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2 Partie 2 : Recueil et Nouvelles

2.3 Le succès de Boccace et du Décaméron

2.3.2 Biographie de Marguerite de Navarre

En 1492, à Angoulême, naît Marguerite de Navarre, également appelée Marguerite d'Angoulême ou Marguerite d'Alençon. Petite-nièce du poète Charles d'Orléans et soeur de François 1er (roi de France en 1515), elle reçoit une éducation raffinée basée sur des études solides. Elle joue un rôle capital dans la première partie du XVIe siècle : son influence sera profonde en diplomatie et elle montrera un grand intérêt pour les idées nouvelles, encourageant les artistes à la Cour de France comme l’avait fait en ses temps et lieux Philippe le Bon. Son engagement spirituel la pousse à défendre également la Réforme. Mariée au duc Charles d'Alençon en 1509, puis remariée après la mort de ce dernier au roi de Navarre Henri d'Albret en 1527, elle donnera naissance à Jeanne d'Albret, future mère d'Henri IV.

Egalement connue comme l'une des premières femmes de lettres françaises, elle est l'auteur de nombreux ouvrages, dont :

Le Dialogue en forme de vision nocturne en 1524 ;

Le Miroir de l'âme pécheresse en 1529 ;

Les Marguerites de la Marguerite des Princesses en 1533 ;

La Coche en1541 ;

Les Chansons spirituelles en 1547 ;

La Navire ou Consolation du roi François 1er à sa soeur Marguerite en 1547 ; etc...

Au fur et à mesure que son influence politique décline, son rôle de protectrice des lettres augmente. Le Décaméron de Boccace est traduit d'italien en français par Antoine Le Maçon à sa demande ; il est publié en 1545 avec une dédicace à sa protectrice.

Cette traduction suggère à la Reine l'inspiration d'une oeuvre à l'organisation comparable à celle du Toscan deux siècles auparavant. Disposant d'ores-et-déjà d'une collection d'anecdotes jaillies spontanément du plaisir de dire, des histoires racontées à son entourage durant ses loisirs de conteuse puis notées, c'est plus tard seulement que, l'exemple de Boccace aidant, elle saura les exploiter, les remanier et les organiser dans son propre recueil de nouvelles. L' Heptaméron paraît en 1559 de manière posthume : sur les cent nouvelles annoncées, nous n’en aurons que soixante-douze.

Une première édition (un in-quarto de 200 feuillets) a vu le jour neuf ans après la mort de Marguerite de Navarre sous le nom d’Histoire des Amans Fortunez. Cette édition partielle, confuse et sans nom d’auteur a été un échec. L’éditeur Boaistuau y présente une œuvre bien loin de son modèle de référence boccacien puisqu’on nous y donne 67 nouvelles qui ne sont pas groupées en journées et dont l’ordre est arbitraire. Certains débats ne sont pas retranscrits en entier, d’autres sont déplacés. De plus, le nom de l’auteur n’est pas cité même s’il est reconnaissable dans l’éloge de l’éditeur. D’autres éditions, plus tard, nommeront l’œuvre

Contes et Nouvelles.

En 1545, le Décaméron et l’Heptaméron étaient déjà associés puisque c’est Marguerite de Navarre qui a demandé à Antoine Le Maçon de publier une traduction très fidèle du

Décaméron (cf prologue).

C’est donc très logiquement, en 1559, que Claude Gruget trouve la formule gagnante en intitulant l’œuvre L’Heptaméron des nouvelles. Ce fut un succès. Le titre met directement en avant la relation entre les deux œuvres et exprime par la même occasion l’échec du projet d’écrire un nouveau Décaméron puisque « décaméron » est issu du grec déca qui signifie dix et « éméra », journée et qu’ «heptaméron » est aussi issu du grec avec hepta qui signifie sept. Le lecteur aura compris d’emblée que l’Heptaméron ne contient que sept journées (avec deux histoires dans la huitième) au lieu des dix prévues à l’image de son modèle italien. Il lui redonne sa forme boccacienne originale :

La quatrième de couverture est également très explicite quand elle présente l’Heptaméron

comme le « Décaméron français » en établissant une filiation directe entre Boccace et Marguerite de Navarre de façon à attirer le lecteur et orienter sa lecture. Enfin, cette volonté d’imiter Boccace est confirmée et pleinement assumée par Marguerite de Navarre elle-même car elle a laissé des notes affirmant cette volonté. On y apprend que Marguerite de Navarre aurait été stimulée654 par la traduction du Décaméron par Antoine le Maçon qu’il a faite à sa demande.

Différents modèles issus de lieux et de temps différents montrent comment le dispositif boccacien peut être retravaillé, comment la « thésaurisation » de la parole est dans tous les cas essentielle grâce à un prologue qui propose de l’oralité dans l’écriture, comment la tradition subsiste avec les récits du type nouvelles-fabliaux dans des recueils de différentes époques. Car le travail que nous avons effectué dans cette seconde partie démontre une individualisation certaine du recueil de nouvelles au fil du temps.

Dans un premier temps, le prologue des œuvres nous désigne un « modèle » (boccacien) suivi d’assez prêt ; dans un second temps, le divertissement proposé par ces mêmes recueils suit assez la tradition renaissante et boccacienne même si des différences, naturellement soulignées, sont notables.

Quelles œuvres choisir pour réaliser cette étude ?

Comme nous l’avons rappelé, de nombreux recueils de nouvelles ont été écrits de la fin du Moyen Age à la Renaissance.

Ainsi, nous avons été contrainte d’opérer un choix qui puisse représenter une évolution dans le temps et dans les lieux de création. Nous nous sommes arrêtée sur cinq œuvres utilisant ce même modèle et ayant des objectifs affichés différents :

- Le Décaméron de Boccace ;

- Les Contes de Canterbury de Chaucer655 ; - Les Cent Nouvelles nouvelles ;

654 Voir Cazauran, N., l’Heptaméron de Marguerite de Navarre, Paris, Sedes, 1995, p. 20.

655

Ils ont été écrits entre 1387 et 140 . Chau e est le p e ie g a d auteu à s i spi e du od le o a ie . E , il pu lie sa t ag die de l a ou t ahi : Troïle et Cresside, trois ans plus tard La légende des dames exemplaires. Vers 1387, il commence ses Contes de Canterbury dont plusieurs récits sont issus du Décaméron.

- Les Evangiles des Quenouilles656 ; - L’Heptaméron de Marguerite de Navarre.

2.3.3 Le récit-cadre : la parole écrite : une tradition moderne