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La querelle : des fabliaux au thème prédéterminé chez Chaucer

2 Partie 2 : Recueil et Nouvelles

2.3 Le succès de Boccace et du Décaméron

2.3.7 La parole hiérarchisée et le thème. .1Dans le Décaméron

2.3.7.4 La querelle : des fabliaux au thème prédéterminé chez Chaucer

Pour le thème des contes dits « fabliaux », il est comme prédéterminé par les conteurs puisqu’ils se chamaillent et se répondent en utilisant un personnage type du même rang qu’un autre conteur (c’est le même système que dans le Décaméron lorsque le thème des nouvelles est libre).

Le rang social des personnages des contes est donc parallèle au rang social des conteurs mais celui qui met en scène un type de personnage le tourne toujours en ridicule puisqu’il s’agit de faire rire. Alors le conteur suivant prend sa revanche en faisant intervenir un personnage qui ridiculisera le conteur précédent. Pour le Conte du Frère, ce n’est pas le conteur précédent mais un autre conteur de fabliau qui ripostera en mettant en scène un Frère. C’est pourquoi les personnages sont extrêmes, l’hyperbole permet de forcer le trait et de faire rire. Ce jeu de réponse à une agression d’un autre conteur constitue l’une des règles observées dans le recueil

de Chaucer et mêle ainsi la substance du récit à la pragmatique via la société conteuse, surtout que les conteurs, comme les personnages des contes sont des types, ce qui est souligné par la présence d’une majuscule. Il renforce l’illusion d’un cercle de conteurs à la parole vive rapportée par un témoin-scripteur.

Un tableau reprendra les liens entre les conteurs, partant les circonstances qui détermineront des personnages en scène et, par conséquent, le sujet du conte :

Conte Conte précédent réponse Conte du Meunier Conte du Chevalier

Le Meunier souhaite concurrencer le Conte du Chevalier : Morbleu et palsambleu ! moi je connais

Une noble histoire tout à fait adéquate Comme pendant du Conte du Chevalier740.

Conte du

Régisseur

Conte du Meunier

Le Régisseur répond au Meunier :

- Or donc, Messeigneurs, commença Oswald, Si je lui réplique et rabats son caquet,

Coup sur coup c’est ma légitime défense,

Notre Meunier ivre vient de raconter Comment fut trompé un pauvre charpentier,

En me visant sans doute car j’en suis un,

Sauf votre respect, il va me le payer,

Et j’emploierai son style, un style de rustre, Que Dieu m’entende et lui rompe le cou !

Il sait découvrir une paille dans mon œil

Mais dans le sien il ne voit pas la poutre741.

Conte du

Cuisinier

Le conte auquel nous faisons allusion n’est que fragmentaire et nous en ignorons le sujet. Toutefois, une remarque du Cuisinier

740 Conte du Meunier, op. cit., p. 112.

corrobore la notion de compétition entre les conteurs que nous évoquions :

Ne te fâche pas si, avant qu’on se quitte,

Je veux raconter une histoire d’hôtelier –

Mais je réserve cette histoire pour plus tard

Avant qu’on se sépare, nous serons quittes742 !

Conte du

Frère

Conte de la Bourgeoise

Le Frère et l’Huissier ont eu une altercation retracée dans le prologue du Conte de la Bourgeoise :

Holà, dit l’Huissier d’Eglise, palsambleu !

Il faut qu’un frère aille partout fourrer son nez.

Frère et mouche, croyez-moi, c’est tout un : Vous les trouvez dans vos plats, vos affaires.

Et toi qui nous parles de préambuler Va déambuler, ou t’asseoir en silence.

Tu fausses le jeu en agissant ainsi.

Et l’autre de rétorquer :

–Vraiment, Monsieur l’Huissier? répliqua l’autre,

Eh bien, crois-moi avant que je ne parte

Je dirai une histoire ou deux d’huissier

Qui fera rire la compagnie présente743.

[…]

Et le Frère tient parole puisque :

Notre religieux, le révérend Frère, ne cessait de lorgner d’un mauvais œil L’Huissier ecclésiastique mais par politesse

742 Conte du Cuisinier, op. cit., p. 146.

Avait jusqu’ici évité l’injure744.

N’y tenant plus, les deux hommes se disputent franchement jusqu’à ce que l’Hôtelier s’interpose. Pourtant, ils se promettent de poursuivre cette joute verbale à travers leurs récits, ce qui relance le jeu.

Conte de

l’Huissier

Conte du Frère L’Huissier est très en colère contre le Frère :

L’Huissier se dressa sur ses étriers, Si envahi de rage contre le Frère

Qu’il tremblait de colère comme feuille de frêne745.

Conte du

Marchand

Conte de

l’Universitaire

Ce conte ne répond à aucun autre.

Conte du Vendeur

d’Indulgences (nouvelle)

Conte du Médecin Ce conte ne répond à aucun

autre.

Pour remporter le concours, les conteurs font de leur mieux et n’apprécient pas que les autres membres de l’assemblée réagissent positivement – en riant –à un autre conte. C’est pourquoi ils cherchent à surenchérir et à décrédibiliser les autres.

La macrostructure de la nouvelle-fabliau de Chaucer est donc prédéterminée par sa structure brève qui induit des personnages simples et réalistes, eux-mêmes annoncés par le rang social des conteurs du récit-cadre.

Si les recueils de nouvelles n’ont pas de continuité tonale, une structure précise établie vient hiérarchiser le tout dans les recueils du type boccacien, l’on peut même parler d’une solide

744 Prologue du Conte du Frère, op. cit., p. 224.

architecture où rien n’est laissé au hasard. Cette structure permet de maîtriser l’apparente hétérogénéité des récits.