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Situation de départ et objectifs

En 2010, le Bureau fédéral de l'égalité entre femmes et hommes (BFEG) publiait un document de base intitulé « Reconnaissance et revalorisation du travail de care - Agir pour l’égalité ». Dans ce do-cument, on apprend que ce travail, indispensable et même fondamental pour notre société, subit une pression croissante et qu’il s’agira désormais de relever des défis majeurs dans ce contexte, que ce soit en rapport avec l’évolution démographique ou en rapport avec une répartition différente des tâ-ches entre les sexes.

Le travail de care non rémunéré, fourni sous la forme de tâches d’assistance, de soins et de garde auprès des enfants ainsi que des adultes tributaires de soins et d’encadrement, constitue un facteur décisif de prospérité sociale d’un pays (OCDE : Cooking and Caring 2011) ; pourtant, ce travail est assorti d’inconvénients considérables : en Suisse, il constitue aujourd’hui un risque de paupérisation, dans la mesure où il n’est souvent qu’insuffisamment couvert par la sécurité sociale. Ce risque peut à son tour constituer un obstacle structurel à un partage des tâches égalitaire entre parents, dans la mesure où la logique économique dicte qu’une personne au moins qui vit dans un ménage familial se livre à une activité qui bénéficie d’une bonne couverture sociale ; cette sécurité pourra, le cas échéant, couvrir l’autre membre du couple. Les problèmes apparaissent en cas de dysfonctionnement de ce modèle, par exemple en cas de modification intrafamiliale de la constellation du ménage (p. ex. sépa-ration ou divorce).

LE TRAVAIL DE CARE NON RÉMUNÉRÉ DEMEURE UNE NÉCESSITÉ DANS NOS SOCIÉTÉS. Cette nécessité ne disparaît en effet pas avec l’insertion professionnelle progressive des mères. Le vieillissement de la population risque au contraire d’accroître encore son importance. Aujourd’hui, il s’agit de répondre à la question suivante : qui se chargera à l’avenir du travail de care ? Vouloir le couvrir à part entière par du travail rémunéré n’est ni possible, ni envisageable. Par contre, ce qu’il faut souhaiter, c’est que désormais ce travail se répartisse sur un nombre aussi élevé que possible de personnes, hommes et femmes. Toutefois, cet objectif ne pourra être réalisé que si le travail de care non rémunéré n’est plus synonyme de discriminations structurelles dans le monde du travail et dans la politique sociale.

La présente étude de fond, intitulée « La protection sociale du travail de care non rémunéré », procè-de à une analyse plus précise procè-des inégalités procè-de couverture et indique dans quelle direction procè-devraient s’orienter les stratégies qui visent à assurer une meilleure protection sociale du travail de care non rémunéré accompli par les femmes et par les hommes.

Dans le présent rapport, le travail de care s’entend comme le travail de prise en charge, d’assistance et de soins aux enfants mineurs et aux proches dont la santé est déficiente. Le travail de care ne comprend donc pas la totalité des activités non rémunérées accomplies par exemple par la ménagère pour son mari dans le cadre de la répartition traditionnelle des rôles ou les activités effectuées pour soi-même. Il comprend par contre le travail ménager qui découle inévitablement des responsabilités liées à une activité de care.

Cette définition du travail de care correspond à celle de la première publication du BFEG (BFEG 2010) consacrée à ce sujet. La question centrale est la suivante : sous quelle forme convient-il d’assurer la couverture sociale du travail de care non payé que les femmes et les hommes accomplissent au cours de la vie compte tenu des mutations en cours tant au niveau de l’organisation du partage des tâches entre les sexes qu’au niveau de l’organisation de l’État social.

Le travail de care – une nécessité. Caractéristiques.

Les récentes années ont vu émerger, dans différentes disciplines, une littérature de recherche consa-crée à la thématique du care toujours plus étoffée au niveau international. La NOTION anglaise recou-vre aussi bien la composante émotionnelle que la composante pratique de la prise en charge d’autrui (soins, garde, assistance, etc.) et elle est donc difficile à traduire. Développée à l’origine pour désigner l’« action féminine » non rémunérée ayant valeur de travail (cf. Finch/Groves 1983), l’approche du care a été élargie par la suite pour englober le travail de care rémunéré. Dans le débat plus récent, on analyse explicitement le rapport entre LE SECTEUR RÉMUNÉRÉ ET LE SECTEUR NON RÉMUNÉRÉ DE CETTE ACTIVITÉ, notamment pour savoir dans quelle mesure le transfert du travail de care dans le secteur rémunéré est le seul moyen de voir se réaliser l’égalité des sexes dans ce domaine. Dans la littérature spécialisée, on trouve d’une part des approches qui proposent un cadre analytique pour étudier l’économie du secteur rémunéré et du secteur non rémunéré1

L’attention croissante accordée à ce thème se base sur la reconnaissance du fait que le travail de care est indispensable pour une société et qu’IL NE POURRA JAMAIS ÊTRE TRANSFÉRÉ À PART ENTIÈRE DANS LE SECTEUR RÉMUNÉRÉ (Lewis/Giullari 2005). C’est en effet ce travail qui assure la santé et la socialisation des travailleuses et des travailleurs ; il est donc, en termes économiques, constitutif de potentiel humain, mais aussi lieu de production de richesse sociétale, de sens communautaire et de normes, eux-mêmes à la base de l’économie de marché et de l’organisation sociale (Himmelweit 2002). Dans le domaine du travail de care non rémunéré, l’incitation à travailler n’est pas d’ordre mo-nétaire, mais d’ordre émotionnel, déclenchée par une empathie et un sens des responsabilités qui reposent aussi sur la réciprocité et sur des normes liées au genre. Qu’il soit rémunéré ou non, le tra-vail de care obéit à une logique qui lui est propre (p. ex. Folbre/Bittman 2004) dans la mesure où il est difficile à délimiter dans le temps. De plus, LE PRODUIT DUNE TELLE ACTIVITÉ NEST PAS TOUJOURS CLAIREMENT DÉFINI car LES RELATIONS HUMAINES CONSTITUENT UNE PARTIE DE LACTIVITÉ ; par consé-quent, le produit, le producteur/la productrice et le/la destinataire du produit ne sont pas toujours clai-rement délimitables. Par ailleurs, le travail de care se distingue par la multiplicité des tâches à accom-plir parallèlement et par les besoins élevés de communication et de coordination. Les POSSIBILITÉS DOPTIMISATION ÉCONOMIQUE SONT LIMITÉES car il n’est guère possible d’augmenter la création de va-leur par des méthodes de production à plus forte intensité de capital (automatisation, production de masse). Des activités telles que l’écoute et la conduite d’entretiens ne peuvent être accélérées à vo-lonté. Ces particularités du travail de care permettent d’expliquer pourquoi le travail de prise en charge et de soins non rémunéré EST AUJOURDHUI MOINS VALORISÉ PAR LA SOCIÉTÉ QUUN TRAVAIL RÉMUNÉRÉ. Pire : très souvent, les activités de care ne sont même pas considérées comme un travail.

; d’autre part, on y trouve des travaux de recherche sur la politique sociale qui mettent en évidence LANCRAGE DES RÉGIMES PRÉVOYANCE SOCIALE DANS DES ARRANGEMENTS SPÉCIFIQUES ENTRE LES GENRES (voir ci-après). Dans le contexte de la recherche sur les questions de développement, l’Institut de recherche des Nations Unies pour le développement social (UNRISD) a mis en place un vaste projet de recherche comparative intitulé

« Political and Social Economy of Care », qui couvre aussi la Suisse (Madörin et al., à paraître pro-chainement).

1 On trouve des entrées en matière très utiles chez Folbre 2001, Jochimsen 2003, England 2005 ; en allemand : Madörin 2006.

La valorisation inégale du travail de care par rapport à d’autres activités, qui sont rémunérées, se re-trouve d’ailleurs dans le domaine du travail de care rémunéré : on observe que dans ce secteur les salaires sont sous pression ; cette tendance est aggravée par le fait que d’autres personnes accom-plissent un travail (presque) identique gratuitement ; par conséquent, LES PROFESSIONNEL-LE-S DU CARE,en tant que « PRISONERS OF LOVE »[CAPTIFS DE LAMOUR DU PROCHAIN](Fobre 2008), sont vulné-rables au chantage.

L’adaptation de l’État social à un partage plus égalitaire des tâches – payées et non payées – entre les sexes est un thème important dans la recherche sur les politiques sociales au niveau international ainsi que dans les études genre, qui analysent les interactions entre prévoyance sociale et arrange-ments entre les genres. La couverture du travail de care constitue un aspect central de ces études.

Par conséquent, la présente étude de fond entend :

prendre connaissance des RÉSULTATS DE RECHERCHE RÉCENTS afin d’avoir une approche systémati-que de cette thématisystémati-que (chapitre 2) ;

analyser les informations faisant état de PROBLÈMES CONCRETS LIÉS À LA COUVERTURE SOCIALE du travail de care dispersées dans de nombreuses études empiriques effectuées sur les différents sys-tèmes de couverture qui existent en Suisse, puis effectuer une synthèse (chapitre 3) ;

DÉCRIRE SUCCINCTEMENT LES PROPOSITIONS DE SOLUTION aux problèmes existants trouvées dans la littérature spécialisée, puis en analyser les avantages et les inconvénients (chapitre 4) ;

tirer des CONCLUSIONS en vue d’une amélioration des conditions qui prévalent en Suisse ; faire un état des lieux pour mettre en évidence les lacunes au niveau des connaissances ainsi que les champs d’action et les possibilités d’intervention (chapitre 5).

Le travail de care non rémunéré en Suisse

En Suisse, l’Office fédéral de la statistique comptabilise le travail non rémunéré et établit un COMPTE SATELLITE DE PRODUCTION DES MÉNAGES (CSPM) dans la Comptabilité nationale. Ce compte documen-te régulièrement le fait qu’en Suisse, comme dans d’autres pays, LE VOLUME DU TRAVAIL NON

RÉMUNÉRÉ DÉPASSE CELUI DU TRAVAIL RÉMUNÉRÉ (en 2007 : 8,7 milliards d’heures contre 7,3 milliards d’heures ; source : site internet OFS, 8.2.2010). On dispose par ailleurs d’études empiriques sur la répartition du travail de care selon les genres et sur l’importance financière de ce travail. Alors que le rapport de l’UNRISD inclut le secteur rémunéré du travail de care, la plupart des autres études se concentrent sur le travail de care non rémunéré (p. ex. Stutz/Strub 2006). Bauer (1998) et Gerfin/Stutz et al. (2008) ont analysé le volume de temps investi par les mères et les pères dans l’éducation de leurs enfants. Lucas/Giraux (2006) ont réalisé un projet de recherche sur les politiques pratiquées par les villes suisses dans le domaine du care, ainsi que leurs motivations et leurs effets2

2 La conférence annuelle du réseau WIDE (Women in Development Europe) qui a eu lieu à Bâle en 2009 avait pour titre « We Care ! Feminist responses to the Care Crises » ; les contributions sont publiées dans Olympe n° 30/2009.

LA RÉPARTITION DES TÂCHES DE CARE ENTRE LES DEUX SEXES RESTE ACTUELLEMENT INÉGALE EN SUISSE.Alors qu’en 2006 67 à 80% (suivant l’âge des enfants) des mères vivant en couple exerçaient une activité profession-nelle, 83% de la responsabilité du travail familial et ménager reposait sur leurs épaules. De ce fait, la contribution aux revenus du ménage reste elle aussi déséquilibrée.

Dans les familles biparentales, les mères y contribuent pour moins de 20% en moyenne. Dans la clas-se d’âge des plus de 50 ans, les soins prodigués à des adultes vivant dans le même ménage repré-sentent une part croissante du travail de care non rémunéré. Sur les plus de 30 millions d’heures de soins non rémunérées fournies par année en Suisse, près de trois quarts sont fournies par les fem-mes3.

Il s’agit d’acquérir des connaissances fondamentales en rapport avec trois FAISCEAUX DE QUESTIONS : 1. QUELLE EST LA SITUATION DE LA SUISSE en termes de couverture du revenu et de chances de

pros-périté compte tenu des arrangements entre les sexes au quotidien et compte tenu des réglementa-tions de l’État social basées sur le modèle à un apporteur de revenus ou sur le modèle à deux ap-porteurs de revenus ?

2. Dans quels domaines DES ÉTUDES EMPIRIQUES MONTRENT-ELLES DES PROBLÈMES DE COUVERTURE

(tant chez les hommes que chez les femmes) qui sont attribuables au travail de care et qui décou-lent des l’évolution du partage des tâches entre les sexes?

3. Quelles sont LES INTERVENTIONS REQUISES sur la base de ce constat pour fournir une protection sociale au travail de care? Quelle serait la situation idéale et quelles sont les réformes envisagea-bles ?

La présente étude se propose de mettre en évidence l’orientation générale des processus d’adaptation de la politique sociale et sociétale rendus nécessaires par l’évolution du partage des tâches entre les sexes et de formuler une première série de propositions. En revanche, elle n’a pas pour vocation de présenter des projets de réforme détaillés pour chacun des systèmes qui forment la sécurité sociale dans la mesure où ce niveau de détail comprend aussi les questions de financement, elles-mêmes tributaires des options choisies4

3 Office fédéral de la statistique 2008, ainsi que Stutz 2006.

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4 La présente étude a été achevée au printemps 2011. L’état des réformes en cours dans les systèmes de la sécurité sociale correspond à cette date.