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Chapitre II : Cadre conceptuel

2.1. La sociologie économique, les réseaux sociaux et le capital social

2.1.3. Quelques études empiriques pertinentes

2.1.3.4. Les réseaux sociaux, le capital social et les femmes immigrantes

Plusieurs études démontrent que les femmes en général, et en particulier celles qui sont membres de groupes minoritaires, n’ont pas les mêmes opportunités d’accès au capital social que les hommes (Anucha et coll., 2006). Ceci s’expliquerait en partie par le fait que

9 Il est question ici des professions non-règlementées, où les employeurs peuvent se montrer réticents à

reconnaitre l’équivalence de diplôme livrée par le MIDI. L’exercice d’une profession règlementée requiert la reconnaissance d’un ordre professionnel et non par les employeurs.

les réseaux masculins sont plus étendus (Campbell et Rosenfeld, 1985), plus susceptibles d’inclure des personnes mieux situées dans la structure d’accès aux ressources, donc plus influentes, et qu’ils comptent moins de membres de leur propre famille que ceux des femmes (Moore, 1990). Ces différences pourraient être attribuables à une distribution différente des hommes et des femmes dans la structure sociale plus générale (Bourdieu, 1983) et donc, dans des postes et des réseaux influents. L’étude de Renaud et Carpentier (1994) démontre que les hommes mariés ont un meilleur accès aux systèmes de mentorat que les femmes, qui sont souvent exclues de certains marchés en raison de la division du travail domestique et des systèmes de valeurs traditionnels. La revue littéraire de Potter (1999) indique que le capital social auquel ont accès les femmes est souvent majoritairement composé de liens de famille ou de voisinage, largement dû à l’importance des activités reliées à l’organisation familiale chez les femmes, ou la séparation et l’assignation prioritaire des femmes à l’espace domestique et relationnel.

Même dans le contexte du travail, certains chercheurs portent une attention particulière aux rapports de genre et de pouvoir qui sont observables, notamment dans les relations de couple et de famille, par exemple les scripts sociaux sur « ce qui est important ». Par exemple, les études de cas démontrent que certaines immigrantes acceptent de prendre un emploi pour lequel elles sont surqualifiées, afin de pouvoir laisser à leur mari plus de temps pour trouver un emploi qui lui convient, ou encore, afin qu’il puisse poursuivre ses études (Potter, 1999; Anucha, 2006; Arcand et coll., 2009; Chicha 2009). Ces emplois sont souvent dans des secteurs typiquement féminins, tels que l’éducation préscolaire, la santé et les services. Dans plusieurs cas, les femmes immigrantes sont surqualifiées pour ces emplois. Parfois, découragées, elles finissent par quitter le marché du travail de manière temporaire ou définitive et rester au foyer afin de s’occuper de leur famille, réduisant ainsi leur autonomie économique, et donc, augmentant leur vulnérabilité sociale.

Toujours en matière de réseaux sociaux, des études suggèrent non seulement qu’il existe des différences et des iniquités à l’égard de l’emploi non seulement entre les hommes et les femmes immigrantes (Burt 1998, Potter 1999, Nakhaie 2007), mais aussi entre les immigrantes ayant des niveaux de scolarité différents. À cet égard, Sanders Semau. (2002) ont démontré que les femmes utilisent leurs liens interpersonnels pour trouver des emplois

précaires à l’extérieur de leur communauté ethnique. Ils ont également démontré que les employeurs immigrant-es peuvent avoir des liens avec des employeurs qui ne sont pas de la même communauté ethnique ou raciale, mais qui sont dans d’autres secteurs précaires. De plus, ces femmes occupant des emplois déqualifiés dans des « ghettos d’emplois féminins » tels que l’entretien ménager, le personnel d’appoint dans les garderies et les ouvrières sur les chaines de production, ont des liens sociaux se limitant souvent aux autres femmes dans le milieu, entretenant ainsi leur propre marginalisation (Chicha, 2009; Sanders et Semau, 2002). Les femmes ayant peu ou pas de capital humain ont alors généralement accès à un capital social de moindre valeur, créant ainsi une sorte de cercle vicieux, les gardant dans des emplois précaires. Pour ce qui est des femmes possédant un capital humain plus élevé, peu d’études détaillent leurs processus d’accès aux réseaux sociaux et de la mobilisation des réseaux sociaux ou des résultats de ceux-ci, d’où l’intérêt de poursuivre cette piste de recherche. Cependant, la littérature existante laisse croire que, si les femmes qualifiées n’ont pas accès à des réseaux comportant d’autres personnes qualifiées et en emploi, cela peut réduire leurs chances de se trouver un emploi correspondant à leur capital humain et à leurs attentes, car le manque d’information sur les normes de recherche d’emploi ou encore sur les opportunités disponibles dans leur domaine pourrait les désavantager (Béji et Pellerin, 2010). Afin de comprendre les obstacles qui confrontent les femmes immigrantes qualifiées relativement à l’insertion socioprofessionnelle, il importe de porter une attention particulière à une des difficultés majeures rencontrées par ces femmes soit la reconnaissance de leurs acquis et de leurs compétences par les employeurs.

Dans un contexte personnel et social, certaines femmes immigrantes sont portées à investir davantage dans la création et dans le maintien de réseaux personnels transnationaux (Vatz Laaroussi, 2008). Ceci les amènent à poser des gestes de solidarité, par exemple à envoyer des ressources à la famille dans le pays d’origine, ou à prêter de l’argent à d’autres membres de la famille qui ont immigré ailleurs. Ou encore, ces gestes peuvent inclure le soutien psychologique, par exemple demander des conseils à sa mère dans le soin de ses enfants. Selon Vatz Laaroussi (2008 : 62), ce serait « grâce à ces réseaux que les femmes maghrébines remplissent les fonctions sociales qu’elles n’atteignent que peu au travers de leur insertion sans emploi ».

En conclusion, une perspective de genre permet de mieux saisir la réalité d’une population dont la complexité est souvent sous-estimée. En effet, en montrant les difficultés particulières que vivent les femmes immigrantes en termes d’accès au capital social et à l’emploi, une perspective de genre nous permet de mieux comprendre leur situation, les conflits de rôle qui leur sont propres, les interdépendances entre leurs diverses sphères d’activités et éventuellement, de mieux pouvoir répondre à leurs besoins. Comme un des objectifs de la thèse est de mieux comprendre l’articulation entre la discrimination et les réseaux sociaux, la prochaine section présente les principaux concepts et approches qui servent à étudier la discrimination.