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Modélisation et simulation des écoulements turbulents

3.1 Simulations des grandes échelles

k )

production transfert en cascade dissipation ε

Figure 3.1 – Schéma illustrant les différentes approches de simulation et de modélisation de la turbulence. Figure extraite de [201].

Figure 3.2 – En haut : Schéma illustrant la cas-cade de Kolmogorov de l’énergie cinétique tur-bulente k. En dessous : Spectre de k dans le cas de la turbulence homogène isotrope en fonction du nombre d’onde et représentation de la zone modélisée pour les principales stratégies de si-mulation. Figures adaptées de [201] et inspirées de [128,83].

3.1 Simulations des grandes échelles

L’idée de la LES est de ne simuler que les plus grosses structures de la turbulence, qui contiennent la plus grande partie de l’énergie cinétique turbulente. Cela permet alors de relâcher la contrainte sur la discrétisation spatiale et temporelle puisque les plus petites échelles n’ont plus à être capturées. On qualifie alors de “sous-mailles” (subgrid scale) les petites échelles non simulées.

Néanmoins, on ne peut se permettre de simplement omettre ces plus petites structures. Leurs interactions avec le reste de l’écoulement doivent être prises en compte. En effet, lorsque les fluctua-tions turbulentes sont créées à une certaine échelle, on observe un transfert de l’énergie cinétique vers des échelles plus petites, mais aussi vers les échelles plus grandes. On dénomme ces transferts sous les termes de cascades directe et indirecte de l’énergie cinétique turbulente. Ces transferts sont strictement non-linéaires par nature et sont dus aux effets couplés des termes de convection et de pression [231]. Dans le cas spécifique de la turbulence homogène isotrope, la théorie de Kol-mogorov [153] prédit le mécanisme de transfert d’énergie inter-échelle représenté sur la figure 3.2. L’énergie cinétique turbulente est principalement extraite de l’écoulement moyen par les grosses structures, avant d’être transférée en cascade à des échelles de plus en plus petites. Sous l’effet de la viscosité, les plus petites échelles (échelle de Kolmogorov) la dissipent finalement sous forme de chaleur. On obtient alors le spectre d’énergie cinétique caractéristique de la figure3.2.

L’approche LES impose donc non seulement de séparer les grandes échelles des petites échelles sous-mailles, mais également de modéliser l’effet de ces dernières sur l’écoulement résolu. La pre-mière de ces deux étapes est réalisée grâce à un filtrage des équations de Navier-Stokes pré-senté dans la sous-section 3.1.1 suivante, alors que la modélisation sous-maille est abordée dans la sous-section3.1.2. Le lecteur intéressé pourra se référer aux ouvrages de Sagaut [230] et de Gar-nier et al. [97] pour davantage de précision sur la simulation des grandes échelles en écoulement incompressible et compressible.

3.1.1 Filtrage

3.1.1.1 Définition et propriétés

Définition. Contrairement à l’opérateur de Reynolds, appliqué dans le cadre des simulations de type RANS, le filtre que l’on souhaite utiliser en LES est un filtre passe-haut pour les variables spatiales et/ou temporelles – c’est-à-dire passe-bas pour les variables fréquentielles et les longueurs d’onde. On note ∆cson échelle de coupure en espace et kcla longueur d’onde de coupure correspon-dante. Formellement, l’opération de filtrage d’un champ φ(x, t) est réalisée par un opérateur G(ξ, τ) suivant le produit de convolution

φ(x, t) = G(x, t) ? φ(x, t) =Z Z Z R3

Z

R

G(ξ, τ) φ(x + ξ, t + τ) dτ dξ , (3.1) où la notation φ, déjà employée aux chapitres précédents pour décrire la moyenne de Reynolds de φ, représente dans cette section l’opération de filtrage. Dans l’espace spectral, le produit de convolution se résume à un simple produit. En notant ˆφ(k, ω) la transformée de Fourier de φ(x, t), le filtrage s’écrit

ˆφ(k, ω) = ˆG(k, ω) ˆφ(k, ω) . (3.2)

Le filtrage ainsi défini permet alors de décomposer une variable de champ φ selon

φ= φ + φ0. (3.3)

Propriétés. Le noyau de convolution G doit être choisi de sorte que le filtrage conserve les constantes, soit linéaire et commute avec les opérateurs de dérivation. Ces propriétés s’énoncent comme tel :

a= a , φ+ ψ = φ + ψ , iφ= ∂iφ , tφ= ∂tφ . (3.4)

Parmi les noyaux G admissibles, on retrouve notamment ceux construits à partir de filtres mono-dimensionnels “boîtes” G(ξ) = 1

∆c1(|ξ| < ∆c

2 ), de filtres “boîtes spectrales” ˆG(k) = 1(|k| < kc) ou de filtres gaussiens. Plus de détails sur la définition et sur les propriétés de ces filtres sont fournis dans l’ouvrage de Sagaut [230].

Il convient de préciser que, contrairement aux opérateurs de Reynolds et de Favre, l’opérateur de filtrage n’est pas nécessairement idempotent, c’est-à-dire que

φ = G ? G ? φ 6= G ? φ = φ . (3.5)

Pour cette raison, l’application du filtre à φ0 ne donne pas nécessairement zéro : φ0 6= 0. Dans ce cas, aucune information n’est perdue lors de l’application du filtrage, puisque le noyau de l’opérateur linéaire est alors réduit au singleton nul.

3.1.1.2 Application aux écoulements turbulents

L’approche LES consiste à appliquer un filtre aux variables de champ pour l’étude des écoule-ments turbulents. La décomposition (3.3) permet de séparer tout champ φ en une partie résolue φ et une partie non résolue φ0. La partie résolue contient les grandes échelles que l’on souhaite simu-ler, alors que la partie non résolue, également appelée partie sous-maille, contient les plus petites échelles pour lesquelles on se contente de modéliser l’influence sur l’écoulement.

Filtrage de Favre. De manière analogue à l’opérateur de moyenne de Reynolds, le filtrage défini précédemment est mal adapté aux équations de Navier-Stokes en régime compressible, puisqu’il ajoute un grand nombre de termes inconnus. De façon comparable à l’introduction de la moyenne de Favre à partir de celle de Reynolds à l’équation (1.14), on définit ici un nouvel opérateur — couramment appelé filtrage de Favre — et une nouvelle décomposition entre partie résolue et partie non résolue :

e

φ= ρφ

ρ , (3.6)

φ=φe+ φ00. (3.7)

Ce nouvel opérateur n’est pas un filtre au sens où il ne vérifie pas la propriété de commutation avec les dérivées (3.4). Il faut davantage le considérer comme un changement de variable qui permet de donner aux équations de Navier-Stokes filtrées pour les écoulements compressibles une forme similaire à celles des équations non filtrées originales.

Équations de Navier-Stokes filtrées. L’application du filtrage aux équations de Navier-Stokes (1.1) permet d’obtenir les équations constitutives de la LES suivantes.

tρ + ∂kρuek = 0 , (3.8a)

tρuei+ ∂kρueiuek = − ∂ip + ∂kτbik + A1,i+ A2,i, ∀i ∈ [1; 3] , (3.8b)

tρEc + ∂kρEc uek = − ∂kpuek+ ∂kτbikuei− ∂kqbk+ B1+ B2+ B3+ B4+ B5+ B6+ B7. (3.8c) Dans ces équations, l’ensemble des termes explicités ne font intervenir que des grandeurs résolues. Ils sont calculables. En particulier, le tenseur des efforts visqueux résolusbτ, le flux de chaleur résoluqb

et l’énergie calculableρEc sont définis uniquement à partir grandeur directement calculable selon :

b τik = µ(Te) Seik, (3.9) b qk= κth(Te) ∂kT ,e (3.10) c ρE= ρee+ 12ρueiuei, avec ρee= p γ− 1. (3.11)

Les termes sous-mailles sont explicités sous les noms de variable An et Bn. Ils font intervenir des grandeurs non résolues. Ils sont donc non calculables à partir des champs filtrés et devront être modélisés, ce qui fera l’objet de la sous-section suivante. Leur expression est donnée par

A1,i= − ∂kρ(ugiukeuiuek) = − ∂kτiksgs, (3.12a)

A2,i= kikτbik) , (3.12b)

pour les termes de l’équation de conservation de la quantité de mouvement, et par

B1 = − ∂kρ(eugkeeuek) , (3.13a) B2 = − p ∂kuk+ p ∂kuek, (3.13b) B3 = − ∂ksgs ik uei) , (3.13c) B4 = τiksgs kuei, (3.13d) B5 = τikkui− τik∂kuei, (3.13e) B6 = k(τikτbik)uei, (3.13f) B7 = − ∂k(qkqbk) , (3.13g)

pour ceux de l’équation de conservation de l’énergie. Les termes A1, B3 et B4proviennent de la non-linéarité du terme convectif. Ils font intervenir le tenseur sous-maille τsgs qui peut-être considéré comme l’équivalent pour les équations filtrées de ce que le tenseur de Reynolds R représente pour des équations moyennées.

De la théorie à la pratique. L’application d’un filtre pour l’étude d’écoulements complexes nécessite souvent l’utilisation d’une échelle de coupure ∆cinhomogène. Pour l’étude de la turbulence pariétale par exemple, il peut être intéressant d’appliquer un filtre dont la longueur de coupure diminue à mesure que l’on s’approche de la paroi. Néanmoins, dans un tel cas, la propriété (3.4) de commutation entre les opérateurs de filtrage et de dérivation spatiale n’est plus vérifiée. Le filtrage introduit alors une erreur supplémentaire.

Puisque cette erreur n’est pas bornée en général, différentes formulations ont été introduites afin de la limiter à un certain ordre [103, 272]. On parle alors de filtres “commutants d’ordre n”. Cependant, ces formulations ne sont utilisées en pratique que pour justifier de la possibilité d’utiliser un filtrage inhomogène [202].

Dans la grande majorité des calculs LES, le filtrage est implicite : aucune opération de filtrage avec un noyau de convolution G explicitement définie n’est réalisée. Le filtrage est alors assuré par le maillage qui, de par sa discrétisation finie, ne capte pas les échelles les plus petites. Cela justifie le qualificatif “sous-maille” attribué au terme non résolu φ0 de la décomposition (3.3).

Les maillages n’étant généralement pas cartésiens, le filtrage est inhomogène et la longueur de coupure varie avec la direction considérée. Il convient alors de définir une longueur de coupure effective ∆c. Deardoff [65] propose notamment d’utiliser le volume de la maille :

∆c= 2q3 ∆x∆y∆z, (3.14)

où ∆xi est la dimension de la maille dans la direction xiet le facteur 2 est issu du théorème d’échan-tillonnage de Nyquist-Shannon.

On constate donc que, dans le cas extrême d’un maillage suffisamment fin — avec une longueur de coupure en tout point plus fine que l’échelle de Kolmogorov locale — le filtrage implicite devient trivial : la partie résolue φ ouφes’identifie alors directement au champ φ lui-même et les termes sous-mailles deviennent nuls. Ainsi, contrairement aux simulations RANS, pour lesquelles les fluctuations temporelles sont supprimées indépendamment de la résolution spatiale, l’approche “des grandes échelles” converge vers la DNS dès lors que les “grandes échelles” simulées sont en fait toutes les échelles énergétiques de l’écoulement.

3.1.2 Modélisation sous-maille

Pour pouvoir les résoudre, il est nécessaire de fermer les équations de Navier-Stokes filtrées (3.8) et donc de modéliser les termes sous-mailles An et Bn. La part relative de chacun de ces termes a été évaluée, à partir de DNSs, par Vreman [275] dans une couche de mélange, puis par Lenor-mand et al. [166] dans un écoulement de canal plan. Leur classification figure dans le tableau 3.1, où un ordre de grandeur sépare chacune des catégories d’influence.

Influence Termes résolus Termes sous-mailles

Importante Convection

Moyenne Diffusion A1, B1, B2, B3

Faible B4, B5

Négligeable A2, B6, B7

Table 3.1 – Classification de l’ordre de grandeur, suivant la norme L2, des termes des équations filtrées. Tableau adapté de [275].

Dans la pratique, les termes d’influence négligeable sont effectivement négligés. Les deux termes B4 et B5, dont l’influence est faible, le sont également car leur modélisation est source d’incertitude et peut même s’avérer néfaste en présence d’ondes de choc. Ainsi, la liste des termes qui doivent être effectivement modélisés se réduit donc à A1, B1, B2 et B3.

3.1.2.1 Modélisation du tenseur sous-maille

Différentes approches existent pour modéliser le tenseur sous-maille τsgs intervenant dans A1 et

B3. Sagaut [230] propose une classification en deux catégories de ces approches.

La première catégorie est celle des modèles structurels. Ces modèles tentent d’approcher le tenseur sous-maille réel en estimant la forme des échelles non résolues. Ils procèdent pour cela à une extrapolation des caractéristiques des échelles résolues les plus fines ou s’appuient sur des dévelop-pements en séries. Les modèles de “déconvolution approchée”, qui tentent d’inverser le produit de convolution, font également partie de cette catégorie. Des tests à partir de DNSs filtrées montrent que ces modèles présentent un bon niveau de corrélation avec le tenseur τsgs exact.

La seconde catégorie concerne les modèles fonctionnels. Ces modèles ne tentent pas d’ap-procher le tenseur sous-maille réel, mais prétendent simplement reproduire le comportement exercé par les échelles sous-mailles sur l’écoulement résolu. La théorie de Kolmogorov, abordée en début de section 3.1, fournit les hypothèses idéales d’un transfert énergétique universel des échelles les plus grosses vers les plus petites qui, in fine, dissipent l’énergie cinétique sous l’effet de la viscosité. Par conséquent, l’action des échelles sous-mailles vis-à-vis de l’écoulement résolu est essentiellement dissipative, d’où l’idée de calquer la modélisation du tenseur sous-maille sur celui des contraintes visqueuses. À l’instar de l’hypothèse de Boussinesq qui permet de modéliser le tenseur de Reynolds dans le cadre des équations RANS, on introduit une viscosité sous-maille µsgs = ρ νsgs qui permet de modéliser le tenseur τsgs par une expression similaire à celle (1.6) définissant τ, c’est-à-dire :

τsgs = −µsgs S .e (3.15)

Comme pour la plupart des LESs existantes, c’est cette dernière approche fonctionnelle qui, de par sa simplicité de mise en œuvre, est utilisée dans les travaux de ce manuscrit.

3.1.2.2 Modèle d’échelles mixtes sélectif

Il faut maintenant être en mesure d’estimer la viscosité sous-maille νsgs. Le modèle retenu dans ce manuscrit est basé sur le modèle d’échelles mixtes (mixed scale model) proposé par Sagaut [229] :

νsgs(x, t) = Cm(αmsm) Se(x, t) αmsm  kc(x, t)1−αmsm 2 ∆c1+αmsm , (3.16)

où αmsm et Cm(αmsm) sont des paramètres et où la longueur de coupure ∆cest estimée selon (3.14) à partir des dimensions du maillage. Ce modèle fait intervenir à la fois des informations en provenance des échelles résolues, au travers du tenseur Se, et des informations sur les échelles sous-mailles, extrapolées à partir de l’énergie cinétique à la coupure kc.

L’énergie kc est estimée par l’énergie cinétique présente entre l’échelle de coupure de la LES ∆c et une échelle de coupure test ˇ∆c>∆c. On calcule donc

kc= 12 e

ui− ˇuei uei− ˇuei, (3.17) où l’opérateur ˇ· est le filtre test de longueur de coupure ˇ∆c. En pratique, ce filtre test est dérivé du filtre discret élémentaire suivant appliqué aux trois directions du maillage :

ˇφ i = φ  i−1+ 2 φ i+ φ i+1 4 . (3.18)

Sur la base de tests empiriques réalisés a posteriori, les valeurs αmsm= 0.5 et Cm(αmsm) = 0.06 sont couramment préconisées.

Le modèle d’échelles mixtes ainsi défini s’avère être trop dissipatif dans les zones d’écoulement laminaire et à proximité des parois. Afin de l’améliorer, la définition (3.16) de la viscosité sous-maille νsgs(x, t) est multipliée par un senseur fs(x, t), défini de sorte à tendre vers zéro dans les

zones où la viscosité sous-maille n’est pas nécessaire. En se basant sur des constatations issues de l’étude de la turbulence homogène isotrope, David [64] propose que les zones considérées comme turbulentes soient celles pour lesquelles l’orientation de la vorticité ωe(x, t) est sujette à de fortes variations locales. Il évalue cette variation d’orientation grâce à l’angle

θs(x, t) = arcsin ωeωek kˇωek · kωek

!

, (3.19)

qui exploite également le filtre test ˇ· abordé précédemment. L’angle seuil à partir duquel la viscosité sous-maille est considérée comme nécessaire est estimé à 20.

Le senseur fs(x, t) peut alors prendre la forme

fs(x, t) = 1 si θs(x, t) ≥ 20,  tan2(θs 2) tan2(20◦ 2 ) 2 sinon . (3.20)

La fonction à base de tangente, introduite par Sagaut & Troff [236], assure la continuité de la fonction et permet d’éviter les problèmes numériques que peut entraîner la discontinuité d’un senseur “zéro ou un”.

La pré-multiplication du modèle d’échelles mixtes (3.16) par le senseur (3.20) s’accompagne de celle par un facteur correctif, empiriquement évalué à 1.65. Le modèle ainsi obtenu porte le nom de modèle d’échelles mixtes sélectif (selective mixed scale model).

3.1.2.3 Modélisation de la conductivité sous-maille

De même que le tenseur sous-maille τsgs a été modélisé pour produire sur l’écoulement résolu un effet assimilable à celui de la viscosité, Vreman [275] propose d’introduire une conductivité thermique sous-maille κsgs pour modéliser l’effet des deux termes restants B1 et B2. Il calque donc la loi de Fourier (1.8) pour construire le modèle suivant :

B1+ B2= ∂kqksgs avec qsgsk = +κsgs kT .e (3.21) On peut alors relier la conductivité thermique sous-maille κsgs à la viscosité sous-maille νsgs au moyen d’un nombre de Prandtl selon

κsgs= µsgscp

Prsgs = ρ νsgscp

Prsgs . (3.22)

En pratique, on suppose alors ce nombre de Prandtl sous-maille Prsgs constant et égal au nombre de Prandtl classique, c’est-à-dire Prsgs = Pr = 0.72.

3.2 Discrétisation et résolution des équations de Navier-Stokes