans des situations spécifiques, par exemple lorsqu’il est question de justifier un point de vue sur un sujet. Il serait un « facteur de cohésion sociale ou ethnique, trouvant ses origines dans les conflits entre deux groupes » (Amossy et Pierrot, 1997, Leyens, Yzerbyt et Schadron, 1994, cité dans Remysen, 2004, p. 99). Dans cette dualité, le groupe minoritaire chercherait à mettre en valeur certains aspects de leur identité au détriment des autres. Cette dynamique de construction identitaire se concrétiserait en images stéréotypées prenant forme dans l’imaginaire collectif. Ces représentations, qui semblent être partagées par une large proportion du groupe, semblent se concrétiser en éléments de fondements identitaires. Ancré dans la conscience collective, le stéréotype se présente sous la forme d’une certitude, lui conférant un caractère rigide et contraignant. Ainsi, il permettrait d’offrir du poids aux justifications d’un locuteur, créant aussi « l’effet d’une évidence difficile à contester » (Remysen, 2004, p. 100).