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Dans son article intitulé « Pour une littérature du derrière : licence du corps féminin et stratégie du sens dans les trois premiers récits des Cent Nouvelles nouvelles 56 », Y. Foehr-Janssens souligne le « projet littéraire d’un recueil qui ne craint pas de faire de la représentation de la sexualité un de ses sujets de prédilection », partant, elle met en exergue ce thème majoritaire dans le fabliau, dans la nouvelle-fabliau.

Dans son étude, elle fait le parallèle avec des fabliaux57. La première nouvelle est liée au fabliau Les deus changeors. Comme lui, elle utilise le motif du mari trompé par le voisin et celui de la femme au derrière dévoilé. Tandis que le visage est caché :

Mes bien a point son vis lui cuevre […]

Mes cil remoustre tout a tire Piez et jambes, cuisses et flans, Les hanches et les costez blans, Les mains, les braz et les mameles

Qu’elle avoit serrees et beles,

Le blanc col et la blanche gorge.

On note une grande insistance sur le procédé dans la nouvelle :

56 Foehr- Janssens, Y., « Pour une littérature du derrière : licence du corps féminin et stratégie du sens dans les trois premiers récits des Cent Nouvelles nouvelles », [art. cit.], pp. 277-291.

Le bon bourgoys, tout asseuré, et de son fait tresadvisé, la fist bien a haste couscher, et au plus près d’elle se bouta, et luy chargea bien qu’elle se joignist près de luy et caichast le visage qu’on n’en puisse rien

apercevoir58[…]

Le bourgois fut content que luy montrast a descouvert le derriere de sa femme, les rains et les cuisses, qui blanches et grosses estoient, et le surplus bel et honeste, sans rien descouvrir ne veoir du visage59. La bonne femme fut vistement mise sur piez, et en pou d’heure habillée et lassée de sa cotte simple, son corset

en son bras60.

De même, à travers les expressions triviales, nous voyons que la sexualité est exhibée. Les expressions triviales du fabliau se retrouvent dans les Cent Nouvelles nouvelles :

un gentil compaignon me fist un joyeux compte d’un homme maryé, de qui la femme estoit tant luxurieuse et chaulde sur potage et tant publicque, que a paine estoit elle contente qu’on la cuignast en plaines rues avant

qu’elle ne le fust61.

Si la mena en une tresbelle garderobe, et serra l’huys, et sur le lit se mist ; et maistre moyne lui leve ses draps, et au lieu du doi de la main bouta son perchant dur et roidde62.

Ainsi, la scatologie, les excès ici matérialisés par le corps et la taverne trouvent-ils un cadre identifié par l’assise sur les thèmes traditionnels qui permettent la création ; ils trouvent aussi leur fondement dans le carnaval et le règne de la fête et de l’abondance qui lui sont associés. Comme le rappellent J. Le Goff et N. Truong63 dans leur ouvrage, le corps et le geste64 au Moyen Age tiennent une place prépondérante, que le fabliau, littérature populaire, s’applique à relayer.

Divisé entre Carême et Carnaval dans la vie réelle, le corps est à la fête dans le fabliau. La nouvelle 100 des Cent Nouvelles nouvelles résume la vision adoptée dans la nouvelle-fabliau, clairement soumise au rire comme souligné dans la chute :

Le maistre d’ostel et tous les autres de ses serviteurs commencerent a rire et firent semblant de adjouster foy a la bourde de leur maistre, trop subtillement fardée et coullourée ; et en tindrent depuis manière du bien de luy, et

aussi maintesfoi en divers lieux joyeusement [le] raconterent65.

58 Nouvelle 34, op. cit., p. 241.

59 Nouvelle 34, op. cit., p. 242.

60 Nouvelle 34, op. cit., p. 244.

61 Nouvelle 91, op. cit., p. 492.

62

Nouvelle 44, op. cit., p. 299.

63 Le Goff, N., Truong, N., Une histoire du corps au Moyen Age, Paris, Editions Liana Levi, 2003, passim.

Ce texte nous semble retracer l’état d’esprit des Cent Nouvelles nouvelles, résolument carnavalesque car, en premier lieu, il traite d’un sujet sensible au Moyen Age : le respect du jeûne le vendredi, qui plus est, par un moine dans la nouvelle. On insiste beaucoup sur les règles à respecter, le jeûne collectif auquel on ne peut déroger et, par conséquent, sur la nourriture. Par malchance, son maître d’hôtel ne parvient pas à lui trouver de poisson même en cherchant avec application :

Son maistre d’ostel, pour luy obeyr, s’en alla au marché, et par touts les poissonniers de la ville pour trouver du

poisson. Mais pour faire le compte bref, il n’en peut oncques recouvrer d’un seul loppin, quelque diligence que luy et on hoste en sceussent faire. D’adventure, eulx s’en retournans a l’ostel sans poisson66.

Or, c’est un immense problème pour le moine gros et gras qui ne vit que pour manger. Son maître d’hôtel a cherché à le rassurer en lui énumérant déjà le menu – loin d’être frugal – du soir et lui a promis un lendemain meilleur :

« Et que pourrons-nous soupper ? –Monseigneur, respondist il, je vous feray faire des œufs en plus de cent mille

manieres ; vous aurés aussi des pommes et des poires. Nostre hoste a aussi de bon fourmaige, et bien gras : nous vous tiendrons bien aise. Ayez patience pour meshuy : ung soupper est tantost passé ; vous serez demain plus

aise, si Dieu le veust67. […] »

Pourtant, le moine ne peut résister à la tentation et se pourlèche les babines quand il voit les deux perdrix achetées par le maître d’hôtel, prévues, bien sûr, pour le dimanche. Le fait qu’on nous spécifie qu’elles sont prévues pour le dimanche, jour autorisé de la viande, appuie sur le péché de gourmandise commis par le moine.

Il cède donc à la tentation :

Le bon prestre estoit la pluspart du temps qu’elles mirent a cuire tousjours present, dont son maistre d’ostel ne se sçavoit assés esbahir, et ne sçavoit pas l’appetit desordonné de son maistre qu’il eust a ceste heure de devorer les

perdrix68[…]

Le moine passe donc du temps près de ses perdrix mais ne remet jamais en cause ce qu’il s’apprête à faire, contrairement à son maître d’hôtel qui « ne ce sçavait » puis « ne sçavait

65 Nouvelle 100, op. cit., p. 583.

66

Nouvelle 100, op. cit., p. 581.

67 Nouvelle 100, op. cit., p. 581.

pas » et enfin « cuidoit qu’il le fist pour dimanche69 ». Il est perdu et désappointé par cette action qui semble inconcevable. De plus, le vocabulaire utilisé pour décrire la scène est celui d’un véritable carnage :

Et bon evesque d’assaillir ces perdrix et desmembrer d’entrée la meilleure qui fust ; et commença a trencher et menger, car tant avoit haste que oncques ne donna loisir a son escuyer, qui devant luy trenchoit, qu’il eust mist

son pain ne ses couteaux a point70.

Ce passage frénétique est justifié par le moine par une pirouette comique, créant une chute blasphématoire qui provoque l’hilarité de l’assistance.

Le moine impie ne se repent pas et son monde inversé, carnavalesque, ne s’offense pas de ces péchés même s’il marque la surprise :

Ha, monseigneur, que faictes vous ? Etes vous Juif ou Sarrazin que ne gardez vous aultrement le vendredy ? Par ma foy je me donne grant merveille de votre faict71[…]

C’est à partir du soulignement de la surprise et de la chute qui est la réponse du moine que nous comprenons que les lois du monde de cette nouvelle sont inversées. Comme le maître d’hôtel est prêt à suivre le moine en faisant semblant de le croire, lui et les autres membres valident en quelque sorte ses actions. Ces règles carnavalesques qui mettent l’accent sur l’inversion des lois communément admises soulignent l’appartenance du fabliau et de la nouvelle-fabliau à un monde à part aux lois et à la logique qui lui sont propres. Il s’agit alors de scènes qui aboutissent à un résultat attendu et programmé.