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Signification du passage de la frontière 1 Évaluation du choix migratoire

DEUXIÈME PARTIE : LES FLUX RESIDENTIELS DE FRANCE VERS

13. R ÔLE DE LA FRONTIÈRE

13.4. Signification du passage de la frontière 1 Évaluation du choix migratoire

Au-delà des aspects économiques et des démarches administratives, il est intéressant de se pencher sur le ressenti des migrants faisant suite à leur installation en Suisse et sur les représentations qu’ils se font de la frontière.

Pour la majorité des individus interrogés, le déménagement est vu comme un événement positif et la tendance générale est à la satisfaction. Les raisons en sont multiples et varient selon le profil des personnes interrogées.

La réduction notoire des temps de parcours entre le lieu de domicile et le lieu de travail est vue comme un facteur améliorant considérablement les conditions de vie, particulièrement celles des anciens frontaliers. Ceux-ci peuvent en effet consacrer le temps auparavant dévolu aux trajets à des activités de loisirs ou simplement au repos :

Je me suis demandé pourquoi je ne l’avais pas fait avant ! Avoir fait les trajets un moment, on se dit que c’est naturel mais quand on vit de l’autre côté et qu’on se dit qu’on ne fait plus les trajets, que le boulot est tout près et qu’on peut faire plein de choses à côté, on se dit que c’est quand même bien. Lionel

Les individus provenant du reste de la France ayant décroché un emploi en Suisse sont, pour la majorité, des travailleurs hautement qualifiés bénéficiant d’un salaire attractif et d’un pouvoir d’achat supérieur. La Suisse est très souvent synonyme de réussite professionnelle pour eux, que cela ait été un objectif de longue date ou non :

Cela paraît bête mais il y a une petite fierté. Moi, je me sens bien ici, je suis content d’être ici. Vraiment, je suis content d’avoir mon permis et mes papiers. Je pense que cela représente aussi un peu une réussite […]. Maintenant, le fait d’être installé ici me conforte dans mon choix et me fait plaisir. Et même quand je rentre chez moi et que je dis que je travaille en Suisse, cela reste synonyme de réussite…enfin pas de réussite mais quand même. Donc c’est vraiment positif et je dois dire que j’ai vraiment eu un coup de cœur pour le pays. Vraiment, je m’y plais. C’est aussi pour cela que j’ai envie d’y rester et que je fais en sorte de tout avoir ici. C’est pour cela que je n’ai pas envie de m’éparpiller de l’autre côté de la frontière pour des raisons qui, pour moi, sont insignifiantes. Larry

La plupart des migrants interrogés relèvent souvent que le sentiment de bien-être est lié à une augmentation de leur qualité de vie. Cette dernière se manifeste de différentes manières :

… c’était mon rêve alors j’ai réalisé mon rêve… J’ai enfin une qualité de vie meilleure que ce que je voulais.

Pour moi, c’est très positif de travailler dans les langues étrangères et de vivre mon quotidien dans une langue maternelle. Nelly

Si je devais donner un sentiment équivalent, c’est comme si cela faisait une éternité que vous n’êtes pas parti en vacances et que vous descendez de l’avion. Le « ahhhhh »… J’en avais envie et cela faisait longtemps. En plus, je suis passée par un cap de chômage donc il y avait encore une attente plus grande. Et je peux vous dire que sur ma page Facebook, le jour où j’aurai le passeport suisse et bien on va le voir ! Cela fait partie des objectifs. Moi je suis tout à fait contente de mon passeport européen mais je serai fière d’avoir celui-ci. Neila

Néanmoins, certains individus interrogés ont vécu leur déménagement en Suisse avec un sentiment contrasté, au moins durant les premiers mois ayant suivi l’installation. L’acclimatation se fait progressivement puisqu’il est nécessaire de prendre de nouveaux repères :

Ça fait bizarre quand même. On a beau parler la même langue et c’est bien l’endroit où on travaille. On se dit quand même qu’on quitte son pays. Les premiers temps cela faisait vraiment bizarre et j’avais vraiment l’impression de ne pas me sentir chez moi. … Oui au début on ne se sent pas chez soi quand même. On a

peur d’embêter mais en fait il n’y a pas de souci. Léandre

Pour les individus ne provenant pas de la zone frontière, l’éloignement de la famille est un facteur négatif à gérer, même s’il est pondéré par des éléments positifs :

Un très gros bouleversement quand même car on est assez famille et… justement, la famille on ne la voit plus beaucoup. Je ne sais pas comment dire. Il y a une grande distance quand même, même si ce n’est pas la fin du monde. Ce n’est pas dramatique. Nestor

Parfois, les difficultés d’acclimatation se cachent dans les détails de la vie quotidienne et dans certains particularismes helvétiques. C’est le cas du « syndrome de la machine à laver » que révèlent les anecdotes suivantes :

Le deuil le plus frappant à faire est celui de sa propre machine à laver le linge. [Citation tirée de l’enquête par

questionnaire]

Ce qui est catastrophique pour les Français, c’est la machine à laver commune mais bon on vit avec. Laila

Un truc à prendre en compte pour les Français qui arrivent en Suisse, c’est le fait de partager sa machine à laver avec tout le monde …. Aller dans des immeubles où l’on sait qu’on ne peut faire par exemple la lessive que le

mercredi matin entre 9h et 10h, ça je ne pouvais pas. Parce qu’en France on est habitué à avoir notre machine à laver et notre sèche-linge dans notre appartement et pas de les partager avec du monde. Et ça je sais que ça choque pas mal de personnes qui viennent ici, que cela soit des Français, des Américains ou des Anglais.

[Lionel]

13.4.2. Figures de la frontière

La frontière a été intégrée de manière variable dans le processus de décision qui a mené à un emménagement en Suisse. Schématiquement, la frontière endosse trois figures dans le parcours et le vécu des ménages que nous avons rencontrés : la frontière ignorée, la frontière barrière et la frontière perméable.

La frontière ignorée correspond aux situations où la frontière n’a pas été intégrée au choix de déménager. Cela concerne uniquement les migrants en provenance de régions françaises éloignées. Pour cette catégorie de personnes, la question d’une éventuelle installation le long de la bande-frontière française ne s’est pas posée. Le déménagement correspond à l’obtention d’un nouvel emploi et, quitte à changer de cadre de vie (trouver un nouvel appartement, reconstruire un réseau social, etc.), ces personnes décident de « faire totalement le pas » en franchissant la frontière et en s’installant en Suisse. Les migrants se caractérisant fréquemment par un bon statut socioprofessionnel, les considérations économiques tendent à passer au second plan. Le plus important est de gagner en qualité de vie et plusieurs raisons pour ne pas s’installer de l’autre côté de la frontière32 sont avancées telles que la

volonté de vivre en milieu urbain et/ou proche du lieu de travail :

Oui j’aurais pu devenir frontalière. Je pense que si j’avais été originaire du Doubs, je l’aurais fait. Mais ayant vécu à Paris avec des RER, des transports en commun et des machins, je voulais gagner en qualité de vie. La Suisse c’était déjà un pas mais pour l’avoir vraiment, c’était tout faire à pied. Je ne voulais plus les transports en

commun et une des idées c’était de venir en Suisse et de vendre ma voiture. Voilà, tout en connaissant le niveau d’infrastructure de transports en commun de la Suisse, je voulais … m’implanter à 10 minutes de mon lieu de

travail et y aller à pied. C’était donc un choix délibéré. Nelly

… quand on arrive en tant que stagiaire, on nous trouve un appartement. En plus d’être déjà bien mieux payé

qu’en France, on nous trouve aussi un appartement. Donc on n’est pas livré à soi-même. Cela aurait été dommage de ne pas saisir cette chance. Quand je suis arrivé, la question ne s’est pas posée. Et je n’avais juste aucune raison d’aller habiter dans le Doubs …. En plus quand je voyais mes collègues frontaliers, ça n’avait

pas l’air d’être la joie. … Le problème que j’avais rencontré à Paris, c’était que je faisais plus de deux heures

pour me rendre sur mon lieu de stage en transports en commun alors qu’ici j’avais 5 minutes pour me rendre sur mon lieu de travail, ce n’était pas non plus pour en mettre 40 à passer la frontière. Larry

On s’est dit qu’à Neuchâtel on pourrait trouver un logement proche de notre lieu de travail et c’est quand même une qualité de vie en plus. … C’était quand même pour cela qu’on déménageait. On s’est dit qu’on allait quand

même habiter Neuchâtel même s’il fallait payer un peu plus cher, ce n’était pas grave. On voulait gagner en qualité de vie en fait, c’était notre motivation. Nestor

La seconde figure pouvant être identifiée est celle de la frontière barrière. Elle concerne en majeure partie les individus dont le déménagement a été provoqué par une transition négative dans le parcours de vie (comme une séparation). Dans ce cas-là, l’image renvoyée par la frontière est celle d’une enceinte permettant de tourner la page, de marquer une séparation entre un pays représentant un passé douloureux et celui d’un nouveau départ. Le franchissement de la frontière correspond ainsi à l’occultation d’événements antérieurs négatifs :

Ne soyez pas choqué. Une délivrance, sincèrement. […] Déjà par rapport à mon divorce et à ce que j’ai vécu à l’intérieur de mon mariage : c’était mettre une protection pour mes enfants et moi-même par rapport à mon ex- mari en mettant la frontière entre nous. C’était vraiment pour nous protéger de lui. Il y avait une protection vis-à- vis de cela. Et puis quand je vivais en France, j’avais toujours l’impression de ne pas être chez moi... Laurence

Et bien cela m’a permis de recommencer ma vie à zéro. Mais vraiment à zéro. Parce que j’ai juste gardé mon véhicule. J’ai dû racheter des meubles et ainsi de suite. […] je n’ai gardé aucun contact de l’autre côté. Même pas des amis ou des activités sportives. J’ai tout voulu refaire ici à zéro. C’est un recommencement total.

Lambert

La dernière figure est celle de la frontière perméable. Elle concerne les individus pour qui la frontière ne représente pas un élément important du fait que les paysages, les mentalités et la langue sont les mêmes. Ainsi, cette catégorie de personnes n’est pas véritablement marquée par le franchissement de la frontière et déménager n’a pas impliqué un changement radical de leur mode de vie :

Le franchissement de la frontière ne m’a pas fait grand-chose. J’habite ici, j’habite là-bas. Franchement c’est la même chose. Leslie

Pour nous, la frontière ce n’est pas vraiment une barrière. On reste dans la même région, on parle la même langue donc ce n’est pas vraiment un dépaysement. Lara

Pas grand’ chose. […] La Suisse romande, moi je trouve qu’il y a peu de différences par rapport à la Savoie. On se comprend et puis, il faut s’adapter à l’endroit où on est. Valentin

14. SYNTHÈSE

Ce chapitre a présenté l’analyse des flux résidentiels et migratoires de la France vers la Suisse. Six thèmes ont plus particulièrement été abordés : l’ampleur des flux transfrontaliers, le profil des migrants, leurs trajectoires, leurs motivations, le processus de choix ainsi que le rôle de la frontière.

Les sources mobilisées sont constituées de statistiques officielles, d’une enquête par questionnaire auprès des personnes en provenance de France et s’étant installées dans le canton de Neuchâtel entre 2007 et 2009, et d’une vingtaine d’entretiens approfondis auprès d’un échantillon illustratif de cette population.

Les pages suivantes proposent une synthèse des principaux résultats obtenus. Rappelons que l’ampleur des flux est basée sur des données statistiques relatives à différentes échelles (Suisse, cantons, communes) ; les autres points concernent uniquement les résultats de notre enquête par questionnaire.

Ampleur des flux

1. Le nombre de ressortissants français en Suisse se monte à 88'000 personnes en 2008. Leur répartition spatiale répond essentiellement à deux logiques : ils sont davantage présents dans les régions francophones et dans les cantons urbains.

2. Le nombre de ressortissants français en Suisse a fortement augmenté entre 1991 et 2008 (+36'000 ; +68%). Cette croissance a surtout concerné les centres urbains du plateau mais peu les régions frontalières de l’Arc jurassien. On peut voir dans cette évolution la conséquence des accords bilatéraux sur la libre circulation des personnes ainsi que du dynamisme de l’économie suisse.

3. À l’inverse des centres urbains du plateau, La Chaux-de-Fonds et du Locle ne profitent pas d’un apport démographique net en provenance de France. Les deux villes enregistrent dans les années 2000 des soldes migratoires équilibrés avec la France. L’attrait des communes françaises limitrophes est compensé par des flux en sens inverse (sans qu’il soit possible de distinguer avec les données disponibles les mouvements selon les départements). La concurrence en termes de localisation résidentielle exercée par les communes françaises proches concerne davantage les travailleurs qui deviennent frontaliers après avoir décroché un emploi, alors qu’ils franchiraient peut-être la frontière si leur lieu de travail était plus éloigné.

Profil

4. Migrer de la France vers le canton de Neuchâtel (et a priori la Suisse) est clairement influencé par la position dans le parcours de vie. Les migrants sont majoritairement des jeunes adultes, comme le montre la forte proportion de ménages d’une personne (37%), de couples sans enfant (29%) ou encore d’individus de 20 à 40 ans (57%). Les ménages avec enfant(s) ne sont certes pas absents mais sont sous-représentés (leur part se monte à un quart).

5. Les migrants se caractérisent par un niveau de formation élevé. Près des deux tiers d’entre eux sont