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Une situation politique qui freine la production cinématographique européenne Il est impossible d’aborder les deux projets de ce sujet de mémoire sans poser la

2 Documentaires, Commentaires de films et Interviews

I. 1936-1945 : Christophe Colomb : les prémices du projet d’une vie

2. Une situation politique qui freine la production cinématographique européenne Il est impossible d’aborder les deux projets de ce sujet de mémoire sans poser la

question nécessaire de l’existence ou non d’un cinéma dit européen pendant la Seconde Guerre mondiale. L’existence de tentatives de co-production à l’échelle européenne a déjà été abordée dans les parties précédentes et le sera maintes fois à nouveau dans la suite du raisonnement. Cependant il est intéressant de dresser une rapide typologie de ce cinéma européen, si il existe et de le mettre en relation avec le thème de ce sujet.

Il est assez ardu de trouver un nombre suffisant d’ouvrages dressant un portrait assez complet du cinéma européen. Les ouvrages sur les cinémas nationaux sont légion mais il est rare de trouver une description globalisante de ce dit cinéma européen. Celui-ci existe et les cinémas européens nationaux se doivent de vivre ensemble afin de survivre. Déjà dans les années 30 et tout au long des années 40, « les même acteurs traversaient continuellement les frontières nationales afin de jouer plus ou moins les mêmes

Fonds d’archives de la Cinémathèque de Toulouse, Dossier F12-4.26.a, Clé n°8.

Feuillet 1. Détails des versements de la C.F.G.C pour le projet Colomb sur l’année 1939.

120 Fonds d’archives de la Cinémathèque de Toulouse, Dossier F12-4.26.a, Clé n°6.

rôles »121. C’est un facteur que l’on trouve régulièrement chez Gance qui, s’il favorise

les acteurs français, n’a aucun mal à envisager des acteurs européen afin d’incarner ses protagonistes. C’est une interdépendance bienvenue qui favorise le montage de projets plus compliqués. Dans le cas d’Abel Gance et de Christophe Colomb, engager un acteur de nationalité différente que celle du film consiste à s’assurer de nouveaux financements et une source de revenus plus conséquente. A l’inverse, comme nous le verrons plus tard, des acteurs étrangers modifient la question de la nationalité d’un film et transforme, du même coup, les conditions de distributions et les montants des recettes touchées par les producteurs.

Le cinéma européen fonctionne grâce à cette dualité étrange et en constante compétition avec le modèle hollywoodien et la domination américaine sur le cinéma mondial, déjà dans les années 30. L’Europe jouit d’un système européen basé sur l’entraide mais sur la volonté intrinsèque de cultiver une production et un savoir-faire national. Le cinéma européen dispose de cette « rhétorique culturaliste, qui évoque les identités culturelles, qui utilise le langage comme l’âme d’une nation, sous couvert d’un devoir d’expression nationale, comme une forme de résistance à une hégémonie culturelle étrangère»122. Ainsi, le cinéma européen joue de cette force et

de cette entraide mais bataille sans cesse pour maintenir un éclat culturel national. Abel Gance use de cette dualité constamment en soumettant son projet à de nombreux producteurs étrangers, ne rechignant jamais à accepter des possibles financements étrangers.

Pour certains historiens, le cinéma européen est difficile à envisager pendant la Seconde Guerre mondiale à cause de l’importance d’user des films comme une vitrine pour prouver la bonne tenue économique, culturelle et politique d’un pays, dans des temps de crises. Ainsi, les historiens britanniques mentionnent une exception culturelle française dans les années 40, basée sur une « notion d’expression française, couplé à l’importance de la langue»123. Les historiens britanniques concèdent la dimension

industrielle du cinéma européen et l’assimile dans les années 40 comme un « cinéma en

121 Pierre SORLIN, European cinemas, European societies 1939-1990, London,

Routledge, coll. « Studies in film, television, and the media », 1990, 256 p.27

122 Geoffrey N

OWELL-SMITH et Steven RICCI (eds.), Hollywood and Europe: economics, culture, national identity 1945-95, London, British Film Institute, 1998, 164 p.2

tant que produit des industries nationales, produit avec des ressources nationales et vendus avec les monnaies nationales »124.

Peut-on alors parler de cinéma européen pendant la Seconde Guerre mondiale ? Oui et non. Le projet Colomb est l’exemple type des grosses productions en Europe pendant la période. Le cinéma européen a besoin de ces films mais ne peut les financer à l’échelle locale et dans un contexte de liens diplomatiques fragilisés, le cinéma européen en tant que notion peut difficilement exister. Les britannique se tournent facilement vers le cinéma américain et les grosses maisons de production. Tout y est facilité pour eux car les acteurs n’ont pas besoin de connaître plusieurs langues, les documents officiels n’ont pas besoin de passer entre divers traducteurs et autres secrétaires avant d’arriver à bon port. La multitude des langues et des moyens de communication pendant la Seconde Guerre mondiale ont gangréné le projet de Gance dans le sens ou le projet a perdu beaucoup de temps dans cette logistique de traductions.

Il est aussi important de rappeler le nombre important d’acteurs et actrices, de producteurs, de scénaristes qui ont fui l’Europe vers l’Amérique au moment de la montée du nazisme et pendant la Seconde Guerre mondiale ainsi que les nombreux gens de cinéma (des techniciens aux réalisateurs) qui ont été tués ou emprisonnés. Ce facteur humain est à prendre en considération et la France a perdu nombreux de ses acteurs et réalisateurs pendant la Seconde Guerre mondiale125.

Les cinémas nationaux sont développés mais ne sont clairement pas la priorité. La France oscille systématiquement entre zone occupée et zone libre. Les films à la gloire de Pétain et les autres diffusés en zone libre rameutant des foules considérables. En revanche les films produits par Vichy ou pour Vichy subissent un profond dégout en zone occupée. Gance le comprendra lorsque sa Vénus aveugle (1941) sortira en zone occupée deux ans après la sortie du film en zone libre. Alors qu’à Vichy, dédié au

124 Ibid. p.6

125 Christian GILLES, Le cinéma des années quarante par ceux qui l’ont fait : 1940-1944 interviews exclusives, Paris Montréal [etc.], l’Harmattan, coll. « Champs visuels.

Documents », 2000, p.12. « Une multitude d’artistes de l’avant-guerre sont absents : Jean-benoit Lévy, Pierre Chenal, René Clair, Julie Duvivier, [...] Jean Renoir chez les cinéastes »

Maréchal Pétain, a été très bien reçu, le film est hué et détruit par le public de la zone occupée126.

Le cinéma britannique repose principalement sur le cinéma de propagande très important dans la société britannique et dans les environnements culturels. Le Royaume-Uni dispose de grands studios capables de recevoir et de créer des œuvres importantes mais la machine à rêves est arrêtée pendant la Seconde Guerre mondiale afin de mettre le cinéma au service de la nation et de la propagande. L’Italie dispose elle aussi de grands studios à Rome et produit de nombreux films visant à rappeler la grandeur de l’Italie et de l’Empire romain en général. L’Italie est considérée comme un vivier à actrices. Il n’est pas rare que de nombreuses actrices italiennes viennent à décrocher une carrière internationale. A l’inverse, l’Italie de Mussolini n’est pas adepte du cinéma car elle est trop occupée par sa situation militaire, politique et diplomatique. L’Espagne de Franco est un peu à part car elle souhaite offrir un rayonnement culturel à son pays grâce au cinéma mais fait systématiquement face à une sorte de protectionnisme espagnol, très vif à l’égard des réalisateurs étrangers et qui donc empêchent souvent de grosses productions d’être tournées en Espagne.

Les cinémas européens sont donc pour la plupart dans une situation délicate. D’abord car les gouvernements n’ont aucun soutien pour le cinéma à une période où les priorités sont ailleurs. Deuxièmement, les nationalismes handicapent les tentatives de co- production même si les producteurs à leurs niveaux tentent de tirer leurs épingles du jeu. La plupart des co-production pour le projet pendant la Seconde Guerre mondiale échoue à cause des nationalismes exacerbés, d’une volonté de s’allier à son voisin afin de faire fructifier un projet alors même que certains gouvernements ont une politique très stricte à cet égard.

« Purement, en terme de chiffres, la production Hollywoodienne pour l’année 1939 était de 527 films, alors que les productions italiennes et

126 Roger ICART, Abel Gance ou le Prométhée foudroyé, op. cit. p.317. « Le film fut

très bien accueilli à sa sortie, fin 1941, en zone libre où il battit tous les records de recettes et fut célébré comme un événement par la critique. [...] en octobre 1943, [c’est] avec une extrême sévérité que fut reçue cette œuvre populiste entaché

d’outrances mélodramatiques et d’intentions jugées alors trop vichyssoises (en zone occupée) »

allemandes pour la même date étaient de seulement 160 films. Seulement, après 1940, alors que l’Allemagne étendait son contrôle et ses alliances sur l’Europe, celle-ci avec l’aide de Goebbels, commença à vampiriser les industries locales du cinéma. »127

Avant la Seconde Guerre mondiale, c’est l’Amérique qui surplombait le marché cinématographique européen, ne laissant que quelques miettes aux pays européens. Pendant la guerre, l’Allemagne s’approprie les artistes des autres pays afin de se créer un cinéma allemand national et dominer la production, très faible en Europe à l’époque. Le cinéma européen est une notion compliquée. Si elle mise en contradiction avec le cinéma hollywoodien, c’est une notion valide car les deux industries sont à l’opposé l’une de l’autre. A l’inverse le cinéma européen en tant de notion rassembleuse et outil diplomatique n’est plus valable pendant la Seconde Guerre Mondiale. Même si les questions de nationalités sont importantes et que certains pays préfèrent engager des acteurs étrangers afin de ne pas froisser les pays voisins, ce sont juste des cas isolés qui, dans le cas de Christophe Colomb, n’ont jamais aboutis.

Un dernier point est aussi à souligner. Pour le projet Christophe Colomb, on peut dire que les différents producteurs engagés ont eu de l’avance sur leur temps. Le système de co-production entre les différents pays d’Europe est quelque chose de très rare. S’il est évident que cette technique est une nécessité pour faire exister des projets à un moment où la production européenne est en difficulté, le phénomène est rare dans les années 40 et ne prendra vraiment de l’ampleur que dans les années 50128. C’est un des principaux

points à ne jamais oublier tout au long de la recherche, au moins jusqu’à la fin des années 40. La co-production est une nécessité mais une méthode de production encore peu répandue, peu reconnue, mal organisée et disposant de peu de représentations au niveau des différents gouvernements.

127 Geoffrey N

OWELL-SMITH et Steven RICCI (eds.), Hollywood and Europe, op. cit.

p.24

128 Jean-Charles SABRIA, Cinéma français : Les années 50 les longs métrages réalisés de 1950 à 1959, Paris Centre Georges Pompidou, Economica, 1988, p.7. « 1950. [...]

Des accords de co-production sont signés entre la France et les pays voisins comme l’Italie (qui demeurera une partenaire privilégiée), l’Allemagne et l’Espagne. [...] Les systèmes de coproductions va provoquer un échange incessant des deux côtés des Alpes entre acteurs français et italiens. »