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DEUXIÈME PARTIE : LES FLUX RESIDENTIELS DE FRANCE VERS

13. R ÔLE DE LA FRONTIÈRE

13.1. Aspects économiques induits par le changement de pays

13.1.1. Réalisation d’un budget comparatif global

La première question en lien avec le sujet visait à savoir si les migrants avaient établi un budget global comparant les coûts et dépenses de part et d’autre de la frontière. Trois catégories-type émergent des entretiens : le comparateur « total », le non-comparateur et, finalement, le comparateur « modéré ». Il apparaît, en premier lieu, que la part de migrants ayant réalisé un budget comparatif global entre la Suisse et la France est faible. Lorsque c’est le cas, il s’agit plutôt d’anciens frontaliers ne possédant pas un statut socio-économique élevé. Les éléments quantifiables généralement pris en compte sont les suivants : le loyer, les impôts, les primes d’assurance-maladie, l’essence (dans la perspective des trajets domicile-travail) ainsi que divers frais (électricité, ordures ménagères, téléphone, etc.). Au final, les conclusions divergent peu selon les personnes ayant effectué un tel calcul. Les célibataires ou couples sans enfant à charge ne constatent quasiment aucune différence entre les deux pays :

J’ai pris en compte les loyers, l’essence et la voiture, le temps pour aller au travail et pour en revenir et je perds peut-être un peu sur mes impôts. Mais j’ai tout calculé et cela revient plus ou moins au même. Il y a des choses qu’on paie ici et qu’on ne paie pas là-bas et inversement. L’un dans l’autre c’est pareil, à peut-être 100 CHF, 200 CHF près [par mois et en faveur de la France]. J’ai recalculé, j’ai tout converti et tout. Léonie

Je suis comptable donc j’ai fait ma petite liste : loyer, impôts, téléphone, machin... avec un petit tableau Excel tout bête, les coûts d’un côté et les coûts de l’autre. C’est là que je peux dire aussi que pour quelqu’un qui est sans enfant, c’est pratiquement équivalent. Neila

Certaines personnes trouvent que des éléments sont plus onéreux en Suisse. Cette différence peut être compensée en termes de qualité ou par le prix d’autres produits. Dans d’autres cas, une stratégie est mise en œuvre autour de la frontière :

On a pris en compte le loyer, les factures internet et téléphone, les assurances-maladie, l’électricité, l’eau, l’essence… Donc on a pris tout cela et après on a comparé avec ce qu’on payait avant en France. Sur certains éléments cela s’équilibre et sur d’autres la Suisse est plus chère. Par exemple, les courses sont plus avantageuses du côté français que du côté suisse mais l’essence est plus basse ici. Mais après il y a aussi la qualité qui joue, on en est conscient. Ici, on est sûr d’avoir une bonne qualité de produits qu’on n’aurait pas forcément en France. Personnellement je trouve que c’est de meilleure qualité. Lenny

Les seules choses que j’ai trouvées un peu plus chères en Suisse, c’est le dentiste et les lunettes… En France, le dentiste est remboursé et les assurances-maladie paient mieux les lunettes. C’est, je dirais, vraiment la seule grosse différence. Moi, je vais toujours chez le dentiste en France et mes lunettes viennent de France parce que c’est moins cher. Neila

Si certains migrants réalisent un budget comparatif global entre les deux pays, les entretiens ont mis en évidence que ce n’est de loin pas la règle. En effet, une grande partie des personnes questionnées – en particulier les jeunes, célibataires ou en couple mais sans enfant à charge – avouent n’avoir procédé à strictement aucun calcul comparatif. Dans ce cas de figure, le fait de disposer d’un salaire permettant de bien vivre en Suisse est suffisant :

J’ai eu beaucoup d’échos comme quoi si je travaillais en Suisse et j’habitais en France j’y gagnerais… Mais bon je n’ai pas du tout fait ce calcul parce que cela me fatiguait un peu de le faire. Je me suis dit que ce serait bien

d’habiter ici et que je n’avais aucun intérêt à traverser la frontière. En plus au niveau économique, je ne suis vraiment pas à plaindre. J’ai un pouvoir d’achat, par rapport à mes camarades qui travaillent en France, qui n’est pas comparable. Pour moi l’effort de gagner un peu de pouvoir d’achat en habitant de l’autre côté de la frontière ne valait pas la peine. Et puis je me voyais mal habiter à Morteau. … En plus avec le manque de transports en

commun, la durée, etc. Avec simplement ces paramètres, le calcul je n’avais même pas envie de le faire ! Ce que je gagne en qualité de vie et en cadre de vie, ce n’est pas pour le mettre ailleurs surtout quand on est jeune et célibataire. … J’ai fait un budget-type mensuel pour moi, avec mon salaire suisse, mais je n’ai pas comparé

avec la France. De toute façon, je suis arrivé à la conclusion qu’il me restait suffisamment à la fin du mois. Donc pourquoi comparer avec la France ? Je m’en étais déjà aperçu au début en étant ici en stage : quand tu es célibataire, que tu n’as pas d’enfant, pas de problème. Mon salaire me permet de bien vivre et voilà. J’ai toujours eu de quoi partir voir ma famille, d’aller au musée, d’aller faire du ski, de partir en vacance l’été… Larry

Bon je savais qu’en Suisse on gagnait plus d’argent qu’en France mais je n’avais pas de chiffre, je n’avais rien comparé. Je savais qu’on gagnait plus ici parce qu’on me l’avait dit. Léo

On avait les moyens de venir habiter ici. On savait que c’était à peine plus cher au niveau des assurances, en particulier au niveau de l’assurance santé. Mais on avait les moyens donc on ne s’est pas posé plus de questions que ça. On a pu remarquer que les denrées classiques ne sont pas forcément plus chères en Suisse qu’en France. Neila

Dans certains cas, le budget comparatif global n’est délibérément pas réalisé pour ne pas freiner la volonté de déménagement s’il s’avérait que le changement de pays entraîne une perte d’argent. En l’occurrence, d’autres motivations que des considérations financières prennent le dessus :

Alors non pas vraiment. Je ne voulais peut-être pas être mis en face des faits. Je sais que je suis perdant de toute façon en venant ici. Financièrement, c’est bien clair. Je ne voulais peut-être pas avoir les chiffres en face pour ne pas me faire peur. … on pourrait comparer toutes les petites choses qui se mettent bout à bout mais je

ne l’ai pas fait. Lionel

Absolument pas. On s’est dit que ce n’était pas grave si on n’avait plus d’argent. Au moins on serait bien. Tout le monde nous disait qu’on allait perdre de l’argent mais nous on s’est dit tant pis. L’envie de partir était là. Laila

Le raisonnement est parfois similaire pour certaines familles en provenance du reste de la France dont l’un des membres du ménage a trouvé un emploi dans le canton de Neuchâtel :

On est un peu arrivé la tête baissée et puis après on a regardé. Ça allait. De toute façon, quand on va dans un pays, on prend tout ce qu’il y a. On aurait pu devenir frontalier par exemple, mais c’est quelque chose qui ne me convient pas… C'est-à-dire, si je suis dans un pays et bien j’ai envie de vivre dans le pays socialement et économiquement. Donc je m’installe et je fais comme les habitants. Je n’apprécie pas trop le fait de profiter un peu. Non et puis voilà, c’est cela, je m’installe dans un pays. Valentin

Certains ménages établissent un budget comparatif global a posteriori. C’est le cas de ce ménage qui possède une résidence secondaire dans le département du Doubs qui est en train d’être rénovée :

Avant [de déménager] non mais après oui ! … En fait, mon idée de faire un budget comparatif provient du fait

qu’on n’arrivait pas à mettre d’argent de côté, alors que mon mari a quand même un salaire correct et comme on a des frais sur notre autre maison pour la rénover, il faut bien qu’on génère de l’argent. Ce qu’on a comparé, c’est les impôts, l’assurance-santé, les assurances automobiles et puis les loyers mais pas les dépenses courants dans l’alimentaire par exemple. Ah oui et on a regardé aussi ce que nous coûterait les trajets. Et il en est ressorti qu’on pouvait à peu près gagner 6'000 euros par an en habitant en France… Ce qui motive notre décision de repartir en France. Neila

Il existe finalement, entre le comparateur « total » et le non- comparateur, une troisième figure-type que l’on peut qualifier de comparateur modéré. Les entretiens ont en effet mis en évidence que le calcul

économique réalisé par les ménages est la plupart du temps partiel et que la comparaison entre les deux pays reste lacunaire :

J’ai surtout regardé au niveau du loyer et puis au niveau du transport j’ai pas mal économisé en fait. Léandre

J’ai pris en compte le fait qu’on ait un toit sur la tête, qu’on ait une assurance-maladie correcte parce que ma fille a de gros problèmes de santé et puis surtout qu’on puisse manger tous les jours. C’étaient vraiment les trois éléments que je n’aurais pas retrouvés en France. Laurence

Ce type de ménages ne prend ainsi en compte que certains éléments pour effectuer son calcul et les comparent au cas par cas. Ces thématiques sont discutées ci-après.