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VÉRIFICATION DE NOTRE HYPOTHÈSE

4.3 LE CONTRÔLE DE L’INSTRUCTION DANS LA FAMILLE

4.3.3 Analyse des comptes-rendus

4.3.3.5 La situation vue du côté familial

L’administration attend des parents une implication du même type que celle des enseignants. Déjà dans l’organisation de la journée, puisque certains agents se renseignent sur les horaires consacrés à l’instruction, parfois pour en souligner l’insuffisance dans les comptes-rendus. Nous trouvons par ailleurs des allégations de ce genre : les enfants «remplissent des fiches d’exercices qui ne sont pas terminées…ni corrigées», «les

corrections restent irrégulières, le cahier d’expression écrite n’est jamais corrigé». Concernant le fils de

Charles, il est noté que «la correction d’exercices» est «très aléatoire». Ce dernier, qui a été enseignant de nombreuses années, réagit ainsi : «vous n’inspectez pas ici un enseignant…je ne suis

pas salarié de l’Education nationale, et je n’ai pas de bonne ou mauvaise note à recevoir». Dans sa

lettre sollicitant un recours gracieux, Martine écrit à son tour, «j’ai le sentiment d’avoir été

contrôlée au même titre qu’un professionnel». C’est tout le problème du statut des parents dans le

rôle qu’ils jouent en proposant à leurs enfants une instruction à domicile. Ils ne seront jamais enseignants comme l’imagine l’Education Nationale, et ils ne le souhaitent d’ailleurs pas. Peut-être faudrait-il imaginer un autre statut, celui de parent-enseignant par exemple. Il ne sera pas dans la même dynamique qu’un enseignant qui s’adresse au groupe-classe, et il n’aura sans doute pas les mêmes objectifs car il gardera toujours et en priorité sa spécificité de parent. Cependant ce terme n’est pas adapté pour autant à la réalité, nous avons vu que les parents n’enseignent pas toujours eux-mêmes, mais se situent bien souvent comme médiateurs entre le savoir et l’enfant.

L’évaluation professionnelle d’un enseignant a des conséquences sur son avancement et donc sur son traitement, elle se traduit beaucoup plus rarement par une sanction et encore moins par un renvoi. Nous voyons ici, en direction des parents, les conséquences d’une attente administrative inadaptée à la situation. Tels que les contrôles se déroulent, c’est l’évaluation, bonne ou mauvaise, du type d’instruction qui est appréciée à travers les compétences bonnes ou mauvaises des enfants.

Nous constatons, pour toutes les familles auxquelles nous avons eu à faire, un projet sérieux dans le choix d’instruire leurs enfants de la sorte. Il est vrai, qu’il est plus ou moins formulé ou conceptualisé, mais il dément selon nous, l’assertion sénatoriale selon laquelle «cette

qu’elle était «autrefois considérée comme un choix pédagogique réfléchi, ou comme une aimable lubie

dans les années 70». Les parents en témoignent à travers leurs écrits : «le contrôle de notre fille s’est déroulé dans des conditions que nous ne pouvons plus accepter, «Notre devoir de parents est d’offrir un climat propice à l’épanouissement de nos enfants et de leur permettre de retrouver confiance en eux», «Notre responsabilité parentale nous impose de protéger nos enfants et de leur fournir un climat propice à leur instruction».

Manifestement, les objectifs de l’Education Nationale, par des exigences de programmes et de niveaux, ne sont pas conciliables avec ce projet pédagogique, car ils l’enferment dans des limites incompatibles avec le projet éducatif qui l’accompagne.

L’application de la loi dans le sens d’un contrôle des acquis, a des répercussions importantes pour la famille alors que l’instruction qu’ils dispensent à leurs enfants ne se décline pas, pour ces derniers, en terme d’évaluation. C’est ce qui leur est reproché lorsque des «réserves» sont émises «sur une pratique…sans évaluation des acquisitions» ou lorsqu’il leur est recommandé de formaliser davantage la partie évaluation.

Les parents engagés dans l’instruction en famille sont dans une toute autre logique, par le fait même qu’ils ne s’adressent pas à une collectivité, mais à leur propre enfant, et qu’ils ont leur regard entièrement tourné sur lui. Ils sont donc particulièrement sensibles aux capacités de compréhension de ce dernier. Ils ont mis en place, grâce à ce mode d’éducation qui leur en donne la possibilité, un cadre et un environnement permettant de suivre le rythme de l’enfant sans contrainte de programme et de niveau autre que le décret mentionné plus haut. Cela ne veut pas dire pour autant qu’ils ne se préoccupent pas de ce que ce dernier apprend pour lui-même d’abord et aussi pour répondre aux exigences de l’article premier de la loi. Mais il s’agirait de s’entendre sur le sens que chacun donne à l’évaluation. L’école semble être dans une «évaluation à référence critériée» qui prend sens «dans la comparaison avec un critère de

contenu», alors que les familles sont dans une «évaluation formative», à seule fin de guider

l’enfant, «de l’informer sur les étapes franchies ou non» et qui permet aussi de vérifier «les effets réels

de l’action pédagogique» (Hadji in Ruano-Borbalan, 1998, p. 276).

Lorsque Michelle restitue ce que l’inspecteur a exprimé de sa conception de l’instruction parentale, c’est pour dire qu’elle «doit être faite dans le but d’avoir des résultats largement supérieurs

système scolaire pour être instruite à domicile, un IDEN constate, «à l’évidence» et pour le déplorer, une régression de l’enfant «sur le plan des apprentissages». «Sonia est en train de perdre le

sens de l’effort et de la réflexion». Et pour le coup, si les agents de l’Education Nationale

reconnaissent bien qu’il y a instruction, «elle ne saurait être considérée comme un véritable

enseignement». La vision des parents est quelque peu différente. Souvenons-nous, au chapitre

trois nous avons rapporté le témoignage d’une maman qui a retiré son enfant de l’école parce qu’«il était très tendu, très sous pression». Un autre enfant peut vivre la situation différemment, le bulletin scolaire signale alors «une enfant très discrète à l’oral», les inspecteurs nous disent qu’Elsa «semble redouter le contact avec d’autres élèves de son âge», ils craignent que «le manque de

contacts avec des groupes d’élèves ne l’aide pas à surmonter sa grande timidité». A cela, les parents

répondent qu’«elle a eu une mauvaise expérience au collège et qu’elle ne souhaite pas retrouver ce climat

certainement instructif, mais très peu éducatif» et ils soulignent «le manque de confiance accordé par les professeurs aux collégiens, le stress» et «l’esprit de compétition engendré par le système».

Les enfants qui sortent de l’école en situation d’échec, vivaient à l’intérieur de l’institution une «situation de souffrance», et c’est consciemment que les parents leur laissent du temps pour

«reprendre confiance [en eux] petit à petit». François DUBET met l’accent sur cette réalité en

montrant comment il peut être «très destructeur» de réduire les jeunes «à leur seule valeur

scolaire» et en affirmant que «nous aurions intérêt à nous délivrer de notre obsession de la performance de nos élèves»68.

Nous avons constaté personnellement qu’un enfant sortant du système scolaire avec un bon niveau, s’il en a le loisir, se donne lui aussi un laps de temps de plusieurs mois avant de reprendre son apprentissage là où il l’avait laissé. Comme s’il avait besoin de «décompresser» après un état de tension maximum. C’est une situation particulière que vivent les enfants qui sortent de l’école, à la différence de ceux qui n’y sont jamais allés. Dans les pays anglo- saxons, où la pratique de l’instruction à domicile est beaucoup plus répandue qu’en France, ce phénomène est bien connu des «homeschoolers», à tel point que des associations similaires à celle des «Enfants d’Abord», éditent des brochures sur ce thème afin d’aider les parents qui sont confrontés à cette situation. D’une façon générale, il y a dans ces pays, une réflexion plus

largement développée que chez nous autour de la souffrance scolaire, et qui est à l’origine de nombreuses publications.