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VÉRIFICATION DE NOTRE HYPOTHÈSE

4.2 LECTURE ET ANALYSE DES TEXTES OFFICIELS

4.2.2 Circulaire du 14 mai 1999

Quel est le rôle de cette circulaire ? En premier lieu, il convient de distinguer les circulaires réglementaires des circulaires purement interprétatives. Nous sommes ici dans la situation d’une circulaire interprétative, dans ce cas le document n’a en aucune façon force de loi ; il s’agit en quelque sorte d’une note de service, c’est à dire d’une

pièce strictement interne dont les usagers n’ont pas à avoir connaissance. Le Conseil d’Etat47

les déclare «parfaitement légales, mais insusceptibles d’être attaquées et invoquées à l’appui d’un

recours» (DURAND-PRINBORGNE, 1992, p. 40). Elle est uniquement destinée à présenter

et à commenter les nouvelles dispositions de la loi aux instances qui ont en charge de la faire appliquer.

Dès l’introduction, nous pouvons noter l’esprit avec lequel Madame ROYAL aborde cette nouvelle loi. C’est ainsi que nous pouvons lire «Chaque année, plusieurs milliers d’enfants

échappent à l’Ecole de la République. Trop souvent, ces enfants sont maintenus dans un état d’inculture, d’ignorance, ou pire encore, embrigadés, aliénés, maltraités». Il conviendrait d’abord de s’interroger

sur ce qu’est «l’Ecole de la République». Est-ce l’école publique héritière des «hussards noirs»

? Est-ce l’ensemble des établissements publics et privés sous contrats ? Ou bien est-ce que

cette école inclut tous les cas de figure reconnus par la loi ?

Si nous conservons l’expression avec la charge idéologique qui était la sienne à ses débuts, nous déduirons qu’il s’agit alors exclusivement de l’école publique. Mais dans ce cas, il n’est pas étonnant que des milliers d’enfants n’en fassent pas partie. Par contre, nous ne pouvons alors souscrire au contenu la seconde phrase.

Notre compréhension est donc sans doute fausse. Il semblerait plutôt que Madame ROYAL prenne pour «Ecole de la République» tous les établissements publics ainsi que ceux qui sont liés contractuellement à l’Etat ce qui semble, dans ce cas, une vue un peu courte du système éducatif français qui inclut aussi la liberté de l’enseignement. Y aurait-il des conséquences à cela en terme de concurrence ou d’intérêt ? Nous ne saurons pas réellement à quoi se réfère Madame ROYAL, quoi qu’il en soit, nous pouvons conclure à une intention délibérée d’orienter l’opinion, ne serait-ce que dans le choix du verbe «échapper».

Nous avons vu que le ministère lui-même avouait ne pas connaître le nombre d’enfants qui gravitent hors de l’école ; il avançait des chiffres «avec prudence» en précisant par deux fois qu’il s’agissait d’estimation. Pour ce qui est de l’instruction à domicile, ces chiffres n’ont d’ailleurs pas été confirmés dans le dernier rapport qui, nous le rappelons, dénombre 978 enfants instruits à domicile en décembre 1999. A moins que la raison de ce faible effectif ne

soit due à l’absence de déclaration en mairie de la part des familles, malgré l’amende encourue, auquel cas la nouvelle loi n’aurait pas atteint son objectif.

Nous avons relevé, dans cette circulaire, deux passages qui nous posent un problème d’interprétation.

Le premier concerne l’amendement présenté au nom du gouvernement lors du vote de la nouvelle loi et que nous avons déjà évoqué à deux reprises. Il précise que «cette instruction

obligatoire est assurée prioritairement dans les établissements d’enseignement».

Si nous interprétons cette phrase dans le sens où cette instruction obligatoire sera dispensée «tout d’abord» dans les établissements d’enseignement, nous ne pouvons alors que constater un geste politique délibéré, car seul le mot «prioritairement» fait que cette décision législative n’est pas anticonstitutionnelle48. C’est d’ailleurs l’interprétation qui en est faite par Madame

ROYAL qui parle de «la priorité, qui est proclamée par la loi, d’assurer l’instruction au sein des

établissements d’enseignement».

Voici ce qu’elle déclare d’autre part : «Sans remettre en cause l’instruction dans la famille qui peut

répondre à des situations sociales, familiales ou médicales particulières, la loi affirme pour la première fois, la priorité donnée à l’instruction dans les établissements d’enseignement». Elle répète son point de

vue quelques paragraphes plus loin en déclarant : «L’instruction dans la famille, qui fait l’objet

d’un régime déclaratif, doit revêtir un caractère exceptionnel, répondant en particulier aux cas d’enfants malades ou handicapés ou à certaines situations particulières», cependant que le protocole

additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales49stipule quant à lui que «l’Etat, dans l’exercice des fonctions qu’il assumera dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques». Comment se peut-il

d’ailleurs, qu’une disposition qui doit donner lieu à une simple déclaration préalable, et non pas à une demande d’autorisation, puisse avoir un caractère exceptionnel ?

48 Le Conseil Constitutionnel a estimé que la liberté de l’enseignement est un principe fondamental

reconnu par les lois de la République par décision 77-87 DC du 23 novembre 1977 donc parmi les principes que le même Conseil Constitutionnel par décision du 16 juillet 1977 élève au niveau constitutionnel. (Durand-Prinborgne, 1992, p. 59)

Nous pourrions proposer une autre interprétation de cette phrase litigieuse, qui est d’y lire simplement une affirmation, que les établissements d’enseignement assureront cette instruction obligatoire telle qu’elle est précisément définie dans l’article premier, et ceci en priorité parmi d’autres objectifs qu’ils pourraient se fixer50. Grâce à un aménagement

sémantique, le texte de la loi convient aux deux interprétations.

Nous restons assez perplexe sur la raison d’inclure un tel amendement si ce n’est, comme nous l’avons déjà supposé, l’expression d’un geste politique.

Nous allons à présent parler du second point qui nous préoccupe, mais auparavant nous devons signaler ce que nous verrons plus loin en détail, c’est qu’actuellement les contrôles portent essentiellement sur les acquisitions des enfants en matière d’instruction. Mais il est important de le souligner dès maintenant pour une meilleure compréhension de ce qui suit puisque nous nous interrogeons ici sur le bien fondé de cette pratique.