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Les modèles de revenu minimal garanti

4 Une réforme en profondeur de l’État social pour résoudre la question de

4.1 Les modèles de revenu minimal garanti

La nécessité d’offrir, dès aujourd’hui, une bonne protection sociale de base aux travailleuses et aux travailleurs de care est incontestée car les assurances sociales actuelles ne couvrent que dans une mesure très limitée les risques de l’existence de cette catégorie de personnes. Une protection de base qui offre des droits clairement définis et un bon niveau de prestations leur serait certainement favora-ble. Le NIVEAU DE CES PRESTATIONS de base constitue toujours UN POINT DÉLICAT. Pour le définir, on se base sur l’hypothèse qu’il convient de conserver une marge par rapport à un revenu salarial, de ma-nière à favoriser les personnes qui ont une activité lucrative par rapport à celles qui disposent de la seule couverture de leurs besoins vitaux fournie par les pouvoirs publics. LE DEUXIÈME POINT DÉLICAT

réside dans le fait qu’UN REVENU MINIMUM GARANTI FACILITE LA DÉCISION DE RENONCER À ACQUÉRIR UN REVENU, sans pour autant offrir les mêmes possibilités d’accéder à la prospérité qu’une activité lucrati-ve, ce qui peut accélérer la tendance à une société à deux vitesses ; si une telle tendance se concré-tisait, les inégalités de chances liées au sexe se trouveraient plutôt renforcées qu’éliminées. Or, la plupart des modèles de revenu minimal garanti occultent complètement les aspects du potentiel d’action et de réalisation, essentiels selon l’approche de la capabilité d’Amartya Sen. De plus, l’instauration d’unrevenu minimal garanti NE RÉSOUD PAS LE PROBLÈME DE LA CONCILIATION ENTRE TRAVAIL PROFESSIONNEL ET ACTIVITÉS DE CARE.

Le terme de revenu minimal garanti recouvre des modèles très différents (cf. Stutz/Bauer 2003) :

L’impôt négatif sur le revenu (INR), qui impute directement les impôts dus sur un revenu de base sans condition, le solde négatif étant versé aux contribuables qui n’atteignent pas un montant équiva-lent au minimum vital. Si ce minimum vital est suffisamment élevé, il permet de couvrir dans une large mesure les risques liés au travail de care. Pourtant, c’est précisément le caractère universel de la prestation qui la rend irréalisable financièrement ; d’ailleurs, ce modèle n’est en vigueur nulle part sous la forme décrite.

Les crédits d’impôt (appelés aussi rabais d’impôt) sont répandus dans l’espace anglo-saxon ; ils sont versés aux nécessiteux selon le même principe que l’impôt négatif sur le revenu, à savoir essen-tiellement aux familles et à d’autres travailleurs pauvres. Ces prestations sont souvent conçues com-me un outil de remise au travail (« workfare ») et ne sont donc versées qu’à des personnes qui ont une activité lucrative sous une forme ou sous une autre. Suivant la conception du modèle, ces presta-tions peuvent être assorties de la couverture des besoins vitaux, mais cette protection n’est pas auto-matique. En Suisse, le Conseil fédéral a chargé un groupe d’experts d’étudier l’introduction d’un tel modèle (Leu/Gerfin/Flückiger et al. 2008). Ces experts on conclu que l’effet des crédits d’impôts ne se distingue pas de manière significative du système existant de couverture des besoins vitaux au moyen de paiements de transfert.

Le modèle des allocations universelles est celui qui recueille le plus de suffrages dans le débat actuel. Versée à toutes et à tous, indépendamment de la fortune et du revenu, l’allocation universelle est un dividende social ou un revenu de citoyenneté. L’idée à la base de ce modèle est que chacune et chacun a le droit de prendre part à la prospérité élaborée par les générations précédentes et d’utiliser les ressources naturelles d’un pays. L’ouvrage de John Rawls « A Theory of Justice » (1971) constitue un texte fondateur de ce modèle ; l’auteur voit dans ce modèle un nouveau contrat social.

Le revenu de base inconditionnel ne garantit pas seulement la couverture des besoins vitaux, mais aussi « real freedom for all » (1995), pour citer le titre de l’ouvrage d’un autre défenseur prestigieux de ce modèle, Philippe Van Parijs. Cette couverture des besoins vitaux inconditionnelle doit aussi per-mettre d’effectuer un travail d’utilité publique jusque-là non rémunéré, assurer la protection sociale des personnes qui effectuent une formation ou une formation continue de même que compenser les ris-ques sociaux liés à la flexibilisation du marché du travail. Selon Van Parijs, des causes féministes et écologistes telles que la dissociation entre travail lucratif et revenu, redistribution du travail entre les sexes et allégement du marché du travail sont également réalisables dans un modèle d’allocations universelles.

Les effets concrets de ce modèle dépendent fortement du montant accordé et du système fiscal.

L’effet net est très voisin de celui de l’impôt négatif sur le revenu. La dimension inconditionnelle du modèle étant en rupture complète avec le principe profondément ancré de la réciprocité, certains au-teurs ont tenté de lier l’allocation universelle à une contre-prestation ; cette idée a immédiatement déclenché un débat autour de la question de savoir qui évalue et contrôle si la contre-prestation est suffisante.

Ce modèle n’a jamais été mis en oeuvre à large échelle. En Suisse, cependant, la campagne en fa-veur de l’initiative pour une allocation universelle (www.initiative-grundeinkommen.ch) est très active.

Les sympathisants récoltent des signatures au plan fédéral pour une initiative populaire demandant l’instauration d’une allocation universelle financée par des redevances incitatives sur l’énergie (début de la récolte de signatures : 19.5.2010). Parallèlement, deux interventions parlementaires ont été lan-cées : l’initiative parlementaire du conseiller national PdT Joseph Zisyadis (10.422), qui demande l’instauration d’une allocation universelle, ainsi que l’initiative parlementaire de la conseillère nationale des Verts Katharina Prelic-Huber (10.428), qui entendait ancrer dans la Constitution l’allocation

uni-verselle sous la forme d’un droit à la couverture des besoins vitaux. Ces deux propositions ont été rejetées par le Conseil national en juin 2011.

Une mise en œuvre partielle du modèle, par exemple sous la forme de la rente d’enfant évoquée de-puis un certain temps déjà, a plus de chances d’aboutir. En Suisse, les allocations pour enfants et les allocations de formation obéissent à cette logique, même si le principe « un enfant, une allocation » n’est pas encore entièrement mis en œuvre (cf. 3.3.9). Dans ce domaine particulier, les allocations familiales contribuent à décharger financièrement les personnes qui fournissent un travail de care. La comparaison à large échelle des mesures qui relèvent de la politique familiale par Bauer/Strub/Stutz (2004) documente l’importance de ce type de prestation, mais aussi ses limites. En particulier, les problèmes liés à la pauvreté des familles, monoparentales ou non, sont plus aisés à résoudre par le biais de prestations complémentaires pour familles (cf. 3.4.2).

L’idée de base de la couverture du minimum vital en fonction des besoins consiste à sortir de l’aide sociale les personnes qui ont besoin d’un soutien pour des raisons structurelles et non person-nelles afin de les regrouper dans un système qui offre des prestations forfaitaires et qui n’est pas en priorité orienté vers l’insertion professionnelle. En Suisse, les prestations complémentaires de l’AVS/AI entrent dans cette catégorie d’aides (cf. 3.4.1) ; toutefois, au cours des récentes années et pour ac-croître l’incitation à acquérir un revenu lucratif, ces prestations ont été combinées à un revenu hypo-thétique dans les ménages qui comptent des personnes en âge actif. Les prestations complémentai-res pour familles, qui existent dans quelques cantons seulement (cf. 3.4.2) découlent de cette appro-che, mais elles sont encore plus étroitement liées à un travail lucratif.

Dans le débat politique, la couverture du minimum vital en fonction des besoins est aujourd’hui consi-dérée par certains milieux comme une option pour réduire l’État social. La solution proposée dans ce contexte prend la forme d’une assurance publique obligatoire relevant de la Confédération, à laquelle il est automatiquement fait appel lorsqu’une personne n’a pas de revenu qui couvre le minimum vital.

Les risques couverts par cette assurance sont la vieillesse, la protection des survivants, la maladie, l’accident, l’invalidité et le chômage. Le niveau des prestations serait uniformément bas, indépen-damment du revenu et des primes payées. Dans un tel système, la protection du revenu qui dépasse le minimum vital serait réservée aux compagnies d’assurance privées.

● Le revenu minimum d’insertion (RMI), tel qu’il existe en France et dont certains principes ont été adoptés en Suisse romande, a été introduit par certains cantons pour lutter spécifiquement contre le phénomène des « nouveaux pauvres », qui est souvent lié à la protection financière insuffisante du travail de care non rémunéré. Il s’agit d’un amalgame entre couverture du minimum vital et lutte contre les tendances à la marginalisation et à l’exclusion. Son approche basée sur l’insertion professionnelle et l’activation fait du RMI un précurseur de nombreuses réformes du système social ; ces réformes n’obéissent toutefois pas toutes à une logique d’émancipation. Dans quelle mesure les personnes qui accomplissent un travail de care profitent-elles du RMI ? La réponse dépend, il convient de le rappe-ler, de l’orientation des programmes concrets : visent-ils exclusivement l’insertion professionnelle, sans tenir compte des obligations de care, ou bien le travail de care fourni par les personnes concer-nées ainsi que les problèmes de conciliation qui y sont liés sont-ils pris en compte systématique-ment ?

EN RÉSUMÉ, tous les modèles qui se fondent sur l’allocation universelle ont LAVANTAGE de ne pas être liés à un travail lucratif et par conséquent de ne PAS EXCLURE DEMBLÉE LES PERSONNES QUI

FOURNISSENT UN TRAVAIL DE CARE. Cette condition est d’ores et déjà remplie par les PRESTATIONS SOUS CONDITION DE RESSOURCES qui existent aujourd’hui, à l’exception des prestations complémentaires pour familles dans certains cantons (cf. 3.4). Si un changement de système ne permet pas d’accroître la couverture des besoins vitaux, l’introduction d’une allocation universelle ne se justifie pas. L’attrait

de certains modèles réside dans le fait qu’ils NINSISTENT PAS SUR LA NÉCESSITÉ DEXERCER UN TRAVAIL LUCRATIF voire, dans certaines variantes, l’éliminent totalement. Un tel modèle revient finalement au versement d’un revenu minimal en échange d’activités de care auparavant non rémunérées (cf. 4.3), bien que ce revenu ne soit pas supprimé si le bénéficiaire n’a aucune d’activité. Le niveau des presta-tions ne permet toutefois pas de financer une rétribution équivalente à un revenu salarial. Même si les auteurs de l’idée de l’allocation universelle calculent le coût induit des différents modèles qu’ils propo-sent, les résultats ne sont pas toujours convaincants. EN CAS DINTERRUPTION PROLONGÉE DE LACTIVITÉ LUCRATIVE, LALLOCATION UNIVERSELLE PEUT MÊME SE RÉVÉLER COMME UN FACTEUR DE PAUPÉRISATION. Dans ce contexte, la question de la CONCILIATION entre activités rémunérées et activités non rémuné-rées et de leur RÉPARTITION n’est PAS ABORDÉE, alors qu’il s’agit précisément d’aspects déterminants pour l’égalité réelle des chances. En d’autres termes, l’allocation universelle comporte un risque de retour à la répartition traditionnelle des tâches selon les sexes et par conséquent à une répartition inégale des possibilités d’accéder à la prospérité (cf. p. ex. Robeyns 2001, McKay 2001).