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Contrôle de la turbulence pariétale

2.1 Définitions et classification des stratégies de contrôle

Il existe de nombreuses stratégies pour contrôler la turbulence. Le propos de ce paragraphe est de fournir des éléments de compréhension et de classification. Avant de se faire, il convient néan-moins de définir les principaux termes en théorie du contrôle.

La théorie du contrôle a comme objet d’étude le comportement de systèmes commandés, c’est-à-dire des systèmes dynamiques sur lesquels on peut agir. Le but d’une stratégie de contrôle est d’amener le système d’un état initial donné à un certain état final, en respectant éventuellement certains critères. Parler de son état suppose qu’on est capable de le caractériser. Pour ce faire, de l’information est extraite du système : il s’agit de la mesure. Notons que cette mesure peut être réalisée en temps réel à l’aide de senseurs, mais peut également résulter d’une étude antérieure. L’objectif peut être de stabiliser le système pour le rendre insensible à certaines perturbations (stabilisation) ou encore de déterminer des solutions optimales pour un certain critère d’optimisa-tion (contrôle optimal). Afin d’atteindre l’objectif, l’utilisateur réalise généralement une acd’optimisa-tion au travers d’un dispositif de contrôle, qui peut être constitué d’un ou plusieurs actionneurs. L’exé-cution de cette action doit dépendre directement de l’état de l’écoulement, et donc de la mesure. Le lien entre la mesure et l’action est appelé l’algorithme ou encore la loi de contrôle.

Air W ater Very-high-pressure gas pipeline Ship/high-pressure gas pipeline Gas pipeline Aircraft Bullet train/Maglev Automobile Petroleum pipeline Higher Re number Larger kinematic viscosity Longueur (mm) 0.001 0.01 0.1 1 10 100 1000 F requence (kHz) 0.001 0.01 0.1 1 10 100 1000

Figure 2.1 – Échelles spatio-temporelles caractérisant les structures cohérentes (TQLs) dans des applications réelles. Les points gris correspondent, en unités de paroi, à des longueurs de 30 et des fréquences de 0.01 pour différentes applications. Les ellipses bleues représentent des groupes d’application. Figure extraite de [142].

Ainsi, une stratégie ou une méthode de contrôle désigne l’ensemble {objectif – mesure – algorithme – action}. Le sous-ensemble {mesure – algorithme – action} est quant à lui appelé contrôleur.

Dans notre cas, le système considéré n’est autre que l’écoulement de couche limite turbulente. Depuis les travaux pionniers d’Osborne Reynolds à la fin du 19e siècle, les trois grands challenges des scientifiques dans le domaine de la turbulence ont été la compréhension, la prédiction et le contrôle des phénomènes turbulents [142]. Ces challenges représentent un enjeu évident quant aux problématiques turbulentes de traînée, de bruit, de transfert de chaleur ou encore de mélange de réactifs chimiques. Mis à part certaines explorations fondamentales, l’objectif de la plupart des stratégies de contrôle porte sur le délai de transition, la réduction de la turbulence proche-paroi ou la suppression de zone de séparation [167].

Dans la suite de cette étude, on s’intéressera exclusivement aux stratégies de contrôle ayant pour objectif de réduire la traînée en contraignant la turbulence proche-paroi. Néanmoins, certaines de ces stratégies pourront également avoir une influence directe sur d’autres grandeurs d’intérêt, comme les flux de chaleur à la paroi. On définit alors le taux de réduction de traînée (drag

reduction rate), noté DRR, comme paramètre à maximiser par la méthode de contrôle. La notion

de taux de réduction de frottement (skin-friction reduction rate), est semblable à celle de DRR, à la différence près quelle ne prend pas en compte la composante de pression des efforts de traînée. Elle est définie par

F RR= −c∆cf

f,ref

= cf,ref− cf

cf,ref , (2.1)

où l’indice “ref” renvoie à l’écoulement de référence non contrôlé.

Dans les cas de configurations pour lesquelles la pression n’exerce pas d’effort longitudinal, comme celles des riblets bidimensionnels par exemple, la traînée se limite au frottement pariétal et

Comme développé par Pamiès [202], il existe de nombreuses façons de classifier les méthodes de contrôle des couches limites. Gad-el-Hak [89], par exemple, mentionne deux grandes classifications. La première basée sur la dépense énergétique de la stratégie de contrôle, la seconde sur la localisation et l’étendue du dispositif de contrôle. Pollard [211], d’autre part, propose une classification séparant les stratégies agissant sélectivement sur certaines structures cohérentes de celles ayant une étendue d’action plus globale. Les principaux critères de classifications sont explicités ci-dessous.

Contrôle passif / actif. La dépense d’énergie du dispositif de contrôle a été un des critères de classification de Gad-el-Hak [89]. De ce point de vue, un contrôleur passif n’introduit aucune énergie dans l’écoulement. On peut citer par exemple l’utilisation d’état de surface rugueux ou de manipulateur externe cassant les tourbillons comme les LEBUs (large eddy break-up devices), pour lesquels le dispositif de contrôle ne comporte pas d’actionneurs.

À l’inverse, dans le cas d’un contrôleur actif, de l’énergie doit être fournie pour faire fonctionner le ou les actionneurs du dispositif de contrôle. Les contrôles par jets pulsés ou par oscillation de paroi sont des exemples de telles stratégies actives.

Un dispositif de contrôle actif, susceptible de réduire de moitié le coefficient de traînée au prix d’une dépense énergétique considérable, doit-il être considéré comme plus performant qu’un dis-positif passif, capable de réduire la traînée d’une dizaine de pour cent seulement ? En effet, d’un point de vue applicatif, la traînée n’est autre qu’une perte énergétique que le moteur ou la pompe entretenant le mouvement doivent compenser. L’utilisation d’énergie pour réduire la traînée d’un écoulement turbulent lève donc un problème de fond quant à l’évaluation des performances de la méthode de contrôle.

La notion de taux de réduction de traînée DRR doit donc être abandonnée au profit d’une approche énergétique avec un indicateur basé sur le taux d’économie nette d’énergie (net

energy saving rate) :

ESR= −∆P

Pref = Pref − (P + Pinput)

Pref (2.2)

où Pref et P désignent la puissance dissipée par le frottement pour le cas de référence et le cas contrôlé, et Pinput représente la puissance consommée par le dispositif de contrôle.

Notons tout de même que dans le cas d’un contrôle passif, la puissance Pinput étant nulle par définition, le taux d’économie nette d’énergie ESR s’identifie au taux de réduction de traînée DRR. Contrôle prédéterminé / réactif. L’action d’une stratégie de contrôle peut être totalement déterminée à l’avance. Ce type de stratégie, que l’on qualifie de prédéterminée, ne nécessite donc pas la présence de senseurs : les paramètres de fonctionnement sont réglés a priori. C’est évidemment le cas des stratégies de contrôle passives, mais également de certaines stratégies actives comme l’oscillation de paroi [139], pour laquelle la fréquence et l’amplitude d’oscillation sont préalablement fixées.

Le contrôle réactif à l’inverse est basé sur la notion de boucle de rétroaction (feed-back) : un contrôle réactif adapte son action à l’état du système. Ses paramètres sont alors continuellement ajustés en fonction des mesures de senseurs. Le contrôle actif en opposition [38] en est un exemple. Contrôle en boucle ouverte / fermée. Il existe deux types de contrôle actif réactif, qui se distinguent par la manière dont sont reliées l’action et la mesure. On dit que la loi de contrôle est en boucle ouverte lorsque la mesure n’est pas perturbée par l’action. C’est le cas si la mesure est réalisée en amont du dispositif de contrôle.

La loi de contrôle est dite en boucle fermée si l’action est conditionnée par une comparaison entre les états après et avant contrôle. Ainsi, la mesure doit être directement influencée par l’action, qui elle-même dépend de la mesure, illustrant l’appellation de boucle fermée.

Contrôle localisé / global. Dans le cas d’un écoulement de couche limite, le dispositif du contrôle peut se trouver à la paroi ou dans le champ, et être plus ou moins localisé. Lorsque l’étendue du dispositif de contrôle est sensiblement plus grande que l’épaisseur de couche limite, on dira que la méthode est globale. Il s’agit par exemple d’une modification de l’état de surface ou encore d’une oscillation de toute la paroi.

Lorsque le contrôle est concentré dans un espace sensiblement plus petit que δ, on dira que la méthode est localisée.

Contrôle sélectif / non-sélectif. Il est également possible de différencier les stratégies de contrôle suivant qu’elles s’intéressent à une modification entière de l’écoulement, ou qu’ils ne ciblent que certaines sous-parties de celui-ci, de manière sélective. Par exemple, une stratégie sélective peut être capable d’identifier et de contrôler spécifiquement telles ou telles structures cohérentes de la couche limite. Ce type de méthode est par essence réactif et localisé, afin de pouvoir adapter son action à la présence des structures ciblées.

Inversement, on parle de contrôle non sélectif lorsque l’action n’est pas spécifiquement ciblée sur une partie de l’écoulement. Tel est le cas avec de l’oscillation transverse de paroi qui s’intéresse à l’écoulement dans son ensemble. Généralement, cette catégorie regroupe des stratégies passives ou actives prédéterminées

Contenu physique des lois de contrôle. Moin & Bewley [186] introduisent un critère basé sur le contenu physique des lois de contrôle. Ils différencient les stratégies de contrôle :

− basées sur des algorithmes adaptatifs ne prenant pas en compte la physique sous-jacente ; − basées sur des modèles physiques, et notamment le cycle de régénération proche-paroi

de la turbulence ;

− utilisant la théorie des systèmes dynamiques non linéaires ;

− minimisant une fonction de coût donnée en utilisant les équations de Navier-Stokes, que l’on appelle contrôle optimal.

Dans la prochaine section de ce chapitre, on se propose de présenter la stratégie de contrôle centrale de cette étude : le contrôle par utilisation de riblets. Dans un second temps, le contrôle par oscillation transverse de paroi sera abordé pour l’intérêt qu’il représente, tant en termes de compré-hension plus approfondie des mécanismes de réduction de traînée, que pour ouvrir des perspectives d’amélioration des riblets classiques. Les autres stratégies, bien que d’un intérêt certain, ne seront pas revues dans ce mémoire. Le lecteur intéressé est donc renvoyé aux nombreux articles et ouvrages sur le sujet.