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Chapitre II : Cadre conceptuel

2.3 Intégration des éléments du cadre conceptuel

2.3.1. L’accent sur les réseaux sociaux et l’incorporation des institutions, du pouvoir et

Rappelons que la nouvelle sociologie économique s’intéresse aux institutions, aux réseaux, au pouvoir et à la cognition (Dobbin, 2004). Les institutions sont comprises comme étant d’ordre macro et méso. Les réseaux, quant à eux, sont analysés au niveau méso. Puis, la cognition, est d’ordre micro. Le pouvoir, quant à lui, opère à tous ces niveaux. Afin de comprendre le rôle des réseaux sociaux sur l’intégration socioprofessionnelle, ces concepts doivent être compris en lien les uns avec les autres. Étant donné l’accent porté sur les réseaux sociaux dans cette thèse, ils seront le fil conducteur de la sous-section qui suit. Cette section tente également d’établir des liens entre ces concepts et les concepts reliés à la discrimination.

Les institutions des pays d’origine influencent les parcours scolaires et professionnels prémigratoires ainsi que les motivations pour immigrer et les attentes face à l’immigration. Elles les influencent formellement (ex. les politiques d’éducation et du marché du travail) et informellement. C’est dans l’informel que s’observe le lien entre les institutions et les réseaux sociaux : le rôle des réseaux dans la transmission et dans la possible intégration des normes de performance et des valeurs associées à l’ascension sociale ou au prestige de certaines professions, notamment). Ces normes et valeurs constituent une base, un ensemble de croyances et de schéma mentaux qui sont utilisés pour comprendre le réel et pour agir sur lui, dans le pays d’origine puis dans le pays d’adoption. Ces croyances peuvent être adaptées au nouveau contexte, ou en dissonance. Dans le cas qui nous intéresse, ces croyances influenceront les motivations et les stratégies scolaires, migratoires et professionnelles des femmes, dans le pays d’origine et au Québec.

Les institutions du pays d’accueil (politique d’immigration et d’intégration, évaluations des diplômes étrangers, marché du travail, valeurs des Québécois, etc.) ont un effet sur les expériences, la reformulation des attentes et les stratégies déployées une fois au Québec dans la poursuite de l’intégration socioprofessionnelle. Elles influencent également les relations entre les personnes immigrantes et les personnes nées au Québec, et donc, la création (ou non) de liens entre elles et la nature de ces liens.

 Dans le pays d’origine, certaines institutions (la famille, l’école, l’importance de l’administration publique, la religion, l’entreprise) façonnent le parcours scolaire et académique des femmes. Elles le font de façon formelle et informelle (ex. normes et valeurs qui circulent dans les réseaux).

- Ces institutions sont le résultat de, créent et perpétuent différents rapports

sociaux, dont les rapports sociaux de sexe (en plus des rapports économiques et de domination, eux-mêmes teintés de rapports sociaux de sexe); par exemple, en perpétuant la ségrégation professionnelle elle-même influencée par les normes concernant ce qui est approprié ou non pour des femmes et des hommes en termes de choix scolaires et professionnels.

 Dans le pays d’accueil, les institutions de l’État et de la société civile (ex. politique d’immigration et d’intégration, ordres professionnels, évaluation des diplômes, relations ethniques et leur influence sur les attitudes des personnes nées au Québec) influencent les attentes et le processus d’intégration socioprofessionnelle des immigrantes.

- Le rapport des membres du pays d’accueil aux immigrants en général, ou

aux immigrants de certaines origines ethniques/religieuses en particulier est influencé par le contexte sociopolitique et les processus de catégorisation sociale. Ce rapport peut être influencé par des débats entourant des institutions formelles comme les politiques publiques d’intégration. Des rapports difficiles peuvent créer et perpétuer l’exclusion, la marginalisation et donc la discrimination.

Ensuite, la cognition joue un rôle tant chez les personnes immigrantes que chez les personnes nées au Québec qu’elles côtoient (ou non). En effet, chez les immigrantes, elle est impliquée dans la formulation des attentes, des stratégies et des interprétations des résultats. Elle est aussi impliquée dans la définition de ce qu’est un emploi correspondant à leurs attentes. Puis elle est impliquée dans leur interprétation des expériences de contact avec les personnes nées au Québec. Du côté des personnes nées au Québec, la cognition joue un rôle dans les choix des employeurs d’embaucher ou non des personnes immigrantes, dans la façon que les intervenants et les intervenants essaient d’aider les personnes immigrantes dans leur processus d’insertion professionnelle, et dans la création

et la reproduction des stéréotypes qui peuvent influencer négativement ou positivement les attitudes des personnes québécoises dans la société en général.

 Des processus cognitifs vont influencer le type d’information recherchée et le choix des contacts mobilisés dans la recherche d’information. De plus, comment les femmes interprètent les informations reçues, aura une influence sur leurs attentes, stratégies et intégration socioprofessionnelle.

 Si l’intégration socioprofessionnelle « réussie » implique l’obtention d’un emploi correspondant aux attentes, il importe de comprendre comment les immigrantes définissent pour elles-mêmes ce qui correspond à cet emploi. Les expériences vécues dans la trajectoire post-migratoire influencent le sens qu’elles y donnent.

- L’exclusion des emplois correspondant à leur domaine de formation initial

pour toutes sortes de raisons, dont la discrimination (ex. certains emplois règlementés qui nécessiterait des ressources (temps et argent) trop grandes pour être accessibles à certaines femmes immigrantes; discrimination directe en raison du port du voile; etc.), fait en sorte que les femmes optent pour une réorientation professionnelle dans un autre domaine – donc l’emploi « correspondant aux attentes » est redéfini en fonction de cette réorientation. Pour d’autres, après plusieurs mois ou années de tentatives d’insertion professionnelle infructueuses (toujours en raison de plusieurs facteurs, dont la discrimination), les immigrantes peuvent redéfinir leurs attentes, mais aussi, prioriser d’autres aspects de leur vie (famille, emploi vocationnel, etc.)

 La confrontation des schèmes culturels (réelle ou imaginée) – qui sont traduits par des schèmes cognitifs chez les individus – peut influencer la façon que les membres des deux groupes entrent en relation, et donc la nature du lien et son « utilité ».

- Les stéréotypes sont construits socialement et sont le résultat de la

catégorisation sociale, mais ils sont également le fruit des schèmes cognitifs qui sont des processus psychologiques inhérents au fonctionnement de l’humain. Cependant, le contenu des schèmes cognitifs est influencé par des processus sociaux. Les stéréotypes et les schèmes culturels peuvent amener

des individus à poser des actes discriminatoires ou menant à l’exclusion des membres d’un autre groupe sans que cela soit « conscient ».

Finalement, bien qu’une certaine forme de pouvoir soit formelle (pouvoir de choisir l’immigration « désirable », pouvoir des ordres professionnels sur la reconnaissance ou non de certains diplômes étrangers, pouvoir des employeurs de choisir quels travailleurs embaucher, etc.) plusieurs formes de pouvoir informel existent, dont celui conféré par le capital social et les réseaux sociaux. Rappelons que pour Dobbin (2004), le pouvoir est ce qui permet d’influencer la manière dont les individus perçoivent le monde et leurs intérêts, et permet donc de modeler l’évolution des coutumes et des institutions, et donc les structures d’opportunités des uns et des autres. Selon la proposition de la force de la

position de Lin (2001), une « bonne » position sociale confère du pouvoir, car elle donne

accès à des ressources et à l’influence, dont l’influence sur les opportunités des autres. À titre d’exemple, elle donne accès à des informations pertinentes concernant l’existence des emplois intéressants et comment les obtenir. Elle peut aussi donner le pouvoir d’influencer le processus de recrutement d’un employeur en donnant une référence menant à l’embauche d’une personne. De plus, selon la force des liens (Granovetter, 1985), avoir plusieurs liens faibles est aussi potentiellement porteur de pouvoir, car cela peut donner accès à une plus grande diversité de ressources, du moins pour certaines personnes, si elles arrivent à constituer des liens faibles qui ne sont pas trop faibles.

 La position sociale des contacts avec qui les immigrantes ont des liens influencera l’information et les opportunités auxquelles elles auront accès.

- Si les femmes immigrantes sont victimes de stéréotypes et d’attitudes

négatives à leur égard, il sera difficile pour elles de créer des liens avec des personnes de la société d’accueil en général, incluant avec des personnes dans des « bonnes » positions sociales.

- Si les femmes immigrantes sont limitées dans le temps et les ressources

nécessaires pour créer des liens en raison de leurs responsabilités familiales et domestiques, il sera difficile pour elles de créer des liens en général, incluant avec des personnes dans des « bonnes » positions sociales.

- S’il est impossible de créer des liens avec des personnes ayant des

« bonnes » positions sociales, ces femmes n’auront pas accès à certaines ressources pouvant les aider à s’insérer professionnellement.

 La force des liens avec les contacts dans ses réseaux aura une influence sur l’information et les opportunités auxquelles les immigrantes auront accès.

- Les liens forts avec des membres de la communauté ethnoculturelle seront

utiles pour le soutien moral et financier ainsi que pour l’aide à la garde et au soin des enfants. Mais trop d’investissement dans cette communauté peut se traduire par le phénomène d’enclave ethnique, qui n’est pas utile dans la création de liens avec la communauté d’accueil.

- Les liens forts avec des membres de la communauté ethnoculturelle ne

seront pas utiles dans l’obtention d’un emploi qualifié.

- Les liens faibles avec des membres de la société d’accueil faciliteront

l’accès à des ressources facilitant l’obtention d’un emploi correspondant aux attentes. Mais pour créer ces liens, un certain niveau de confiance est nécessaire – ce qui peut être difficile lorsque les immigrantes sont associées à un groupe qui fait l’objet de stéréotypes négatifs.

Généralement, la théorie des réseaux sociaux est conceptualisée au niveau méso. En effet, on regarde typiquement une partie d’une population (un groupe, une personne et ses réseaux, etc.) Du point de vue structuraliste, l’approche des réseaux sociaux étudie comment la structure du réseau d’une personne ou d’un groupe peut influencer ses opportunités. Toujours au niveau méso et du point de vue du paradigme structuraliste, le capital social se définit comme l’accès aux ressources en fonction de l’appartenance à un groupe.

Afin de comprendre les dynamiques de création et d’accès au capital social, il importe de comprendre comment il se développe à l’aide d’interactions, et/ou influence la nature des interactions. C’est-à-dire : les réseaux sociaux sont généralement composés de liens forts et liens faibles. Les liens forts sont généralement avec des personnes semblables en raison notamment de l’homophilie. L’homophilie ne peut pas être comprise sans tenir compte des processus affectifs et cognitifs : les individus tendent à être plus confortables, à préférer la

compagnie de ceux qui sont comme eux. L’économique et la sociologie reconnaissent ce principe; mais la psychologie explore les mécanismes au niveau des individus, pour comprendre les processus cognitifs et affectifs au cœur de l’homophilie. La psychologie sociale permet également d’étudier le niveau méso et de tenir compte de l’influence du social dans ce processus. La psychologie reconnait qu’il y a une variabilité individuelle ie. que différentes personnes, en fonction de leur position sociale certes, mais aussi de leurs expériences, etc. peuvent vivre des évènements de façons différentes, rechercher l’homophilie plus ou moins, etc. C’est ici que nous reconnaissons l’agentivité des individus malgré leur socialisation et leur position sociale.

Plusieurs auteurs se sont intéressés aux déterminants et aux résultats du capital social dans les communautés ethnoculturelles. Une supposition qui sous-tend ces déterminants est la force des liens entre les personnes de la communauté, en raison de l’homophilie et des expériences communes, notamment. Ainsi, la nature des liens avec la communauté ethnoculturelle sera étudiée dans cette thèse.

 Les liens avec la communauté ethnoculturelle seront des liens forts en raison de l’homophilie.

 Les liens avec la communauté ethnoculturelle donneront accès à certaines ressources (soutien dans le soin des enfants, soutien financier).

 Les liens avec la communauté ethnoculturelle donneront peu accès au milieu du travail, car ces personnes ont-elles aussi du mal à s’insérer professionnellement – et rares sont celles qui ont des emplois à la hauteur de leur capital humain