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Chapitre II : Cadre conceptuel

2.3 Intégration des éléments du cadre conceptuel

2.3.2 La discrimination comprise et analysée à différents niveaux

Tout comme la nouvelle sociologie économique, il existe des outils pour comprendre la discrimination aux niveaux macro, méso et micro. Les théories de la discrimination comportent aussi des éléments structurels et interactionnistes qui doivent être pris en compte afin de comprendre comment le rôle des réseaux sociaux dans la production et la reproduction des inégalités, de l’exclusion et de la marginalisation. Cette section tente également d’établir des liens entre ces concepts et les concepts reliés au capital social et aux réseaux sociaux.

2.3.2.1 La discrimination au niveau macro

Au niveau macro, d’un point de vue structuraliste, nous débutons avec l’intersectionnalité, qui part du principe qu’il existe des systèmes d’oppression multiples qui influencent les opportunités (etc.) des personnes selon l’intersection à laquelle elles se situent (ex. femme pauvre, femme noire, femme lesbienne avec handicap, etc.). Ces oppressions ne font pas que s’additionner; elles sont imbriquées les unes dans les autres et créent une situation particulière pour ces personnes. L’intersectionnalité s’articule aussi à des niveaux méso et micro; ainsi la nécessité de considérer une approche interactionniste devient claire; nous y reviendrons.

Toujours au niveau macro, mais demandant un cadre conceptuel permettant l’analyse des structures et des interactions, nous situons la discrimination systémique, qui implique (notamment) que les structures sociales sont construites historiquement, et qu’elles sont produites et reproduites par les interactions entre les personnes et entre les groupes, engendrant l’exclusion ou le traitement différencié moins favorable de certains. Tout comme l’intersectionnalité, la discrimination systémique s’opère également aux niveaux méso et micro.

La discrimination systémique et l’intersectionnalité sont des concepts interreliés. En effet, les deux s’intéressent à un système ou une structure (ou de systèmes/structures) qui créent et qui perpétuent des inégalités, par le biais de ce que nous appelons la discrimination. L’intersectionnalité nomme les systèmes d’oppression, puis met l’accent sur l’expérience des individus à l’intersection de deux ou plusieurs systèmes, alors nous y reviendrons lorsque sera abordé de cet aspect micro.

2.3.2.2. La discrimination aux niveaux micro et méso et le rôle des réseaux sociaux La discrimination est comprise au niveau micro comme le résultat d’actions différenciées – intentionnellement ou non - des personnes (ou d’une personne) en raison des stéréotypes (biais cognitifs) et des préjugés (biais attitudinaux) qu’elles ont envers une autre personne ou un membre d’un groupe, et qui ont des effets défavorables sur ce groupe. Cette

conception a été élaborée dans la section sur les théories de la discrimination au niveau de l’individu.

- Les stéréotypes sont le fruit de la catégorisation sociale. Le contenu des

stéréotypes est généralement construit socialement et transmis dans les réseaux. Il en est de même pour les attitudes des individus – elles sont généralement influencées par les attitudes des autres dans son réseau.

Au niveau méso, la discrimination prend la forme, par exemple, de pratiques organisationnelles ou d’actions prises par une personne en tant que membre d’une organisation (ex. employeur) ou d’une institution (ex. élaboration et mise en place de politiques publiques) qui ont des effets défavorables sur un groupe. Ces pratiques peuvent être différenciées selon les groupes, ou les mêmes pour tous, mais ayant un effet préjudiciable envers un ou des groupe(s). Ce niveau a été exploré lorsque nous avons discuté des théories de la discrimination au niveau du groupe et des organisations.

- Prenons l’exemple de la dotation. Plusieurs emplois ne font pas l’objet

d’affichage, car il peut être plus rapide et efficace de recruter en employant le bouche-à-oreille. Ce faisant, il est plus probable que les personnes recrutées soient semblables aux personnes déjà en place dans l’organisation. Les personnes différentes sont alors peu susceptibles d’entendre parler du poste à pourvoir, et de postuler. Si l’ouverture de poste est affichée, il s’agit d’une information qui circule par des canaux formels (sites de recrutement, journaux, etc.) et informels. Le choix des canaux formels influencera l’accessibilité de l’information. La circulation informelle se fait par réseaux sociaux et ici encore, certaines personnes seront privilégiées et d’autres, exclues.

- Un autre exemple : le mentorat. Le lien entre le mentorat et les réseaux

sociaux est bien documenté (Ibarra, 1995). Un mentor peut notamment aider une personne à créer des liens avec d’autres personnes susceptibles d’influencer positivement son parcours professionnel. Il peut aussi aider une personne à décoder les règles informelles dans l’organisation pour éventuellement accéder à des postes convoités. Mais avant même d’être un mentor, une personne doit accepter de jouer ce rôle pour quelqu’un, et cela

demande notamment que le mentor potentiel ait confiance en les capacités de la personne qui fait l’objet du mentorat. Plusieurs facteurs influencent cette relation, incluant le genre, l’homophilie, les préférences individuelles, etc. Une personne immigrante, en particulier une femme, pourrait être désavantagée dans de telles circonstances (préjugés négatifs envers les femmes, manque d’homophilie, etc.) amenant à une discrimination indirecte.

L’approche interactionniste permet d’étudier la discrimination aux niveaux micro et méso en s’intéressant aux théories individuelles qui portent sur, notamment, les processus affectifs et cognitifs expliquant les attitudes et les comportements des individus impliqués dans la création et la perpétuation de la discrimination. Ceci inclut les processus de catégorisation influencés à la fois par les processus cognitifs individuels et par les catégories sociales créés et perpétués par des rapports sociaux dans lesquels les personnes sont imbriquées. Cette catégorisation est à la base de la formation de in-groups et de out-

groups, processus intimement lié à la création et au maintien de liens et affectant donc la

composition du réseau et les ressources auxquelles un individu a accès.

 Les processus affectifs et cognitifs (et donc les attitudes) des personnes québécoises envers les personnes immigrantes aura une influence sur leur volonté de les inclure

dans le in-group / leur réseau / leur donner accès à des ressources (ex. informations sur le marché du travail, opportunités, etc.).

2.3.2.3. L’intersectionnalité au niveau micro : l’expérience à l’intersection

L’intersectionnalité s’intéresse aux systèmes d’oppression comme structure sociale, mais elle s’intéresse aussi à l’expérience particulière des groupes vivant aux intersections de ces systèmes. Dans le cas de cette thèse, il s’agit d’un groupe dont la situation doit être comprise en tenant compte : du genre, de la racisation (incluant la religion) et du statut d’immigrant. Nous y incluons aussi la classe : il s’agit généralement de personnes ayant connu une mobilité ascendante dans le pays d’origine en raison notamment de la scolarité, mais elles se retrouvent dans une situation financière précaire au Québec, situation qui s’avère parfois à être durable. Ici, l’approche interactionniste fournit les outils pour

comprendre comment les expériences particulières de ces femmes influencent leur identité, leurs aspirations, les obstacles vécus et les stratégies élaborées en fonction de ceux-ci. Elle permet également de comprendre ces processus en relation avec les interactions sociales qu’elles vivent, incluant les relations avec les autres membres du groupe minoritaire (ex. communauté ethnoculturelle), des autres groupes minoritaires (ex. autres immigrants) et du groupe majoritaire (ex. membres de la société d’accueil, incluant les intervenants communautaires et gouvernementaux).

 En tant que femme, immigrante, hautement scolarisée (mais connaissant une précarité), maghrébine (ce qui implique la racisation et l’association à une religion sujette à certains stéréotypes au Québec), ce groupe est dans une situation spécifique et est particulièrement vulnérable à la discrimination.

- Cette discrimination peut influencer la capacité de créer des réseaux, le type

de réseaux créés et la capacité de mobiliser des réseaux. De plus, l’exclusion de certains réseaux est un facteur expliquant la discrimination systémique envers ce groupe.