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2 Documentaires, Commentaires de films et Interviews

III. 1950-1981 : le navigateur espagnol dans la tempête

3. Dans l’impossibilité d’une entente.

Il faut attendre novembre 1967 afin d’avoir de nouvelles occurrences dans le dossier consacré à Christophe Colomb. La communication entre Abel Gance et l’O.R.T.F semble au point mort et rien ne semble vraiment progresser. La frustration est importante de chaque coté et c’est Abel Gance qui relance le sujet auprès de Jean- Claude Michaud après n’avoir visiblement eu aucunes nouvelles concernant l’avancement des tractations depuis août 1967. La question de la durée du projet est toujours importante pour le réalisateur qui confirme à Michaud les efforts d’adaptation qu’il a effectué sur son découpage. Mais le mal est déjà fait et Abel Gance évoque déjà le projet comme étant dans une « impasse »397. Le réalisateur donne ensuite de plus amples informations concernant les ajustements qu’il opère sur cette dernière version du scénario :

« J’ai fait un resserrement des huit heures de projection de la Découverte de l’Amérique en trois heures vingt comme l’indique mon contrat du 31 août 1966, ainsi libellé : cette œuvre devra permettre une émission de trois heures vingt diffusées en deux parties. »398

Quinze mois après l’établissement du contrat, Abel Gance consent enfin à livrer un film ayant la durée souhaitée. Le réalisateur semble complétement désenchanté et avoue même « comprendre les raisons du silence » de Michaud, sans doute excédé et déçu d’avoir fait confiance au réalisateur et d’avoir porté ce projet sur de très longs mois sans le voir aboutir. Abel Gance revient à la charge le 27 novembre 1969 dans une nouvelle

396 Archives de la Cinémathèque de Toulouse, Fonds Abel Gance, dossier F12-4.26.b

Clé n°126. Feuillet 1. Lettre de J.C Michaud à Abel Gance datée du 18 août 1967

397 Archives de la Cinémathèque de Toulouse, Fonds Abel Gance, dossier F12-4.26.b

Clé n°128. Feuillet 1. Lettre d’Abel Gance à J.C Michaud datée du 23 novembre 1967

398 Archives de la Cinémathèque de Toulouse, Fonds Abel Gance, dossier F12-4.26.b

lettre399 qu’il envoie cette fois-ci à Jean Capin400. Son impatience se fait désormais clairement sentir, estimant qu’en 1967, il « mérite tout de même certains égards ». L’incapacité de dialoguer est accentuée par les combats d’égos des protagonistes impliqués. Abel Gance reconnaît ses erreurs mais n’avouera jamais entièrement être l’unique responsable de l’échec d’un de ses films. Michaud doit rendre des comptes à sa hiérarchie et l’on peut supposer qu’il a joué un grand rôle dans la tolérance exprimée par l’O.R.T.F envers Gance malgré ses retards successifs. Michaud a aussi du joué de son influence afin d’élargir les délais du réalisateur. Il est donc aisé de comprendre son silence.

Gance fait face à un mur et ses missives restent sans réponse au mois de novembre même si ces mêmes lettres sont remplies de questions. Fin novembre, il évoque une version trilingue avec Curt Jurgens401 et demande à ce que « la grande maison [O.R.T.F] ne reste pas muette402».

En décembre 1967, Abel Gance ne peut plus retenir sa colère. Dans une lettre enflammée, il laisse exprimer toute son indignation. En voici une retranscription quasiment complète, la lettre étant le réel point de non-retour pour le projet télévisé.

« Aurai-je la lèpre sans le savoir, ou bien, ce qui est plus explicable, quelque Carabosse invisible aurait-elle endormi tous les dirigeants de l’O.R.T.F pour faire de moi « l’Abel au bois dormant » ? Je suis en effet, plongé dans un tel bain de silence que je ne me souviens pas, au cours de 52 ans de carrière, d’avoir subi un affront de cet ordre. [...] Christophe Colomb qui m’a demandé près de 400 jours et de nombreuses nuits de travail sans être soutenu ni financièrement ni moralement par personne. Vous savez ce que cela veut dire ! [...] Après avoir fait à la télévision « Marie Tudor », dont de nombreuses lettres me réclament un nouveau

399 Archives de la Cinémathèque de Toulouse, Fonds Abel Gance, dossier F12-4.26.b

Clé n°129. Feuillet 1. Lettre d’Abel Gance à Jean Capin datée du 27 novembre 1967

400 Annexe 1 : Index des personnalités p.160 401 Annexe 1 : Index des personnalités p.164

402 Archives de la Cinémathèque de Toulouse, Fonds Abel Gance, dossier F12-4.26.b

passage, je ne mérite pas cet abandon au milieu d’un désert alors que par peur, par égoïsme, par incompréhension ou par méchanceté, je ne puis trouver devant moi aucun visage pour comprendre que la solution du problème Colomb est la même que celle d’Abel Gance, liés que nous sommes tous deux, toutes proportions gardées, par les mêmes lois de la réussite et de la fatalité. »403

La virulence de la prose est exceptionnelle et la lettre est vraiment le dernier point de scission entre la compagnie et le réalisateur. Si les lettres précédentes pouvaient laisser penser que Gance reconnaissait ses erreurs, celle-ci vient renforcer l’idée que le réalisateur est à bout de souffle et que même si le projet venait à se concrétiser maintenant, il n’aurait peut-être plus les épaules nécessaires pour porter le projet. À nouveau, Abel Gance compare son destin à celui du navigateur et rappelle son statut d’artiste ainsi que l’estimation du temps passé à élaborer le projet. Cette dernière information est un aveu de faiblesse et un rappel aux dirigeants de l’O.R.T.F que le projet n’a pas progressé depuis un peu moins d’un an et demi.

Le même jour que la lettre enflammée du 21 décembre, Abel Gance évoque le projet à Georges Neveux404 et ses mots sont surprenants. Alors qu’il basait sa défense sur le nombre d’heures de travail fournies et sur ses grands efforts d’ajustements sur son découpage pour se rapprocher du temps prévu dans le contrat, le réalisateur prône un tout autre discours dans la lettre à son ami405, écrite le même jour. Il commence par une métaphore disant que « traiter la vie de Colomb en une heure et demie, c’est vouloir placer la Tour Eiffel sous l’Arc de Triomphe ! ». C’est dans la suite de sa lettre que ces propos sont une cassure nette avec sa lettre à l’O.R.T.F. Il explique à Neveux ne plus vouloir réduire le projet à trois heures vingt mais de l’allonger et de produire treize émissions d’une durée d’une heure chacune. Pour mener à bien cette énième version du projet, Gance dispose de deux options. La première consisterait à faire fructifier la co-

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Clé n°130. Feuillet 2. Lettre d’Abel Gance à un potentiel représentant de l’O.R.T.F, dont il est difficile de définir l’identité, datée du 21 décembre 1967

404 Annexe 1 : Index des personnalités p.167

405 Archives de la Cinémathèque de Toulouse, Fonds Abel Gance, dossier F12-4.26.b

Clé n°131. Feuillet 2. Lettre d’Abel Gance à Georges Neveux datée du 21 décembre 1967

production italienne406 qu’il a longtemps refusé. Gance commence donc à mettre l’O.R.T.F de coté et tente une dernière fois de faire mûrir ses efforts. La deuxième option est de baser l’élaboration de son projet sur le nom de Curd Jurgens et de bénéficier d’apports financiers américain, canadien et allemand, l’acteur étant trilingue (anglais, allemand, français). Le but de Gance pour la co-production américaine est de souligner les rapports entre le vieux Continent et le nouveau Monde et d’appuyer les atouts d’une telle production pour l’Amérique.

Le 2 février 1968, les négociations avec les diverses co-productions semblent avancer lentement mais ce que désire vraiment le réalisateur est de se libérer définitivement de son contrat avec l’O.R.T.F afin de « redresser ma situation qui, depuis plusieurs mois, pour un homme de 79 ans, est devenue intenable sur le plan pécuniaire »407.

Gance s’avoue vaincu, la tentative de montage du projet avec l’O.R.T.F n’a été qu’un ensemble de désillusion et de non-lieux. Abel Gance décrit une « ambiance où ne règnent ni l’intérêt ni l’enthousiasme auquel j’étais habitué ». Il demande ainsi la résiliation de son contrat d’août 1966, se libérant définitivement de son engagement avec l’O.R.T.F. Il fait allusion à une note de Jean-Claude Michaud, supposant que celui- ci a quelque peu poussé Abel Gance a rédigé cette lettre à Jacques Bernard Dupont. Le réalisateur concède que son projet était beaucoup trop ambitieux comparé aux exigences de l’O.R.T.F. Il sous-entend aussi que, même s’il a une grande part de responsabilité dans cet échec, les « normes » imposées par l’O.R.T.F étaient beaucoup trop restrictives pour lui. Le 7 mars 1968408, la demande de résiliation est officialisée, enterrant définitivement le projet en association avec l’O.R.T.F.

406 La co-production italienne est représentée par Biasini. On ne dispose

malheureusement que de très peu d’informations concernant cet homme et sur sa profession.

407 Archives de la Cinémathèque de Toulouse, Fonds Abel Gance, dossier F12-4.26.b

Clé n°132. Feuillet 2. Lettre d’Abel Gance à Jacques Bernard Dupont datée du 2 février 1968

408 Archives de la Cinémathèque de Toulouse, Fonds Abel Gance, dossier F12-4.26.b

C. Fin de vie