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Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans l'intégration socioprofessionnelle : le point de vue des immigrantes hautement scolarisées d'origine maghrébine établies à Québec

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Academic year: 2021

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Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination

dans l’intégration socioprofessionnelle

:

Le point de vue des immigrantes hautement scolarisées

d’origine maghrébine établies à Québec

Thèse

Carol-Anne Gauthier

Doctorat en relations industrielles

Philosophiae Doctor (Ph.D.)

Québec, Canada

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Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination

dans l’intégration socioprofessionnelle

:

Le point de vue des immigrantes hautement scolarisées

d’origine maghrébine établies à Québec

Thèse

Carol-Anne Gauthier

Sous la direction de : Kamel Béji, directeur de recherche Hélène Lee-Gosselin, codirectrice de recherche

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Résumé

Les obstacles à l’intégration socioprofessionnelle des immigrantes hautement scolarisées au Québec sont bien documentés. Parmi eux figurent la discrimination systémique et le manque de réseaux sociaux « utiles » pour faciliter l’obtention d’un emploi correspondant aux attentes. L’objectif de cette thèse est de comprendre le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes maghrébines hautement scolarisées établies à Québec. Deux cadres conceptuels sont alliés pour effectuer une analyse multiniveau : la nouvelle sociologie économique – dont la théorie des réseaux sociaux – et les théories de la discrimination, notamment la discrimination systémique et l’intersectionnalité. Dans une démarche méthodologique qualitative s’inspirant de la théorie du point de vue, 15 immigrantes maghrébines hautement scolarisées établies à Québec ont participé à des entretiens individuels semi-dirigés afin de partager leurs expériences professionnelles et migratoires. Leurs parcours scolaires, professionnels et migratoires ont été analysés en portant une attention particulière au rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans l’articulation des attentes et des stratégies d’intégration, puis aux résultats de celles-ci. Les résultats confirment qu’une approche qualitative permet d’enrichir les connaissances relatives aux dynamiques individuelles et sociales de création et de mobilisation des réseaux sociaux et de leur influence sur les parcours migratoires et professionnels. L’étude a permis de jeter un regard sur les processus prémigratoires tels que le rôle des réseaux dans la trajectoire professionnelle, la non-mobilisation des réseaux déjà établis au Québec et la réticence des membres de ces réseaux de dévoiler leur situation de socioprofessionnelle. Concernant les réseaux postmigratoires, la difficulté de tisser des liens avec les membres de la communauté d’accueil ainsi que la méfiance de certaines immigrantes envers leur communauté ethnoculturelle a été observée. Cette recherche démontre également que les immigrantes maghrébines hautement scolarisées vivent des difficultés particulières sur le marché du travail québécois en raison de leur statut d’immigrante, de leur sexe et de leur origine ethnoculturelle.

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Abstract

The obstacles to the social and professional integration of highly-educated immigrant women in Quebec are well documented. They include systemic discrimination and the lack of social networks « useful » in helping to find a job that corresponds to their expectations. The aim of this thesis is to understand the role of social networks and of discrimination in the career paths and migration trajectories of highly-skilled immigrant women from the Maghreb established in Québec City. To do so, two conceptual frameworks are employed to conduct a multilevel analysis: new economic sociology – particularly social network theory – and discrimination theories, notably systemic discrimination and intersectionality.

A qualitative methodology inspired by standpoint theory was used. Fifteen highly-skilled immigrant women from the Maghreb established in Québec City participated in semi-structured interviews, and shared their professional and migratory experiences. Their educational, professional and migration paths were then analysed, with a focus on the role of social networks and of discrimination in the development of professional expectations and integration strategies, and of their outcomes. The results of this thesis confirm that a qualitative approach contributes to the understanding of the individual and social dynamics involved in the creation and use of social networks, and their effects on migration and professional trajectories. This study also explored premigratory processes such as the role of social networks in the premigratory career path, the non-use of networks in Quebec and the reluctance of members of this network to disclose their socioprofessional situation. With regards to postmigratory networks of Maghrebi immigrant women, difficulties creating ties with native Quebeckers and distrust towards their ethnocultural community were also observed. Finally, this thesis shows that highly educated immigrant women from the Maghreb experience particular difficulties on the Quebec labour market because of their immigrant status, their sex, and their ethnocultural origin.

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Table des matières

Résumé ... iii

Abstract ... iv

Table des matières ... v

Liste des tableaux et figure ... viii

Remerciements ... ix

Introduction ... 1

Chapitre I : Problématique ... 8

1.1. L’intégration socioprofessionnelle des personnes immigrantes qualifiées ... 11

1.1.1 Quelques définitions ... 11

1.1.2 Les obstacles à l’intégration socioprofessionnelle des personnes immigrantes qualifiées : quelques explications potentielles ... 15

1.1.2.1. Les obstacles à l’intégration socioprofessionnelle des femmes immigrantes qualifiées ...17

1.1.3 Portrait de la population immigrante d’origine maghrébine au Québec et de leur intégration socioprofessionnelle ... 21

1.1.3.1. Les personnes immigrantes originaires du Maghreb établies à Québec ... 25

1.1.3.2. Les femmes immigrantes qualifiées originaires du Maghreb établies à Québec ... 28

Chapitre II : Cadre conceptuel ... 31

2.1. La sociologie économique, les réseaux sociaux et le capital social ... 31

2.1.1. La sociologie économique ... 32

2.1.2. La « nouvelle » sociologie économique ... 35

2.1.2.1. La théorie des réseaux sociaux ... 38

2.1.2.2. Le capital social ... 41

2.1.2.3. Appliquer les théories des réseaux sociaux et du capital social aux femmes immigrantes qualifiées : quelques précautions... 47

2.1.3. Quelques études empiriques pertinentes ... 48

2.1.3.1. Le concept de ressources sociales : précurseur du concept de capital social ... 48

2.1.3.2. Les personnes immigrantes sur le marché du travail : quelques éléments de contexte ...49

2.1.3.3. Les réseaux sociaux, le capital social et les personnes immigrantes ... 50

2.1.3.4. Les réseaux sociaux, le capital social et les femmes immigrantes ... 52

2.2. La discrimination ... 55

2.2.1. Concepts-clés ... 55

2.2.1.1. Les théories économiques de la discrimination ... 56

2.2.1.2. Aspects psychosociaux de la discrimination ... 62

2.2.1.3. La discrimination systémique ... 70

2.2.1.4. L’intersectionnalité ... 72

2.2.1.5. Segmentation du marché du travail, discrimination et perception de la structure des opportunités ... 73

2.3 Intégration des éléments du cadre conceptuel ... 76

2.3.1. L’accent sur les réseaux sociaux et l’incorporation des institutions, du pouvoir et de la cognition ... 78

2.3.2 La discrimination comprise et analysée à différents niveaux ... 83

2.3.2.1 La discrimination au niveau macro ... 84

2.3.2.2. La discrimination aux niveaux micro et méso et le rôle des réseaux sociaux ... 84

2.3.2.3. L’intersectionnalité au niveau micro : l’expérience à l’intersection ... 86

2.3.3. Modélisation du cadre conceptuel intégré ... 87

Chapitre III : Méthodologie de la recherche ... 90

(6)

3.2. Technique de collecte de données : l’entretien semi-dirigé ... 93

3.2.1. Le guide d’entretien ... 94

3.3. Déroulement de la recherche ... 96

3.3.1. Le choix de la ville de Québec ... 96

3.3.2. Le recrutement des interviewées ... 101

3.3.2.1. Les stratégies de recrutement ... 102

3.3.2.2. Les difficultés rencontrées lors du recrutement ... 105

3.3.3. Les critères d’éligibilité ... 106

3.3.4 Le déroulement des entretiens ... 107

3.3.5 Profil des participantes ... 108

3.4. L’analyse des données ... 110

Chapitre IV : Analyse et interprétation des résultats ... 112

4.1. Le parcours prémigratoire... 112

4.1.1. La scolarité initiale ... 112

4.1.1.1. Le rôle des réseaux familiaux ... 113

4.1.1.2. L’influence des contextes sociaux ... 115

4.1.2. Le parcours professionnel prémigratoire ... 117

4.1.2.1. Le premier emploi prémigratoire ... 117

4.1.2.2. Les autres emplois prémigratoires ... 119

4.1.2.3. Les autres éléments du parcours professionnel prémigratoire ... 120

4.1.3. Bilan : le rôle des réseaux dans le parcours prémigratoire ... 121

4.1.3.1 Le réseau familial, le contexte social et la scolarité initiale ... 121

4.1.3.2 Les réseaux sociaux et le parcours professionnel prémigratoire ... 124

4.2. Le projet migratoire ... 125

4.2.1. Les motivations pour immigrer ... 126

4.2.1.1. Pour un avenir meilleur ... 126

4.2.1.2. Pour fuir le contexte politique ou social du pays d’origine ... 127

4.2.1.3. Pour découvrir, pour voyager ... 130

4.2.1.4. Participation au projet migratoire du conjoint ... 131

4.2.1.5 Bilan des motivations pour immigrer ... 131

4.2.2. Le choix du lieu d’immigration et d’établissement ... 133

4.2.2.1. Les impressions positives du Canada, du Québec ... 134

4.2.2.2. La présence de membres de la famille, d’amis ou de connaissances au Canada ... 135

4.2.2.3. Le Québec comme alternative à la France ... 136

4.2.2.4 Pour trouver de l’emploi plus facilement ... 138

4.2.3. Les informations obtenues du réseau avant l’immigration ... 139

4.2.3.1. Les informations générales ... 139

4.2.3.2. Les informations reçues concernant l’emploi au Québec... 140

4.2.3.3. La non-mobilisation des réseaux ... 143

4.2.3.4 Les autres sources d’information ... 144

4.2.4 Bilan : le rôle des réseaux sociaux dans le parcours prémigratoire ... 145

4.3. Le parcours post-migratoire ... 150

4.3.1. L’accueil et l’établissement ... 150

4.3.1.1. Les premiers contacts ... 150

4.3.1.2. Les premiers réseaux post-migratoires ... 151

4.3.1.3. Les premières impressions; les premiers chocs ... 152

4.3.1.4 Bilan : le rôle des réseaux sociaux dans l’accueil et l’établissement ... 154

4.3.2. Le parcours professionnel post-migratoire ... 155

4.3.2.1. Le premier emploi ... 155

4.3.2.2 Le premier emploi correspondant à ses attentes ... 169

4.3.2.3 Les autres emplois ... 175

4.3.2.4. Le bénévolat et la participation à la vie associative: une voie vers l’emploi? ... 179

4.3.2.5. La migration vers la ville de Québec ... 181

(7)

4.3.2.7 La maternité et les responsabilités familiales ... 200

4.3.2.8. Portrait de la situation professionnelle actuelle ... 201

4.3.4 Bilan global sur le rôle des divers réseaux sociaux dans le parcours post-migratoire ... 204

4.3.4.1 Le rôle de la communauté ethnoculturelle ... 204

4.3.4.2 Les réseaux institutionnels ... 208

4.3.4.3Les liens avec les membres de la société d’accueil ... 209

Chapitre V: Conclusion générale ... 216

5.1. Apports de la recherche ... 216

5.1.1. Une approche qualitative permettant une compréhension plus fine des dynamiques de création et de mobilisation des réseaux ... 216

5.1.2. Les parcours prémigratoires et le projet migratoire : des étapes révélatrices ... 217

5.1.3 Les réseaux post-migratoires et l’intégration socioprofessionnelle à Québec .... 219

5.1.4 L’approche intersectionnelle et la discrimination ... 225

5.1.4.1 L’approche intersectionnelle et ses contributions pour comprendre nos résultats .... 225

5.1.4.2. De l’approche intersectionnelle à la discrimination systémique ... 227

5.1.5 Bilan des apports théoriques et empiriques ... 228

5.2. Pertinence sociale des résultats... 230

5.2.1. Politiques publiques ... 231

5.2.1.1 La politique d’immigration et le projet migratoire ... 231

5.2.2. Implications et recommandations pour les organisations et les employeurs ... 238

5.3. Limites de la recherche ... 242

5.4. Pistes de recherche futures ... 243

Bibliographie ... 248

Annexe A : Liste d’organisations contactées ... 261

Annexe B : Annonce de recrutement ... 262

Annexe C : Formulaire de consentement ... 263

Annexe D : Fiche signalétique ... 265

Annexe E : Guide d’entretien ... 270

Annexe F : Diplômes québécois et situation actuelle des participantes ... 273 Annexe G : Formation et situation professionnelle actuelle des participantes . 274

(8)

Liste des tableaux et figure

Tableau 1.1 : Population immigrée totale et d’origine maghrébine par période

d’immigration, Province de Québec, avant 1976 à 2013 ... 21

Tableau 1.2: Femmes immigrantes d’origine maghrébine admises au Québec selon le pays de naissance, par année, 2001-2013 ... 22

Tableau 1.3 : Niveaux de scolarité des immigrants maghrébins (2009-2013), des immigrants de toutes origines (2009-2013) et des personnes nées au Québec (2011) ... 23

Tableau 1.4 : Pourcentage des personnes immigrantes dans les six professions où elles sont le plus représentées (selon le Système de classification des industries de l’Amérique du Nord de 2002). ... 25

Tableau 1.5 : Revenu moyen en 2006, Personnes immigrantes et population totale, Québec, Montréal et Sherbrooke ... 26

Figure 1: Modélisation du cadre conceptuel intégré ... 87

Tableau 2.1: Stratégies de recrutement empruntées et résultats ...104

Tableau 3.1: Profil des participantes lors de l’immigration ... 106

Tableau 3.2 : Profil des participantes au moment de l’entretien ... 107

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Remerciements

J’aimerais d’abord remercier mon directeur et ma codirectrice de thèse, Kamel Béji et Hélène Lee-Gosselin. Je n’aurais pas pu avoir de meilleurs mentors. J’aimerais également remercier les membres du jury d’avoir accepté de consacrer une partie de leur été à évaluer ma thèse : Michel Racine, généreux dans son écoute et ses conseils tout au long de mon parcours, ainsi que Charles Fleury et Annick Lenoir.

Merci « aux filles du doctorat » qui ont été d’un soutien inestimable : Jennifer, Marie-Michelle, Marie-Laure, Thouraya. Merci également aux filles de la Chaire Claire-Bonenfant pour les discussions palpitantes tout comme les moments de détente. Un merci spécial à Hélène Charron pour sa générosité personnelle et professionnelle. Je remercie également les collègues de l’AÉGRIUL, du SARE et de l’AELIES, mon expérience universitaire n’aurait pas été la même sans vous!

Je remercie mes parents de m’avoir encouragé à poursuivre mes rêves, et m’avoir fourni les outils pour les réaliser. Merci à Mélanie, ma sœur d’adoption : tu as toujours su faire ressortir le meilleur de moi. Maude… merci pour tant de choses, trop pour toutes les énumérer ici. Merci Jean-Nickolas pour ton soutien conjugal. Je remercie également Joel Zimmerman et Amon Tobin, qui ont fourni la trame sonore aux nombreuses heures passées à rédiger, à corriger et à recorriger cette thèse.

Merci au Fonds de recherche Société et culture Québec (FRQSC), à l’ARUC-Innovations, travail et emploi, à la Faculté des sciences sociales, au Centre de recherche sur les innovations sociales (CRISES) et au Comité des bourses d’études aux 2e et 3e cycles en relations industrielles pour le soutien financier qui m’a été accordé pour la réalisation de cette thèse. Je remercie également tou.t.es les professeur.e.s qui m’ont inspirée et soutenue. On dit qu’il faut un village pour élever un enfant; je dirais également qu’il faut une communauté de professeur.e.s pour former une chercheuse!

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Enfin, ce projet n’aurait pas eu lieu sans la généreuse participation des femmes exceptionnelles qui ont accepté de partager leurs témoignages. Merci!

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Introduction

Plusieurs auteurs s’intéressant aux obstacles à l’intégration socioprofessionnelle et économique des personnes immigrantes citent souvent le manque de réseaux sociaux dans la société d’accueil ainsi que les différentes formes de discrimination comme des obstacles, sans se concentrer sur le lien qui pourrait exister entre ces deux facteurs. Par exemple, la littérature sur la discrimination systémique en emploi cite le risque d’exclure, consciemment ou non, certains groupes lorsque les entreprises recrutent via les réseaux sociaux des employés actuels, soit pour réduire les coûts de dotation ou pour tenter d’avoir une main-d’œuvre homogène et donc moins susceptible de développer des frictions (Doeringer et Piore, 1971). Nous voulons poursuivre cette ligne de pensée en tentant d’articuler le lien entre ces deux phénomènes ou mécanismes informels en explorant l’expérience d’une population qui serait à risque de le vivre, soit les femmes immigrantes qualifiées maghrébines établies dans la ville de Québec. En effet, cumuler les attributs d’être femme, immigrante, et de minorité visible augmente la probabilité que ces personnes vivent des situations de discrimination ou d’exclusion (Makkonen, 2002; Chicha, 2009). La thèse repose d’abord sur l’idée que les explications fondées sur le capital humain ne suffisent pas pour expliquer le processus d’intégration socioprofessionnelle des personnes dans les économies développées telles que le Québec (Syed, 2008). La pertinence de cet argument repose essentiellement sur trois ancrages théoriques : la perspective féministe, la théorie des réseaux sociaux et les approches de la discrimination, en particulier la discrimination systémique et l’intersectionnalité. L’articulation de ces trois approches nous permet de mieux comprendre comment le phénomène de l’intégration socioprofessionnelle est un processus social complexe dépassant largement l’explication économique de l’attribution des emplois ou de l’adéquation entre les qualifications des personnes immigrantes et des emplois disponibles sur le marché du travail québécois. La recherche vise à explorer la perspective des femmes immigrantes maghrébines qualifiées concernant les opportunités et les obstacles vécus lors de leur trajectoire prémigratoire, leur projet migratoire et leur processus d’intégration socioprofessionnelle, en portant une attention particulière aux réseaux sociaux et aux situations discriminatoires ou pouvant mener à une

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forme de discrimination. Pour atteindre cet objectif, la recherche s’inspire entre autres de la thèse de l’objectivité forte (strong objectivity) (Harding, 2001) qui reconnait la valeur des connaissances venant de l’expérience des personnes marginalisées. Elle propose notamment la compréhension des phénomènes sociaux à partir des expériences des femmes ou des minorités, celles-ci ayant une position particulière dans la société, pouvant nous éclairer sur certains phénomènes, notamment sur le plan des relations entre les groupes majoritaires/dominants et les « autres ». Nous croyons qu’il est pertinent d’explorer la perspective qu’ont ces femmes de leurs expériences diverses en ce qui a trait à la discrimination et aux rôles des réseaux sociaux dans leur processus d’intégration socioprofessionnelle dans une société d’accueil. Nos questions de recherche se posent alors ainsi: quels rôles jouent les réseaux sociaux dans le processus d’intégration socioprofessionnelle des femmes immigrantes qualifiées d’origine maghrébine vivant dans la ville de Québec, notamment au niveau des opportunités et des obstacles? Nous cherchons entre autres à explorer comment des dynamiques présentes dans les réseaux sociaux engendrent de la discrimination systémique, et comment la discrimination peut priver certaines personnes d’avoir accès à des opportunités liées au capital social; inversement, nous souhaitons explorer comment le capital social peut aider à éviter la discrimination. Le premier objectif de la thèse est d’explorer le point de vue des femmes immigrantes qualifiées d’origine maghrébine à Québec concernant leur parcours migratoire et professionnel, en portant une attention particulière au rôle des réseaux sociaux. La recherche vise à explorer comment les réseaux « mobilisés », ou s’imposant par eux-mêmes, ont influencés leurs orientations de carrière, leurs choix migratoires et, par ricochet, leur intégration socioprofessionnelle dans leur pas d’origine et à Québec. Deux sous-objectifs dérivent de ce premier objectif général. Le premier est d’explorer la perspective de ces femmes concernant les normes et les injonctions véhiculées dans leurs réseaux, notamment en ce qui concerne les rôles sociaux selon le sexe au sein de la famille et en ce qui a trait au marché du travail, ainsi que les normes concernant les stratégies de recherche d’emploi. Le second sous-objectif est d’identifier les ressources auxquelles ces femmes considèrent qu’elles auraient accès ou non par l’entremise des réseaux sociaux. Ces ressources peuvent être des informations, des opportunités, du soutien financier ou moral,

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de l’aide pour les soins ou la garde des enfants ou d’autres membres de la famille, ou toute autre forme de ressources que ces femmes considèrent comme pertinentes.

Le second objectif de la thèse est de sonder la population à l’étude concernant leur point de vue relativement à la discrimination. Nous cherchons à savoir si les femmes interrogées ont le sentiment d’avoir qu’elles ont vécu une ou des situation(s) de discrimination, et explorer quels effets cela a eus sur leurs perceptions au sujet de leurs opportunités d’emploi et leurs stratégies d’intégration socioprofessionnelle.

Le troisième objectif est d’explorer l’articulation entre l’accès aux réseaux sociaux et leur mobilisation, les formes de discrimination et les normes quant aux rôles des sexes, et les répercussions de ceux-ci sur les processus d’intégration socioprofessionnelle des femmes immigrantes qualifiées originaires du Maghreb à Québec.

Afin de mieux cadrer la question de recherche par rapport aux connaissances existantes, la thèse présente l’état des savoirs actuels sur les femmes immigrantes hautement qualifiées en matière de réseaux sociaux et de discrimination. Puis, la perspective du sujet a été adoptée pour explorer ces phénomènes afin de voir si l’on peut ainsi les comprendre autrement, à partir des expériences des personnes concernées. En effet, nous partageons l’hypothèse de Hopper et Powell (1985), qu’en explorant de « vieux » sujets avec une différente perspective, nous pourrions en dégager de nouvelles compréhensions.

Pour répondre aux questions de recherche et atteindre ses objectifs généraux et spécifiques, cette thèse se décline en cinq chapitres. Le premier chapitre expose des éléments de contexte historique qui nuancent la problématique actuelle de l’intégration socioprofessionnelle des femmes immigrantes qualifiées au Québec, puis définit des concepts qui permettent d’éclairer cette problématique : l’intégration socioprofessionnelle, l’agentivité, le capital humain et la perspective de genre. Ce chapitre présente ensuite les obstacles à l’intégration professionnelle des personnes immigrantes qualifiées en général, puis des femmes en particulier. Il en ressort notamment que les femmes font face à des obstacles particuliers, dont les préjugés et les stéréotypes, les stratégies familiales d’insertion favorisant l’insertion du conjoint et des enfants, et les ressources limitées. Ensuite, des données statistiques permettront de décrire le portrait socio-économique actuel

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de la population immigrante maghrébine établie dans la province du Québec en général, puis dans la ville de Québec en particulier. Cette population est en croissance et est hautement scolarisée.

Le second chapitre présente les éléments théoriques mobilisés dans le cadre de cette recherche ainsi que les études empiriques pertinentes appliquant ces éléments à la problématique à l’étude dans cette thèse. Le cadre général emprunté est celui de la sociologie économique, en particulier les concepts du capital social et des réseaux sociaux. Ensuite, les différents concepts-clés de la discrimination sont explorés, incluant la discrimination systémique et l’intersectionnalité. Chacune de ces deux sections est divisée ainsi parce qu’il apparait plus cohérent de présenter le cadre théorique général avant de voir les études empiriques ayant alimenté notre recherche. Une troisième section intègre ces deux familles conceptuelles et présente un modèle afin de démontrer l’intérêt d’allier le structuralisme à l’interactionnisme pour analyser la problématique aux niveaux macro, méso et micro.

Le chapitre III expose les éléments épistémologiques et méthodologiques guidant notre processus d’enquête, notamment l’épistémologie féministe, la méthodologie qualitative, et le déroulement de la recherche. L’épistémologie féministe du point de vue (standpoint) a guidé le processus d’enquête de manière à ce que les participantes étaient invitées à agir à titre d’informatrices, valorisant ainsi leur savoir en tant que femmes imbriquées dans différents rapports sociaux quant à leur propre processus d’intégration. La méthodologie qualitative et exploratoire a permis de cerner les dynamiques en jeu en ce qui concerne le rôle des réseaux sociaux dans l’intégration socioprofessionnelle de ces femmes. De plus, elle est cohérente avec l’approche du point de vue. Quinze immigrantes maghrébines hautement scolarisées établies à Québec ont participé à des entretiens semi-directifs individuels. Seront aussi discutés dans ce chapitre, le processus de recrutement des participantes, le déroulement des entretiens et le profil des participantes. Finalement, la méthode d’analyse thématique sera expliquée avant de présenter les résultats de l’étude au quatrième chapitre.

Le quatrième chapitre expose les résultats de la recherche ainsi que l’analyse et leur interprétation. Ce chapitre est divisé en trois sections et analyse le rôle des réseaux sociaux

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dans les parcours prémigratoires, migratoires et post-migratoires des participantes. Au terme de chacune de ces sections, un bilan des principaux résultats est présenté ainsi qu’une discussion sur les thèmes qui retiennent l’attention. Dans les phases prémigratoires, il sera question notamment de l’importance des réseaux familiaux et du contexte national dans les orientations scolaires et de carrière, le rôle des réseaux sociaux dans le parcours professionnel prémigratoire, les motivations pour immigrer et la mobilisation (ou non) des réseaux transnationaux pour acquérir de l’information concernant l’emploi au Québec. Il en ressort notamment que ces réseaux influencent fortement ces processus, de plusieurs façons, souvent de façon « spontanée » ou sans que les femmes aient eu à le mobiliser de façon consciente. Dans la phase post-migratoire, la dynamique des réseaux mobilisés lors de l’accueil et l’établissement sera abordée, particulièrement en ce qui concerne la communauté ethnoculturelle. Un constat intéressant à ce sujet concerne les rapports tendus ou conflictuels que certaines participantes entretiennent avec cette communauté. Puis, plusieurs aspects de la trajectoire professionnelle des participantes seront analysés, toujours en focalisant l’attention sur le rôle des réseaux sociaux. Ici, trois types de réseaux retiennent l’attention : les réseaux ethnoculturels, les réseaux institutionnels et les liens avec les personnes nées au Québec. Il en ressort entres autres qu’il est difficile de créer des liens « utiles » pour l’obtention d’un emploi correspondant à ses attentes. Tout au long de l’analyse, une attention particulière est également portée sur les rapports sociaux de sexe ayant une incidence sur les parcours en général, et sur les dynamiques s’opérant dans les réseaux qui influencent ces parcours en particulier.

Finalement, la conclusion générale présente les principaux apports de la thèse : l’utilisation d’une méthodologie qualitative pour saisir les aspects individuels et les dynamiques relationnelles qui influencent la constitution et la mobilisation des réseaux sociaux; l’étude des parcours prémigratoires en plus des parcours post-migratoires afin de mieux saisir les attentes et les stratégies concernant l’intégration socioprofessionnelle; l’élaboration de nuances à apporter à plusieurs propositions issues de la théorie des réseaux sociaux; et la compréhension de la problématique à l’étude sous l’angle de l’intersectionnalité et de la discrimination systémique. Est ensuite abordée la pertinence sociale de la recherche en discutant des implications empiriques pour les politiques publiques et des organisations.

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Puis, les limites de la recherche sont exposées et des pistes de recherche futures sont proposées.

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Chapitre I : Problématique

Depuis les années 1990, face à des pénuries ou des raretés appréhendées de main-d'œuvre qualifiée, le gouvernement du Québec adopte une politique d’immigration sélective visant l’augmentation de la population immigrante scolarisée et francophone (Québec, 1990). C’est ainsi que l’on assiste à une croissance significative du nombre de personnes immigrantes en provenance du Maghreb. Depuis 2003, cette population constitue environ 20 % du nombre de personnes immigrantes arrivant au Québec (MICC, 2008; MIDI, 2014c). Cependant, l’intégration socioprofessionnelle se fait de plus en plus difficile pour cette population, tout comme pour les cohortes immigrantes plus récentes provenant de toutes origines (Aydemir, 2003; Frenette et Morissette, 2003), et ce, particulièrement pour les femmes, qui même à long terme ne rattrapent ni leurs homologues masculins ni les femmes natives ou même issues d’autres origines, en ce qui a trait à l’intégration en emploi (Statistique Canada, 2006; Reitz, 2007b; Plante, 2010). À titre d’exemple, les données des recensements canadiens entre 1970 et 2006 indiquent une baisse de 20% du revenu initial des personnes immigrantes récentes, et ce, en tenant compte du niveau de scolarité et des fluctuations de l’économie (Reitz, 2007b). En ce qui concerne plus particulièrement les personnes immigrantes originaires du Maghreb, malgré leurs niveaux de scolarité parmi les plus élevés, leur taux de chômage est d’entre 17,5 % et 20,5 % selon le pays d’origine (MICC, 2012), ce qui est plus élevé d’environ cinq points de pourcentage que celui de l’ensemble des immigrantes issues des minorités visibles, et d’environ trois fois celui des femmes en général au Québec (Conseil du statut de la femme, 2014). La non-reconnaissance et/ou la sous-évaluation des diplômes et des compétences acquis à l’étranger constituent sans doute un des plus importants obstacles à l’emploi pour les personnes immigrantes qualifiées (Reitz, 2007b) ; les personnes immigrantes originaires du Maghreb qui s’installent au Québec n’y font pas exception (Lenoir-Achdjian et coll., 2007; Vatz Laaroussi, 2008). Pour expliquer ces écarts, Nakhaie (2007) suggère que les employeurs sont inconfortables face à leur manque de connaissance des diplômes étrangers, ce qui rend difficile leur appréciation, et ils gèrent leurs risques. À cet obstacle s’ajoute le manque d’expérience de travail pertinente au Québec, qui est habituellement requis par les employeurs, qui reconnaissent rarement l’expérience acquise à l’étranger (Reitz, 2001;

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Anucha et coll., 2006; Schellenberg et Maheux, 2007; Houle et Yssad, 2010). Concernant plus particulièrement les professions règlementées, certains auteurs décrient la fermeture des ordres professionnels face à la formation acquise à l’étranger comme étant une variable qui contribue à l’explication de ce phénomène (Lenoir-Achdjian et coll., 2007; Vatz Laaroussi, 2008). La discrimination, les stéréotypes et les préjugés ethniques et religieux figurent aussi parmi les raisons les plus citées. Selon certains auteurs, ceci serait particulièrement saillant pour les personnes immigrantes d’origine maghrébine, tant au Canada qu’au Québec, suite aux évènements du 11 septembre 2001 et au débat ouvert concernant les accommodements raisonnables (Lenoir-Achdjian et coll., 2007; Vatz Laaroussi 2008; Arcand et coll., 2009). Ces difficultés seraient accentuées, dans le cas des femmes immigrantes qualifiées, par, entre autres, les stratégies familiales d’intégration qui tendent à privilégier la formation et la carrière du conjoint (Chicha, 2009; Action travail des femmes, 2009). Finalement, sans que cela soit nécessairement conscient, les employeurs peuvent avoir des préjugés basés sur le sexe en plus de l’origine ethnique, menant à la sous-valorisation des compétences et des expériences de travail féminines (Action travail des femmes, 2009; Salaff et Greve, 2003).

Peu importe l’origine ethnique et le nombre d’années d’établissement au Canada et/ou au Québec, les femmes immigrantes éprouvent des difficultés plus grandes sur le marché du travail que les femmes natives ou que les hommes immigrants, quel que soit l’indicateur retenu : le taux de chômage, de revenus ou de déqualification. En guise d’exemple, en 2012, le taux de chômage des femmes immigrantes au Québec était de 11,9 % contre 7,0 % pour l’ensemble de la population active féminine québécoise, 11,2 % pour les hommes immigrants et 8,5 % pour l’ensemble de la main-d'œuvre masculine (MICC, 2013). Pour ce qui est du revenu moyen des personnes occupant un emploi à temps plein toute l’année, en 2005, les femmes natives reçoivent environ 76 % des revenus des hommes natifs (Institut de la statistique du Québec 2009a), et les femmes immigrantes formées à l’étranger gagnent environ 12 % de moins que les femmes nées au Canada (Plante, 2010). Pour les cohortes plus récentes, c’est-à-dire, établies au Canada depuis dix ans et moins, les femmes immigrantes ne gagnent que 70 % de ce que les femmes natives gagnent. De plus, les femmes immigrantes avec un diplôme universitaire gagnent 82 % de ce que les femmes natives avec un niveau de scolarité comparable gagnent (Vatz Laaroussi, 2008).

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Finalement, la déqualification serait vécue de façon encore plus prononcée par les femmes immigrantes appartenant au groupe des minorités visibles, celles-ci atteignant un taux de déqualification1 de 44 % en 2006 (Action travail des femmes, 2009; Chicha, 2009).

Afin de surmonter ces obstacles, certaines personnes immigrantes se tournent vers leurs réseaux sociaux pour faciliter leur intégration en emploi (Potter, 1999; Li, 2004; Anucha et coll., 2006). Les réseaux sociaux donneraient accès à des informations relatives au marché du travail: les individus peuvent ainsi prendre connaissance des opportunités d’emploi, les exigences et les attentes sur le marché du travail et comment trouver un emploi; ces informations n’étant pas toujours diffusées dans les canaux formels. D'un autre côté, les employeurs peuvent recruter en faisant appel aux réseaux sociaux de leurs employés, ou peuvent mobiliser leurs contacts pour en apprendre sur un employé potentiel avant de l’embaucher (Granovetter, 1995). On reconnait donc de plus en plus que les réseaux sociaux peuvent s’avérer importants dans l’intégration des personnes immigrantes, tant sur le marché du travail qu’auprès de la société d’accueil en général. Cependant, cette stratégie peut avoir des effets pervers. De fait, tous les réseaux ne sont pas équivalents dans leurs ressources et leurs impacts. En effet, les personnes immigrantes qui n’ont accès qu’à des réseaux sociaux dans leur communauté ethnoculturelle ou avec des personnes natives qui ne sont pas dans des réseaux influents peuvent se retrouver enfermées dans des enclaves d’emplois moins qualifiés ou offrant de moins bonnes conditions de travail et possiblement exclus de leur profession, alors que ceux qui arrivent à se constituer un réseau à l’extérieur de leur communauté peuvent avoir accès à des opportunités d’emploi intéressantes (Portes, 1998; Bagchi, 2001). Nous élaborerons les différentes dynamiques possibles concernant le potentiel du capital social, des réseaux sociaux et de l’intégration socioprofessionnelle des

1 En ce qui concerne la définition de la déqualification, nous adhérons à celles proposées par Chicha et

Deraedt (2009) et Renaud et Cayn (2006), qui se réfèrent à la non-correspondance entre le niveau du diplôme le plus élevé obtenu ou l’emploi pré-migratoire et le niveau du diplôme ou de complexité du travail exigé par l’emploi exercé par une personne post migration. Il s’agit d’une situation qui peut, dans le moyen et le long terme, mener à la désuétude des diplômes et des compétences des travailleuses et des travailleurs qualifiés car les emplois de l’économie dite « du savoir » demandent souvent un processus d’apprentissage et de mise à jour continue (OCDE, 1996).

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personnes immigrantes dans la troisième section de ce document qui traite plus particulièrement de ce thème aux plans théorique et empirique.

1.1.

L’intégration

socioprofessionnelle

des

personnes

immigrantes qualifiées

Pour comprendre l’intégration socioprofessionnelle, qui est un résultat, dans la section qui suit, quelques concepts utilisés dans l’exposition de la problématique seront définis : l’intégration socioprofessionnelle, les attentes, l’agentivité, le capital humain et la perspective de genre. Ensuite seront présentés les obstacles à l’intégration socioprofessionnelle des personnes immigrantes hautement qualifiées en général, puis des femmes en particulier. Finalement, un portrait de la population maghrébine au Québec et de son intégration professionnelle sera exposé.

1.1.1 Quelques définitions

Notre problématique s’insère dans un intérêt plus large concernant l’intégration socioprofessionnelle des travailleuses et des travailleurs immigrant-es qualifié-es dans les économies développées comme le Canada et le Québec. Le travail est bien plus qu’une activité permettant de gagner sa vie et subvenir à ses besoins économiques. C’est aussi l’occasion d’utiliser ses compétences, de se développer et de se réaliser. L’intégration socioprofessionnelle désigne le processus par lequel une personne arrive à occuper un emploi « stable et satisfaisant et correspondant à ses rêves personnels » (Fournier et coll., 1992 : 273). La correspondance avec les rêves personnels est forcément un jugement individuel, subjectif et personnel, mais elle peut se manifester en partie par une correspondance avec les qualifications, les aptitudes et les compétences des personnes (Renaud et Cayn, 2006). Ce processus peut inclure divers changements et adaptations au marché du travail de la part de l’individu, ainsi qu’une série de faux départs et de détours en cours de route (Fournier et coll., 1992). De plus, cette évolution peut ne jamais être complètement terminée, ou elle peut être récurrente, selon les changements dans la vie personnelle, la formation continue et le perfectionnement, les changements dans

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l’environnement de travail, etc. Une intégration socioprofessionnelle comporte aussi une composante sociale, soit celle de se sentir intégré parmi ses collègues de travail.

Pour les personnes immigrantes, ce processus débute avant la migration elle-même, lorsqu’elles formulent leurs attentes par rapport à leur future vie au Québec, et se poursuit pendant l’accueil et l’établissement (Béji et Pellerin, 2015). En effet, les expériences relatives à l’adaptation à la langue française telle que parlée par les personnes québécoises, à la recherche de logement et aux premiers contacts avec les communautés ethnoculturelles et la communauté d’accueil continueront d’influencer les attentes et les stratégies des personnes immigrantes en matière d’intégration dans tous les domaines de la vie, dont l’intégration socioprofessionnelle. L’étude des facteurs qui influencent les attentes est essentielle elles jouent un rôle fondamental dans la définition personnelle de l’intégration socioprofessionnelle. Dans le cadre de cette étude, l’aspect abordé plus spécifiquement sera le rôle des réseaux sociaux dans la formation et l’évolution de ces attentes, ainsi que de leur rôle dans l’élaboration des stratégies pour tenter de les satisfaire.

Le processus débouche idéalement sur une participation aux autres sphères de la société d’accueil telles que la vie sociale, culturelle et politique, afin d’y développer un sentiment d’appartenance (Béji et Pellerin, 2010). Cette participation favorise la diversité des liens sociaux, et la personne immigrante peut ainsi forger des relations avec des membres de la communauté d’accueil (Berry et coll., 2011). Finalement, les ajustements et adaptations requises dans le processus d’intégration socioprofessionnelle peuvent être faits par l’individu qui joint le milieu ou par le milieu lui-même. Ainsi, l’intégration socioprofessionnelle à la société d’accueil demande également des efforts de la part de cette dernière, pour favoriser la participation les personnes immigrantes (Bouchard, 2012; Schnapper, 2007). Dans le cadre de cette thèse, nous explorerons le rôle des réseaux sociaux dans chacune des étapes de ce processus, en portant une attention particulière aux dynamiques présentes dans ces réseaux pouvant créer ou reproduire la discrimination envers les immigrantes maghrébines hautement scolarisées établies au Québec, notamment lorsqu’elles sont exclues des réseaux constitués de personnes nées au Québec ayant les ressources pour les aider.

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Le gouvernement du Québec définit la travailleuse ou le travailleur immigrant-e qualifié-e, comme un « ressortissant étranger âgé d’au moins 18 ans qui vient s’établir au Québec pour occuper un emploi qu’il est vraisemblablement en mesure d’occuper » (MICC 2009c : 9). Selon l’OCDE, les travailleurs qualifiés incluent les spécialistes hautement qualifiés, les cadres ou administrateurs indépendants et gestionnaires seniors, les techniciens ou travailleurs de métiers spécialisés, les investisseurs, les gens d’affaires et les travailleurs sous-traitants (SOPEMI 1997: 21 cité dans Syed 2008). Pour Iredale (2001), il s’agit d’universitaires ou de personnes ayant beaucoup d’expérience, alors que pour Purkayastha (2005 : 182), on définit les travailleurs hautement qualifiés comme étant ceux dans les domaines de la santé, des échelons supérieurs de la gestion, du génie, des technologies de l’information et de la science dans les sciences naturelles. Nous optons pour une définition plutôt large du concept de travailleur qualifié, se rapprochant de celle de Purkayastha (2005), qui inclut une partie des travailleurs ayant des diplômes et/ou de l’expérience de travail dans des domaines professionnels, techniques et de gestion dans le pays d’origine ou d’autres pays à l’extérieur du Canada.

L’intégration professionnelle des personnes immigrantes qualifiées suscite un intérêt grandissant de la part des chercheurs depuis les années 1990 et surtout depuis les années 2000. Citant la mondialisation et les efforts de la part des économies développées pour combattre les pénuries ou les raretés de main-d'œuvre qualifiée comme moteur de migration pour des millions de professionnels et d’universitaires, ces auteurs constatent néanmoins que le capital humain de ces personnes est parfois insuffisant pour leur assurer une intégration en emploi réussie (Syed, 2008). En effet, partout dans le monde, ces personnes immigrantes se heurtent à des obstacles tels que l’inadéquation entre leur formation et les besoins des employeurs, la non-reconnaissance de la formation acquise à l’étranger, les dynamiques de racisme et de discrimination dans la société d’accueil, l’absence de réseaux sociaux professionnels pour trouver de l’emploi ou personnels pour assurer un soutien financier et psychologique, et ainsi de suite (Renaud et Cayn, 2006; Syed, 2008).

Certaines études, notamment canadiennes et québécoises, suggèrent que les obstacles professionnels des personnes immigrantes ne sont que temporaires et que la majorité des

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groupes finissent par connaitre une intégration en emploi réussie environ cinq à dix ans après leur arrivée (Reitz, 2007a; Li 2003; Renaud, Piché et Godin, 2003). Cependant, d’autres études, telles que celles recensées par Béji et Pellerin (2010), indiquent que ceci est de moins en moins vrai pour les cohortes plus récentes. Nous considérons, comme le fait Syed (2008), que peu importe l’issue à long terme, cette période de transition constitue un objet de recherche en soi, et qu’elle constitue un problème auquel il est possible de trouver des solutions afin de la faciliter ou d’accélérer l’insertion professionnelle des immigrants qualifiés. En effet, même si sa durée était limitée à cinq ou dix ans, pour des travailleurs qualifiés cela peut se traduire en une déqualification importante et des effets à long terme sur la carrière, un appauvrissement, sans compter les problèmes psychologiques et familiaux qui peuvent se développer face aux obstacles auxquels ces travailleurs font face (Chicha, 2009). Cette période comporte aussi des coûts pour la société d’accueil, comme la non-utilisation ou la sous-utilisation de capitaux humains, des pénuries de main-d’œuvre dans certains secteurs et la mobilisation de ressources telles que l’aide sociale ou tout autre programme social de soutien à l’intégration des personnes immigrantes (Syed, 2008). Dans le contexte de cette recherche, nous considérons les personnes immigrantes comme étant bien plus qu’un facteur de production ayant une forte mobilité. En effet, les opportunités d’emploi de ces personnes ne sont pas seulement le résultat de leurs qualifications, mais aussi de leurs perceptions et leurs expériences dans la société d’accueil, ainsi que la structure d’opportunité d’emploi (Syed, 2008). Nous reconnaissons donc l’agentivité (« agency ») des personnes immigrantes; c’est-à-dire que face à des opportunités et à des contraintes, elles peuvent agir de manière à influencer leur propre parcours (Morin, 2009). Elles décodent la situation et lui donnent un sens, puis elles envisagent des réponses et mettent en œuvre des actions. Ceci justifie encore une fois l’adoption d’une épistémologie du point de vue. Cela implique que ces personnes ne sont pas que des victimes qui subissent des contraintes sans pouvoir agir sur leur situation, bien qu’elles doivent composer avec elles et qu’elles peuvent adopter une multitude de stratégies pour le faire (Cardu et Sanschagrin, 2002).

Nous adoptons aussi une vision élargie du capital humain, comprise comme l’investissement dans des activités accroissant la productivité potentielle, telles que

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l’éducation, la formation en entreprise et l’immigration (Becker, 1964; Schultz, 1961, 1962). À l’instar de Laroche et coll., (1999), nous considérons aussi les compétences innées ou acquises par le biais de l’expérience et de la socialisation. Ceci inclut le savoir-être et les attitudes.

Finalement, nous nous insérons dans un courant de recherche féministe, qui reconnait que les perceptions, les expériences et les opportunités d’emploi doivent être comprises avec une perspective de genre (Iredale, 2005) et de rapports sociaux de sexe et qu’il importe de connaitre le point de vue des femmes qui vivent des difficultés, ainsi que le contexte qui conditionne leurs structures d’opportunités et de contraintes, afin de mieux pouvoir répondre à leurs besoins. Adopter une perspective de genre signifie, aux fins de cette thèse, de tenir compte des différences socialement construites entre les femmes et les hommes, notamment sur le plan des attentes et des rôles au sein de la famille et en relation à l'emploi. Cela implique de reconnaitre non seulement les différences entre les expériences de femmes et des hommes, mais aussi, que celles-ci sont le fruit d’un ordre socialement construit (Bourdieu, 1998). C’est ainsi que nous chercherons à aller plus loin qu’une simple analyse fondée sur le capital humain pour comprendre les perceptions et les expériences de femmes immigrantes qualifiées concernant leurs réseaux sociaux et les mécanismes de discrimination qui peuvent y opérer.

1.1.2 Les obstacles à l’intégration socioprofessionnelle des personnes

immigrantes qualifiées : quelques explications potentielles

Plusieurs auteurs offrent des explications macroéconomiques pour expliquer les difficultés rencontrées par les personnes immigrantes qualifiées sur le marché du travail des sociétés d’accueil. Par exemple, le stade du cycle économique ainsi que les structures de marché à l’arrivée peuvent avoir un impact à long terme sur l’emploi des personnes immigrantes (Peraacchi et Depalo, 2006). Par exemple, il a été démontré que les cohortes de personnes immigrantes arrivées au Canada au début des années 1980 et 1990, alors que le pays était en récession, ont vécu des écarts de revenu plus grands et plus longtemps comparativement aux natifs que les cohortes arrivées durant des périodes de prospérité (Aydemir, 2003). De plus, Reitz (2007a; 2007b) offre une recension des études qui tente de comprendre les

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phénomènes à l’origine d’une intégration socioprofessionnelle de plus en plus difficile des personnes immigrantes au Canada. Pour cet auteur, les indicateurs quantitatifs tels que le taux de chômage et les écarts de revenu ne sont pas les seuls à prendre en compte; des indicateurs qualitatifs comme la satisfaction en emploi, la perception des barrières à l’emploi et la capacité d’utiliser ses compétences et son expérience acquises à l’étranger figurent aussi parmi les indicateurs à retenir. Concernant les barrières à l’emploi, Reitz survole plusieurs études reliées à un des facteurs clés dans l’intégration socioprofessionnelle des personnes immigrantes, soit leur accès au marché du travail. Parmi les facteurs pouvant affecter cet accès on retrouve: la discrimination basée sur les origines ou le statut d’immigrant, la reconnaissance des diplômes et l’évaluation des qualifications étrangères, l’accès à des emplois spécifiques et les niches, les opportunités de formation, la représentation syndicale et le plafond de verre. Ces facteurs seraient, à leur tour, influencés par : la demande de travail en général, la demande de travail dans des emplois et des secteurs spécifiques, la structure du marché du travail, les disparités de revenu et les forces institutionnelles telles que les syndicats et les régimes régulateurs des gouvernements, le système d’éducation, l’offre de travail des natives et des natifs et celle des personnes immigrantes, différents niveaux de compétences et l’endroit d’établissement. Plus particulièrement, les personnes immigrantes seraient assujetties à des effets d’entrée (ou une période d’ajustement) sur le marché du travail qui incluent des taux de roulement élevés et la surqualification. À son analyse, nous ajoutons que les réseaux sociaux (leur composition ainsi que l’accès des personnes immigrantes aux réseaux existants, en particulier les réseaux influents) peuvent jouer un rôle dans ces processus, et, par conséquent, dans le succès en emploi. C’est ce que nous tenterons de documenter par cette recherche.

Concernant la capacité d’utiliser les compétences et l’expérience acquises à l’étranger, Reitz (2007a; 2007b) explique que les personnes immigrantes auraient de moins en moins accès aux emplois très qualifiés, notamment dans les professions et la gestion. En effet, entre 1971 et 2001, la proportion des travailleurs canadiens dans les emplois reliés à

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l’« économie du savoir2 » a presque doublé (de 14 à 25 %) (Baldwin et Beckstead, 2003

cités dans Reitz, 2007b). De plus, les niveaux de scolarité requis pour occuper ces postes ont augmenté, ainsi que les niveaux de scolarité requis pour des emplois à l’extérieur de ces catégories. Cependant, le niveau de scolarité de la population native a lui aussi augmenté, ce qui pourrait expliquer pourquoi les personnes immigrantes rencontrent plus de difficultés à accéder à de tels emplois. Ainsi, le capital humain élevé des personnes immigrantes ne serait plus un avantage comparatif sur le marché du travail comme il l’a été auparavant. 1.1.2.1. Les obstacles à l’intégration socioprofessionnelle des femmes immigrantes qualifiées

L’intégration socioprofessionnelle des femmes immigrantes qualifiées attire de plus en plus l’attention des chercheurs depuis les années 2000 (Iredale, 2005; Liversage, 2009; Kofman & Raghuram, 2006). Concernant le parcours migratoire des travailleurs qualifiés, Iredale (2005) analyse le phénomène sous la perspective de genre, ce dernier ayant un impact sur le parcours professionnel dès l’étape d’acquisition des compétences dans le pays d’origine. En effet, les attitudes envers l’éducation des filles et des femmes dans le pays d’origine auront un effet sur le niveau de scolarité des femmes et leurs domaines d’études, ainsi que les schémas concernant le travail rémunéré et sa place dans la vie adulte. De plus, les attitudes de la famille et de la société envers les possibilités de carrière et le statut général des femmes auront un impact sur l’insertion dans la vie, les rôles sociaux dans la vie en général et les possibilités de migration. Dans certains pays asiatiques par exemple, des attitudes très protectrices à l’égard des femmes font en sorte qu’elles rencontrent beaucoup d’opposition

2 Il s’agit du terme qui désigne les secteurs d’activité caractérisés par « la prépondérance d’actifs intangibles,

des activités à fort contenu de connaissances et l’utilisation d’une main-d’œuvre hautement spécialisée » (MDEI, 2005 :2). Les industries du savoir investissent de manière significative dans la recherche et développement et emploient une proportion élevée de travailleurs qualifiés tels que des scientifiques et des ingénieurs (MDEI, 2005; OCDE, 1996). Des exemples de ces secteurs sont les télécommunications, les technologies de l’information, la pharmaceutique, la fabrication d’ordinateurs et de composantes électroniques, l’aérospatiale, les services aux entreprises, l’éducation, les laboratoires recherche et les instituts d’enseignement supérieurs publics (MDEI, 2005; OCDE, 1996).

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si elles veulent immigrer seules, qu’elles soient qualifiées ou non (Iredale, 2005). Les mêmes résistances émergent lorsque sont envisagées les opportunités d’études à l’étranger : certains pays encouragent davantage les hommes à entreprendre ces démarches, leur donnant l’opportunité de se développer des réseaux sociaux lors de leurs études à l’international, alors que les femmes sont privées de le faire, ce qui peut avoir un impact tout au long de leur carrière.

Après la migration, les obstacles qu’elles rencontrent sont souvent reliés aux discriminations fondées sur les préjugés (d’elles-mêmes, de leur famille et de leurs employeurs) à l’égard des femmes et à leurs obligations familiales, qui rendent plus difficile le processus de reconnaissance des acquis et des compétences. En effet, plusieurs femmes remettent à plus tard ce processus en attendant que leur conjoint le fasse (Chicha, 2009; Action travail des femmes, 2009).

Concernant les compétences, un élément du capital humain, certains auteurs soutiennent que les hommes immigrants auraient un avantage relatif, car ils disposent davantage de compétences scientifiques, techniques et de gestion, alors que les femmes seraient plus nombreuses à détenir des diplômes en médecine ou en enseignement, compétences parfois plus difficilement transférables d’une société à l’autre, en raison notamment la nature de la profession et des institutions qui la contrôlent (Liversage, 2009). Cette différence dans les types de qualification est le reflet de la ségrégation occupationnelle et académique dans le pays d’origine (Iredale, 2005). Des professions requérant des compétences « dures », par exemple le génie et certains domaines scientifiques, seraient plus facilement accessibles que celles requérant des compétences « molles » comme les sciences sociales et humaines (Liversage, 2009; Gurcak et coll., 2001). Entre autres, ces domaines « durs » demanderaient une connaissance moins approfondie de la langue du pays d’accueil, surtout dans les secteurs où la connaissance de l’anglais est davantage valorisée, par exemple dans l’industrie des technologies de l’information (Liversage, 2009). Au Québec, les trois secteurs professionnels les plus fréquemment déclarés par les femmes immigrantes sont : les affaires, la finance et l’administration (21,2 %), les sciences sociales, l’enseignement et l’administration publique (16,2 %) et les sciences naturelles et appliquées (13,1 %). Pour les hommes, les sciences naturelles et appliquées sont au premier rang (28,6 %), puis les

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affaires, la finance et l’administration (12,6 %), puis les sciences sociales, l’enseignement et l’administration publique (10,6 %) (MIDI, 2014d). Ainsi, les hommes pourraient avoir plus de facilité à accéder à des emplois dans le secteur des sciences naturelles et appliquées, par exemple dans les technologies de l’information et dans les métiers spécialisés, où il y a des pénuries de personnel (ICTC, 2010; Chambre des communes du Canada, 2012). Les femmes, quant à elles, sont plus nombreuses dans des domaines où la main d’œuvre est plus abondante (MIDI, 2014d); ainsi, la demande globale de main-d’œuvre selon les secteurs ou domaines d’emploi serait un facteur à considérer au-delà de la correspondance entre la formation détenue et les demandes des employeurs (Iredale, 2005).

En ce qui concerne plus spécifiquement le domaine de la santé, où les femmes sont plus présentes que les hommes (MIDI, 2014d), une enquête sur l’intégration en emploi menée par Lacroix (2013) démontre que les personnes immigrantes dans la catégorie d’immigration des travailleurs qualifiés formés dans ce domaine sont celles ayant le plus de difficulté à insérer un emploi qualifié, et doivent patienter davantage avant de le faire. Toutefois, cela n’est pas le secteur où on retrouve un très grand nombre de personnes immigrantes au Québec, malgré les pénuries dans certains secteurs (Chambre des communes du Canada, 2012). Il est intéressant de constater, cependant, que les femmes immigrantes sont deux fois plus nombreuses que les hommes immigrants à avoir déclaré ces professions (9,8 % contre 4,9 %) (MIDI, 2014d).

Un autre facteur pouvant expliquer la difficulté qu’ont les femmes immigrantes à insérer le marché du travail québécois pourrait être lié à la nature stéréotypée de leur qualification. En effet, même si plusieurs d’entre elles sont formées dans des domaines scientifiques ou techniques, où il y a des pénuries, il est possible que la nature traditionnellement masculine de ces secteurs leur pose un défi spécifique. Iredale (2005) expose les biais potentiels relatifs à l’étape de l’évaluation des acquis et des compétences, dans les domaines à prédominance masculine liés aux rôles sociaux de sexe. Par exemple, si le nombre d’années d’expérience de travail est un critère, les femmes peuvent être désavantagées si elles ont eu des enfants ou ont pris soin d’un membre de leur famille, et qu’elles ont dû s’absenter du marché du travail pour une période prolongée, causant ainsi des interruptions dans leur parcours. Ceci est vrai de tous les domaines, mais est encore plus marqué dans les métiers

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et les professions traditionnellement masculines (Iredale, 2005). De plus, ces absences du marché du travail peuvent avoir un effet négatif sur l’étendue de leurs réseaux sociaux professionnels, et donc, les priver d’informations et d’opportunités ; de plus, ces interruptions peuvent limiter les possibilités d’être considérées lors de recrutement via les réseaux sociaux, ceux-ci suggérant davantage des personnes actives dans le réseau plutôt que des personnes plus éloignées.

Ensuite, le coût des examens visant à valider les connaissances et les compétences et ceux des cours compensatoires peuvent représenter un obstacle, non seulement parce qu’elles peuvent avoir un revenu inférieur à leurs homologues masculins, mais aussi parce que souvent, elles priorisent les intérêts de leur conjoint et de leurs enfants avant les leurs (Action travail des femmes, 2009; Chicha 2009; Salaff et Greve, 2003) se conformant ainsi à certaines normes sociales – véhiculées dans les réseaux notamment - relativement à l’importance du travail salarié de l’homme par rapport à celui de sa conjointe – qui elle se voit assignée la tâche de la garde des enfants - au sein du couple.

Les enjeux liés au processus de non-reconnaissance des acquis et des compétences sont intimement liés à celui de la déqualification. Concernant le processus de déqualification qui touche les femmes, Chicha (2009) démontre le lien étroit entre les stratégies familiales d’insertion professionnelle et le résultat sur les niveaux de déqualification des femmes immigrantes qualifiées à Montréal. En effet, si le couple accorde autant d’importance au processus d’insertion professionnelle de chaque conjoint, l’auteure démontre que les chances d’intégration pour les femmes immigrantes qualifiées augmentent. Si par contre la carrière du mari est considérée comme prioritaire, la conjointe aura tendance à accepter un emploi précaire, à temps plein ou sous-payé afin de subvenir aux besoins de sa famille en attendant son tour, ce qui entraine une détérioration du capital humain, les expériences professionnelles récentes étant moins qualifiées. Il s’agit d’une situation courante pouvant découler de considérations pragmatiques à court terme et essentiellement économique, le conjoint ayant souvent un capital humain plus élevé et donc sa réussite professionnelle est estimée comme potentiellement plus « rentable » (Salaff et Greve, 2003). Dans un tel cas, le risque de déqualification et donc de non-reconnaissance des diplômes augmente, ainsi que le potentiel de maintien de la situation de vulnérabilité des femmes à long terme. En

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effet, plus elle passe de temps à l’extérieur de son domaine, plus ses compétences risquent de devenir désuètes. De plus, nous pouvons faire l’hypothèse que le réseau social affecte le parcours professionnel des femmes concernées. Ainsi, les possibilités qu’elle puisse se tourner vers ses réseaux sociaux afin de trouver quelqu’un pour garder ses enfants, pour l’aider à se familiariser avec le transport ou encore pour lui procurer un soutien moral ou financier, sont toutes influencées par le type et l’étendue des réseaux personnels dont elle dispose. En effet, il s’agit d’une situation où la présence de membres de la famille étendue ou des amis établis dans le pays d’accueil peut être facilitante, car elle pourrait atténuer les principaux obstacles auxquels sont confrontées les femmes immigrantes qualifiées dans leur processus de reconnaissance des acquis et des compétences : manque de ressources financières, manque de temps dû à l’iniquité dans la répartition des tâches ménagères, manque de ressources pour le soin et la garde des enfants et l’assignation aux femmes de cette responsabilité, etc. (Action travail des femmes, 2009; Chicha, 2009).

C’est ainsi que s’opère une dynamique entre les stratégies familiales d’insertion professionnelle de chaque adulte et les ressources limitées de femmes en termes de temps, d’argent et de réseaux sociaux, qui constitue un obstacle à leur intégration socioprofessionnelle.

1.1.3 Portrait de la population immigrante d’origine maghrébine au

Québec et de leur intégration socioprofessionnelle

La dernière section de ce chapitre dresse le portrait de la population immigrante d’origine maghrébine au Québec, puis à Québec, suivi d’un aperçu du sous-groupe des femmes d’origine maghrébine à Québec. Dans un premier temps, précisons que, dans le cadre de notre étude, nous nous intéressons aux personnes immigrantes issues de l’Algérie, du Maroc et de la Tunisie, soit les pays francophones du Maghreb. Nous évitons ceux de la Maurétanie et la Libye, car le nombre de personnes immigrantes provenant de ces pays au Québec est faible, et ceux-ci ne sont généralement pas francophones (Arcand et coll., 2009), ce qui représente un handicap important dans la région de Québec pour l’insertion professionnelle et sociale.

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Les personnes immigrantes admises au Québec entre 2003 et 2012, encore présentes en 2014, et provenant de l’Algérie et du Maroc sont aux premier et deuxième rangs en termes de pays de provenance. Plus spécifiquement, entre 2003 et 2012, il y a eu 38 484 personnes venues de l’Algérie, dont 33 371 qui étaient encore présentes en 2014, et 37 473 du Maroc, dont 30 654 qui sont restés. Il est à noter aussi que la Tunisie figure au 13e rang pour cette

même période, avec 9 197 venues et 7 555 restés. Il semble par ailleurs que ce sont les immigrant-es économiques originaires de l’Afrique du Nord, avec les Antillais, qui restent le plus au Québec, avec des taux de présence de 86,7 % pour les Algériens, 81,8 % pour les Marocains et 82,1 % pour les Tunisiens. En guise de comparaison, pour les immigrant-es économiques provenant de tous les pays confondus, 472 456 sont venus au cours de la même période et 75,7 % sont restés (MIDI 2014b).

Le tableau 1.1 représente la population immigrée totale provenant du Maghreb selon la période d’immigration au Québec. Nous constatons que, toutes provenances confondues, 44,2 % des personnes immigrantes sont arrivés depuis entre 2001 et 2013, alors que pour les Maghrébins, 67,9 % des Marocains, 75,7 % des Algériens et 67,6 % des Tunisiens qui ont immigré au Québec l’ont fait au cours des dix dernières années. Ainsi, la majorité des Maghrébins au Québec sont issus de l’immigration récente. Afin de situer cette immigration, le tableau 1.1 offre un aperçu de la proportion des personnes immigrantes provenant du Maghreb entre 1976 et 2000. Ensuite, le tableau 1.2 offre un portrait de l’immigration maghrébine féminine depuis 2001.

Tableau 1.1 : Population immigrée totale et d’origine maghrébine par période d’immigration, Province de Québec, avant 1976 à 20133

Pays Avant 1976 1976-1990 1991-2000 2001-2011 2012-2013 Total en 2013 n % n % n % n % n % n Tous 239 650 24,1 199 285 20,0 218 715 22,1 439 506 37,3 81 239 6,9 1178 405 Maroc 5 550 12,2 5 715 12,5 8 420 18,5 35 485 57,5 6 418 10,4 61 633 Algérie 210 2,9 1 775 4,2 11 130 26,7 36 059 62,1 7 822 13,4 58 001 Tunisie 730 8,3 810 20,4 1 590 17,9 8 054 57,2 2 869 20,4 14 058

Sources : MICC 2009, MICC 2010, MIDI 2014

3 Les chiffres d’avant 1976 jusqu’à la période de 2001-2006 proviennent des données du recensement de 2006

(MICC 2009, tableau 18, p. 48). Cependant, les pourcentages ont été modifiés pour refléter la situation de 2009 selon les données de MICC, 2010.

Figure

Tableau 1.1 : Population immigrée totale et d’origine maghrébine par période d’immigration, Province  de Québec, avant 1976 à 2013 3
Tableau  1.4 :  Pourcentage  des  personnes  immigrantes  dans  les  six  secteurs  où  elles  sont  le  plus  représentées (selon le Système de classification des industries de l’Amérique du Nord de 2002)
Tableau 1.5 Revenu moyen en 2006, Personnes immigrantes et population totale, Québec, Montréal et  Sherbrooke
Figure 1 : Cadre conceptuel intégré
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