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2 Documentaires, Commentaires de films et Interviews

II. 1940-1950 : Giselle, la parenthèse aux mille espoirs.

2. Entre le Royaume-Uni et l’Amérique

Conjointement aux pourparlers en cours avec la Belgique et la C.I.F, Abel Gance prévoit une issue de secours pour son projet en la personne de Steven Pallos. Ce producteur britannique, austro-hongrois de naissance et basé à Londres, est une figure à part dans le développement de Giselle. Considéré comme un ami par Abel Gance, il est une figure fantomatique de l’histoire du cinéma301. Il a joué un rôle dans une des

tentatives de développement du projet mais les seules informations conséquentes le concernant parviennent du fonds toulousain. On peut être certain que Steven Pallos a joué un rôle fondamental en servant de lien entre l’Europe et l’Amérique pour cette tentative de production.

Le 9 août 1946302, Abel Gance affirme à Steven Pallos détenir les fonds suffisants

afin de financer son projet. L’intérêt premier d’associer Steven Pallos au projet est que celui-ci connaît de nombreux acteurs anglais et américains, gage de sûreté afin d’obtenir des crédits américains. Gance souhaiterait obtenir James Mason303 dans le rôle d’Axel,

299 Archives de la Cinémathèque de Toulouse, Fonds Abel Gance, dossier F12-4.29.c

Clé n°31. Feuillet 2. Lettre d’Abel Gance à Mr Saint-Lou, datée du 10 décembre 1946

300 Archives de la Cinémathèque de Toulouse, Fonds Abel Gance, dossier F12-4.29.c

Clé n°31. Feuillet 2. Lettre d’Abel Gance à Mr Saint-Lou, datée du 10 décembre 1946.

301 Alessandro BESSY, L’oeuvre sacrifiée: Histoire de Giselle et Christophe Colomb, films inachevés d’Abel Gance (1937-1950), Toulouse, Mémoire de recherche, 2016.

p.64-66

302 Archives de la Cinémathèque de Toulouse, Fonds Abel Gance, dossier F12-8.74 Clé

n°5. Feuillet 1. Lettre d’Abel Gance à Steven Pallos, datée du 9 août 1946

ainsi qu’utiliser le procédé GEVAERT304, en lequel il porte beaucoup d’espoir. Steven

Pallos est donc ce pilier qui peut donner une nouvelle ampleur au projet. Dans une seconde lettre, Gance apprend à Steven Pallos qu’il dispose « déjà de trente millions pour la version française, de [ses] belges d’Anvers »305. Gance s’avance assez vite et

gonfle les chiffres. À la date du 14 août 1946, le seul contrat dont il dispose concerne la CIF dont une promesse sur les avances de capitaux s’élève à 2.500.000 de francs belges. Quant au budget final du projet, il est estimé à 10.000.000 de francs belges306. L’affirmation du réalisateur est démesurée quand il bloque la somme (imaginaire) d’environ 180.000.000 de francs belges (30.000.000 de francs français). La différence est ubuesque. Gance a toujours été très peu intéressé par les questions monétaires de ses films. Il a pu gonfler les chiffres en tout état de cause afin de tromper Steven Pallos et de survendre un projet grandiose qui, à l’heure actuelle, n’a aucunes valeurs.

Le deuxième intérêt majeur qu’à Gance de s’associer avec Steven Pallos est sa connaissance qu’a celui-ci des maisons de productions britanniques et en particulier la société Rank307. Il est difficile de déterminer si Steven Pallos faisait partie de l’écurie Rank mais il disposait tout de même de nombreux contacts. En octobre 1946, Gance semble d’ailleurs s’impatienter du peu de nouvelles qu’il reçoit de la compagnie alors qu’il avait reçu de nombreuses propositions plus tôt dans l’année. Steven Pallos amorce une première explication dans une lettre du 15 octobre 1946308, où il décrit la situation

ainsi :

-« J’ai noté que vous aviez terminé Giselle. J’ai bien peur qu’il sera extrêmement compliqué d’obtenir une combinaison pour une version

304 Le procédé Gevaert est un nouveau moyen de réaliser des films sur pellicule

couleurs. La société Gevaert est une société belge spécialisée dans l’image et la photographie depuis la fin du XIXème siècle.

305 Archives de la Cinémathèque de Toulouse, Fonds Abel Gance, dossier F12-8.74 Clé

n°8.

306 Archives de la Cinémathèque de Toulouse, Fonds Abel Gance, dossier F12-4.29.c

Clé n°11. Feuillet 2. Lettre de Monsieur Arien à Abel Gance, datée du 24 juillet 1946

307 Maison de production britannique, très active après la Seconde Guerre Mondiale.

Steven Pallos a de nombreux contacts avec la société de production car sa propre maison de production, Omnia Films Ldt, dépend des financements de la société Rank.

308 Archives de la Cinémathèque de Toulouse, Fonds Abel Gance, dossier F12-8.74 Clé

anglaise produite sur le continent car les quotas de films britanniques ont augmenté pour avril 1947. 309»

Steven Pallos ne condamne pas entièrement le projet mais il juge impossible sa réalisation en Europe et surtout avec le concours d’une éventuelle production britannique. À nouveau, c’est la question de nationalité du film qui pose problème. Au sortir de la guerre, la tendance est au repli et aux tentatives de revivification des cinémas nationaux. La Seconde Guerre mondiale a joué un rôle de blocage des productions européennes alors que le cinéma américain atteignait une vigueur extraordinaire. L’enjeu des cinémas européens est de dynamiser à nouveau des projets nationaux et la présence de quotas n’est pas un fait uniquement britannique. Si Gance réalise le film avec des acteurs français et une équipe technique française mais que le film est produit par une compagnie britannique, le projet sera considéré comme financé par le Royaume-Uni mais n’aura pas la nationalité britannique. Ces questions de diplomaties et d’appartenance dominent le cinéma européen et accepter le projet de Gance reviendrait à financer un projet pour un autre pays.

Dans une conversation téléphonique avec un destinataire inconnu, Steven Pallos suggère de « réaliser l’affaire avec l’Associated British »310. La lettre qui confirme cet

appel téléphonique a pu être envoyée par Mr Arien. Il reste cependant plus probable que l’émetteur soit Mr Verswyver, citant le fait que la société qu’il représente est devenue le distributeur des films de l’Associated British pour la Belgique. En partenariat avec Gaumont, une nouvelle société de production est ajoutée dans l’espoir de faire fructifier les nombreux efforts déjà engagés pour le projet. Cette société, la Franco-London-Film Export, est présidée par Mr Deutschmeister qui tente la levée de capitaux en Amérique et en Angleterre.

La période allant de novembre 1946 à février 1947 reste trouble. La version anglaise en coproduction avec Steven Pallos patine mais Gance prévoit toujours le début du tournage pour le 1er décembre 1946. Il est très difficile de cerner les évènements qui se

309 En anglais dans le document.

310 Archives de la Cinémathèque de Toulouse, Fonds Abel Gance, dossier F12-4.29.c

sont déroulés à cette période d’autant plus que le 16 novembre 1946311, Abel Gance est

toujours confiant vis-à-vis du début du tournage début décembre. En Mars 1947, Mr Fourre-Cormeray fait la promesse à Gance « de dégeler des capitaux d’une société américaine pour permettre [l’élaboration] d’une double version en France »312. C’est

une proposition alléchante faite à Gance qui pourrait bénéficier à la fois de capitaux importants tout en restant en France pour la réalisation. L’implication d’actionnaires américains oblige bien sûr le réalisateur à effectuer une version bilingue et à trouver un casting international.

Mr Deutschmeister est aussi une figure importante du projet Giselle. Il est le lien entre Paris et Hollywood, où il connaît de nombreuses personnalités. Il est aussi, rappelons le, proche de Casey Robinson, ce qui fait dire à Gance qu’il attend de Deutschmeister des « connections utiles »313. Le cinéma est une industrie et le système

de contact et de passe-droits est un des modèles immuables d’Hollywood. Avoir Deutschmeister de son côté est une sécurité pour Gance qui voit, en cet homme, le sauveur de Giselle. A nouveau Gance tente la piste américaine et continue de mettre au courant Steven Pallos, qui devient une sorte de conseiller pour Gance. Lors de la venue à Paris « d’amis américains puissants »314 de Gance, celui-ci écrit une lettre à Steven

Pallos lui demandant des conseils sur son découpage.