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Chapitre I : Rapport « identité » et « événement historique »

1.3. L’ « identité québécoise » / un rapport à l’histoire

1.3.4. Une histoire désincarnée

D’après l’analyse de l’auteure, malgré cette « omission » des Franco-Québécois dans la sélection des événements pour justifier leur autorité, l’incapacité à expliquer les motifs de leur position en tant que culture dominante résulterait surtout d’une difficulté à se reconnaître à travers ces événements historiques. Elle ajoute : « la méconnaissance de l’histoire des Franco-québécois autrement que par les dates charnières et symboliques de l’historiographie plus traditionnelle du Québec s’explique par le fait qu’eux-mêmes ne se reconnaissent plus dans cette dernière » (Lemire-Lafontaine, 2010, p. 102). Aussi, nous constatons une tendance de ces derniers à se référer à des représentations d’eux- mêmes associées à leur tradition alors que cette dernière ne s’incarne plus ou peu dans la société québécoise depuis les années 1960- 1970. Cette majorité aurait aujourd’hui bien de la difficulté à se référer à autre chose que des dates « charnières ». « Nous assisterions à un rapport à l’histoire qui demeure très fort, mais qui semble coupé de ses propres racines » (Lemire-Lafontaine, 2010, p. 102).

Ce passage nous interpelle puisqu’il permet de comprendre le problème du rapport à l’« Autre », sur deux plans. L’auteure parle d’abord d’une méconnaissance de l’histoire franco-québécoise autrement que par des dates symboliques. Autrement dit, en raison de cette rupture du lien entre les représentations des composantes de leur identité et des éléments de leur réalité historique, les Franco-québécois ne parviendraient plus à faire le pont entre eux-mêmes et la réalité historique de leurs traditions, pour pouvoir s’inscrire dans un rapport avec l’« histoire ». Le deuxième plan nous permet de saisir les

conséquences de ce comportement à l’échelle des relations interculturelles et interreligieuses. L’auteure parle ici d’une instrumentalisation de l’histoire de la part des Franco-québécois. En ce sens, ils utiliseraient les événements historiques selon les besoins de la situation pour justifier leur autorité sur les autres qu’eux-mêmes. L’histoire n’appartient plus à l’élément auquel nous nous référons pour rétablir un lien avec nos racines, pour nous reconnaître et nous situer en tant qu’individu et culture « dans » le monde historique ; elle semblerait plutôt être utilisée comme un « objet » justifiant un pouvoir d’autorité, selon les besoins de la situation. D’après l’auteure, « nous pouvons donc affirmer qu’il y a instrumentalisation de l’histoire; on assiste à un rapport à l’histoire qui demeure très fort, mais semble coupé du fil de la tradition. Est-ce là réellement un sentiment d’histoire ou bien de l’utilisation de l’histoire comme ancrage dans le temps et non pas dans la culture et la vie quotidienne? » (Lemire-Lafontaine, 2010, p. 102). Coupée de sa tradition et de son histoire, l’identité peut-elle prendre part aux échanges qui se situent au cœur des relations interculturelles et interreligieuses ? Nous verrons au chapitre II l’importance que Nishida accorde à cette forme de lien pour qu’une identité puisse se situer dans le monde, se reconnaître et s’épanouir. Autrement, une identité qui reste coupée du lien entre elle-même et son fondement ne peut être en véritable rapport avec les « Autres » ; ainsi, elle ne peut s’épanouir, et cela ne peut qu’engendrer des difficultés. L’auteure explique cela par le fait que « ces derniers semblent incapables de définir leur identité autrement qu’en citant les événements qui ont représenté une menace pour celle-ci. Les coutumes et traditions s’étant peu à peu effacées du quotidien, il ne reste que le souvenir de la survivance qui transcende dans la définition de l’identité québécoise contemporaine » (Lemire-Lafontaine, 2010, p. 105). Il en résulterait une difficulté à se reconnaître à travers ses propres traditions, créant un sentiment de déracinement et de fragilité. C’est ce qui pourrait expliquer cette tendance que nous retrouvons dans les déclarations présentées à la CBT, à utiliser l’argument historique, bien souvent de manière anachronique, et selon les besoins de la situation.

« Les exemples historiques que l’on retrouve dans les vingt-sept mémoires étudiés sont peu diversifiés, peu expliqués. En tant qu’arguments d’autorité, ces derniers

semblent établir une légitimité culturelle bien fondée à leur seule invocation. Nul besoin de le développer davantage, l’histoire est. Elle constitue un argument en elle-même. Que ce soit pour les luttes quant à la survie de la langue française, de la culture franco-québécoise ou des luttes liées à la laïcisation de l’espace public, de grands événements sont cités à titre d’ancrage et ne constituent pas matières à discussion » (Lemire-Lafontaine, 2010, p. 95-96).

Nous le constatons, le rapport entre les représentations identitaires de la culture franco- québécoise et l’histoire des Franco-québécois semble être investi d’autres formes que celle représentée dans la réalité. Comme nous l’avons mentionné plus haut, les exemples historiques utilisés dans les mémoires sont peu expliqués et peu diversifiés, ce qui témoignerait d’une rupture entre les Québécois d’ascendance canadienne-française et ce qui constituerait leurs fondements identitaires. Dans son texte, l’auteure présente une deuxième composante identitaire, l’objet religieux, par rapport à laquelle l’identité des Franco-québécois montrerait certains caractères spécifiques à un rapport particulier. Lemire-Lafontaine spécifie: « les témoignages qui réfèrent au catholicisme illustrent des images d’une histoire riche ayant laissé des marques et des traces dans l’imaginaire des Québécois » (Lemire-Lafontaine, 2010, p. 72). À quoi réfèrent ces empreintes et sur quels plans opèrent-elles ? Dans la section suivante, nous présenterons le texte d’une étude portant sur les représentations identitaires issues de l’imaginaire collectif de Québécois dans leur rapport au catholicisme.

1.4. Une construction identitaire / un rapport au catholicisme