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Chapitre II : Cadre conceptuel

2.2. La discrimination

2.2.1. Concepts-clés

2.2.1.5. Segmentation du marché du travail, discrimination et perception de la structure des

Traditionnellement en Amérique du Nord, les personnes immigrantes occupaient des emplois situés dans le secteur secondaire du marché du travail dual, c’est-à-dire, des emplois précaires et peu qualifiés, soutenant un marché primaire stable et offrant de bonnes conditions d’emploi (Doeringer et Piore, 1971). Malgré que certaines personnes immigrantes étaient qualifiées et pratiquaient des métiers, plusieurs étaient une main- d’œuvre peu ou pas qualifiée, occupant des emplois précaires et mal rémunérés (Doeringer et Piore, 1971). Selon Doeringer et Piore (1971), ces emplois existaient afin de soutenir les bons emplois du secteur primaire ainsi que les habitudes de consommation des personnes qui les occupent, c'est-à-dire les personnes natives, majoritairement des hommes. Selon Doeringer et Piore (1971), les personnes immigrantes accepteraient ces emplois, car elles n' accordent pas d’importance au statut de l’emploi, ne prévoyant pas nécessairement rester dans le pays d’accueil, mais plutôt, prévoyant retourner dans leurs pays d’origine pour entreprendre des projets commerciaux ou d’agriculture. Pour ceux qui restent, le « rêve » de la mobilité ascendante est plutôt transmis aux enfants, qui sont socialisés dans le pays

d’accueil et qui ont plus de chances de réussir dans le système scolaire et d’accéder aux emplois dans le marché primaire12.

Au Québec, depuis les années 1990, ce sont majoritairement des travailleurs qualifiés désirant accéder au marché primaire qui immigrent dans le but d’enrichir leur parcours professionnel dans un contexte politiquement et économiquement stable. Comme dans plusieurs économies développées, l’État fait un choix délibéré de privilégier l’immigration économique de travailleurs et de travailleuses qualifié-es parce que leur capital humain leur assure en quelque sorte une forte probabilité d’occuper un emploi de qualité, d’avoir une bonne mobilité sur le marché du travail et de contribuer de façon significative à l’économie nationale (Syed, 2008). La réalité, par contre, n’est pas toujours aussi simple ni aussi positive. En effet, la discrimination, ou la perception de celle-ci peut jouer un rôle dans la confiance qu’ont les personnes de leur potentielle intégration socioprofessionnelle. Il importe de noter que la perception de la discrimination n’équivaut pas à son existence, et qu’inversement, son existence n’est pas toujours perçue. Cependant, le fait que la discrimination soit ressentie par certaines personnes fait d’elle un sujet d’enquête pertinent en raison de sa fréquence et de ses conséquences. Selon l’Enquête sur la diversité ethnique (Statistique Canada, 2003), 26 % des Arabes se sentent victimes de discrimination ou de traitement injuste, contre 50 % des noirs, 35 % des Asiatiques du sud-est et 29 % des Latinos américains. La discrimination, réelle ou ressentie, et les échecs répétés peuvent mener à un manque de confiance en soi, au découragement et au sentiment de rejet (Drudi, 2006 : 13). De plus, ces situations peuvent affaiblir les structures familiales, stigmatiser les enfants comme étant des étrangers et marginaliser les réseaux de support qui serviraient autrement à faciliter l’intégration en emploi et en société (Drudi, 2006).

Selon Evans et Herr (1991), la perception qu’ont les individus de leurs opportunités d’emploi a une influence sur leurs aspirations de carrière. Par exemple, ils démontrent que

12 Nous utilisons le terme « marché primaire » au sens de la théorie du marché dual ou l’économie est

composée d’un marché primaire – un noyau d’emplois stables, bien rémunérés - et d’un marché secondaire, où les emplois sont plus précaires.

les femmes afro-américaines tendent à éviter les choix de carrière où elles perçoivent ou anticipent le racisme ou le sexisme. Elles optent plutôt pour des emplois dans le domaine des services offerts à leur propre communauté. De plus, les femmes en général qui choisissent des domaines traditionnellement masculins ont tendance à démontrer un locus de contrôle interne, tandis que les femmes qui choisissent des carrières plus traditionnellement féminines ont un locus de contrôle externe (Burlin, 1976). Nous pensons par exemple aux femmes immigrantes hautement qualifiées qui se recyclent dans des domaines moins qualifiés ou dans des domaines traditionnellement féminins, soit temporairement pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille, soit de façon permanente suite à une déqualification (Action travail des femmes, 2009; Chicha, 2009). Nous nous inspirons des propos de Evans et Herr (1991) afin de voir si les femmes immigrantes qualifiées originaires du Maghreb adoptent une stratégie où elles évitent les emplois où elles perçoivent un degré élevé de sexisme ou de racisme. À titre de comparaison, des études sur les communautés immigrantes suggèrent que les personnes immigrantes peu qualifiées adopteraient ce genre de stratégie et qu’elles trouvaient une activité économique dans leur communauté, soit en tant qu’entrepreneures ou simplement en tant qu’employées d’une autre personne immigrante. Il sera intéressant cependant de voir si c’est le cas pour des personnes hautement qualifiées, particulièrement dans la ville de Québec où le phénomène d’enclave pourrait être plus rare.

Par ailleurs, certaines études montrent que les orientations psychologiques des personnes envers leur carrière peuvent être affectées par leur statut socio-économique (Riverin- Simard, 1992). Ce résultat de recherche peut être pertinent dans la mesure où nous nous intéressons à un groupe de personnes ayant un statut socio-économique relativement élevé dans leur société d’origine. Cette catégorie de personnes a tendance à croire que ses capacités personnelles et que les structures de la société, notamment celles du marché du travail, sont propices à ce qu’elle puisse poursuivre ses objectifs et ses attentes, étant en quelque sorte maitre de son propre destin. À l’inverse, les personnes issues des classes moyennes et défavorisées croient plutôt que l’individu a un pouvoir restreint, doit se conformer à l’autorité, et doit s’adapter aux opportunités qui lui sont offertes sur le marché du travail (Kohn, cité dans Riverin-Simard, 1992).

En guise de conclusion, si des personnes immigrantes sont sélectionnées afin de répondre aux besoins d’une économie de plus en plus fondée sur le savoir, il n’est pas clair que leur capital humain suffit à leur assurer une intégration socioprofessionnelle réussie. En effet, le capital social joue aussi un rôle: si le capital social peut améliorer le sort économique des individus au sein d’une société, le manque de réseaux sociaux comprenant de liens faibles avec des membres de la société d’accueil peut aussi représenter un obstacle important pour les personnes immigrantes. De plus, un capital social fort résultant de liens forts au sein d’un groupe minoritaire peut aussi avoir des effets négatifs sur le potentiel socio- économique des personnes immigrantes si ces dernières se retrouvent dans des emplois déqualifiés au sein d’enclaves ethniques. Finalement, la question de la discrimination peut être évoquée lorsque l’on considère, par exemple, comment le recrutement via les réseaux sociaux peut reproduire la sous-représentation des minorités au sein d’une entreprise en favorisant l’embauche de personnes natives si les entreprises et leurs employés n’entretiennent pas de liens avec des personnes immigrantes. Dans la section qui suit, nous présentons la méthodologie retenue afin d’explorer l’articulation entre le capital humain, le capital social, la discrimination et l’intégration socioprofessionnelle telle que vécue par les femmes immigrantes qualifiées d’origine maghrébine à Québec. Rappelons que l’un des objectifs de la thèse est d’étudier la perspective de cette population dans l’espoir d’alimenter et d’améliorer les théories le capital social et les réseaux sociaux la discrimination et l’articulation entre ces trois concepts.