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A côté du secteur financier, d’autres éléments ont été considérés comme jouant le troisième facteur: l’aversion publique à l’inflation, la

information imparfaite et préférences monétaires méconnues

60 A côté du secteur financier, d’autres éléments ont été considérés comme jouant le troisième facteur: l’aversion publique à l’inflation, la

modalité de la contractation salariale, la persistance du taux de chômage et le degré d’ouverture de l’économie (cf. Schich & Seitz, 2000 - p. 9).

Les analyses empiriques de Posen (1995) semblent confirmer son idée: en reprenant les indices de l’indépendance et en adoptant un indice (FOI) qui définit le degré d’aversion à l’inflation du secteur financier, il obtient le résultat suivant:

“There is clear statistical evidence to support drawing a causal link (rather than a mere association) between more effective FOI on the one side and greater CBI and lower inflation rates on the other.”

(Posen, 1995 - pp. 262-263)

On pourrait facilement conclure, que l’inflation n’est pas réduite par le bonus de crédibilité apporté par l’indépendance, mais qu’elle est le résultat des préférences du secteur financier. Celle-ci ne serait pas la cause de la disparition du biais inflationniste, mais seulement le moyen qui permet au secteur financier de réaliser la stabilité des prix. On retrouve l’idée d’une indépendance isolée du gouvernement à la merci d’un groupe d’intérêt. Avec cet argument, on pourrait douter de la nécessité d’une banque centrale indépendante.

Toutefois, l’argument de Posen n’est pas entièrement convainquant. Premièrement, on ne comprend pas pourquoi un groupe d’intérêt influent aurait besoin de l’indépendance pour réaliser une politique de stabilité des prix. Comme celui-ci parviendrait à obtenir l’indépendance, il pourrait aussi obtenir la stabilité des prix sans passer par l’indépendance. Deuxièmement, Posen établit une relation entre secteur financier et indépendance, alors que rien est dit sur la relation entre indépendance et inflation. Autrement dit, on ne touche pas à la question de la théorie du biais inflationniste, car celle-ci concerne précisément cette dernière relation. Troisièmement, le secteur financier nécessite tout de même de l’indépendance pour obtenir la stabilité des prix. Cela nous amène à considérer l’argument suivant.

La relation entre secteur financier et indépendance peut s’expliquer par la libéralisation financière récente. En effet, dans un contexte de libéralisation, il apparaît nécessaire d’avoir une institution assez forte et indépendante, qui puisse assurer la régulation du système. Historiquement, la libéralisation du marché financier, qui est effectivement favorable à l’absence d’inflation comme Posen le soutient, a été accompagnée d’une ample diffusion de l’indépendance des banques centrales. La création de la Banque Centrale Européenne, autorité indépendante, arrive dans un contexte de libéralisation financière des pays européens. De même, l’indépendance de la Reserve Bank of New Zealand a été adoptée après la libéralisation du marché financier. L’indépendance récente de la Bank of England est aussi une réponse, après la sortie de la livre sterling du SME, à un contexte de taux de change flexibles et de libre circulation des capitaux. La libéralisation augmente la necessité d’une autorité de régulation financière, en raison aussi du poids mineur des banques commerciales comme facteur de stabilisation (l’intermédiation étant passée au marché financier). Cet affaiblissement doit être contrebalancé par une autorité, d’où le rôle de la banque centrale et la nécessité qu’elle soit indépendante. Le rapport entre libéralisation et indépendance, peut aussi être vu comme signe de réduction de l’intervention étatique en économie: on rend indépendante la banque centrale, car le gouvernement ne doit pas intervenir dans un contexte de libéralisation. La banque centrale indépendante, étant un élément qui constitue et assure la stabilité du système libéralisé. L’idée de Posen d’une banque centrale soumise au monde financier ne prend pas en compte le rapport entre libéralisation financière et indépendance, ce qui réduit la portée de son argument. La théorie du biais inflationniste n’est ainsi pas mise en doute: il est bien possible que la crédibilité et l’indépendance soient des facteurs nécessaires pour assurer la stabilité monétaire et financière.

2.4.3. Les critiques à la logique interne au modèle du biais inflationniste

Le modèle du biais inflationniste suppose plusieurs éléments qui sont discutables: ils concernent le cadre théorique et la notion de crédibilité.

i) Le cadre théorique et monétaire

Dans le modèle de base, à la suite de la théorie quantitative, on admet implicitement les éléments suivants: (a) l’inflation n’est qu’un phénomène monétaire, c’est-à-dire que la cause de toute inflation est une offre excessive de monnaie, (b) la banque centrale contrôle l’inflation, car elle garde la maîtrise de la quantité de monnaie, (c) le phénomène de l’inflation est réversible, c’est-à-dire que le retour à la stabilité des prix peut être rapide et sans dommages particuliers. Or, ces hypothèses peuvent être critiquées.

D’abord, l’inflation n’est pas seulement un phénomène monétaire. Le taux de change et le niveau des prix internationaux jouent un rôle important, surtout pour des économies ouvertes. Toute dévaluation rend les prix des biens importés plus élevés, de même que la hausse du prix du pétrole peut favoriser l’importation de l’inflation. La source de l’inflation n’est donc pas seulement monétaire.

Ensuite, l’hypothèse que la banque centrale maîtrise la quantité de monnaie doit être précisée. Dans un régime de changes fixes, Mundell (1963) démontre l’impossibilité d’avoir une politique monétaire autonome dans le contexte d’une libéralisation des mouvements de capitaux. Le fait que le modèle de base de la théorie du biais inflationniste raisonne en termes d’économie fermée, ne permet pas de prendre en compte cette situation. Ainsi, il n’est pas certain, que la banque centrale puisse contrôler la quantité de monnaie, ce qui pourrait limiter la validité des résultats du modèle. Dans un régime de changes flexibles, le contrôle sur la quantité de monnaie peut être limité d’une part, à cause du déficit public (notamment si celui-ci est monétisé), et d’autre part, à cause de la libéralisation financière. Dans cette dernière situation, la banque centrale doit utiliser le taux d’intérêt comme instrument de la gestion monétaire.

Enfin, l’inflation n’est pas nécessairement réversible. Autrement dit, le modèle de base admet que les conséquences de l’inflation, après la solution du biais inflationniste, vont disparaître. Cela n’est pas vrai. En effet, bien que le taux d’inflation soit diminué, le niveau des prix reste élevé à la suite de la hausse qui s’est vérifiée pendant le biais inflationniste. Ainsi, le rapport avec les devises étrangères n’est pas revenu à la situation antérieure à la période inflationniste. Si, par exemple, le taux de change passe de 1 à 2 à la suite du biais inflationniste, avec la solution de celui-ci, le taux de change reste à 2 (stabilité), sans retourner à 1 (non- reversibilité). La perte de valeur sur le marché international, n’est pas effacée par la réalisation de la stabilité des prix. De même, les effets de redistribution provoqué par l’inflation, ne sont pas effacés avec la stabilité monétaire: ils cessent simplement de se propager. La stabilité d’avant le biais inflationniste, ne correspond pas à la stabilité qui se réalise après la solution du biais inflationniste, comme l’admet le modèle de base.

Un autre argument est le fait que le modèle de base raisonne en termes d’économie interne: la contrainte extérieure n’ayant pas d’influence. Cela est notamment valable pour l’économie des États-Unis, pour laquelle le commerce international est moins important que l’économie interne. Cependant, une telle approche écarte le facteur externe qui peut influencer la politique monétaire. Le taux de change peut en effet influencer l’inflation, de même, le régime de changes détermine l’efficacité de l’instrument monétaire. L’existence d’une contrainte externe réduit la portée du modèle de base: face à un biais inflationniste qui provient de l’extérieur (par exemple par la hausse des prix des matières premières) ou d’une sortie de capitaux qui favorise la dévaluation de la monnaie (par exemple par l’attraction d’un marché financier extérieur), l’indépendance de la banque centrale et son apport de crédibilité sera inefficace pour résoudre la question. De même, sous un régime de changes fixes, la banque centrale ne pourra pas mettre en œuvre tous les instruments monétaires, car l’autonomie monétaire n’est pas donnée. Cette autonomie par rapport à l’extérieur est assurée seulement sous un régime de changes flexibles. Laskar (1989) et Desquilbet & Villieu (1998) retiennent un modèle d’économie ouverte, et ils démontrent que l’adoption unilatérale du conservatisme peut empirer la situation. En effet, il est souhaitable de garder une politique discrétionnaire afin de répondre aux attaques des pays tiers qui cherchent à exporter leurs récessions chez les autres pays par une dépréciation compétitive. Dans un contexte où la coopération internationale est

difficile à réaliser, le préengagement unilatéral rend plus fragile l’économie interne à ces attaques. La solution conservatrice n’est préférable qu’en cas de coordination internationale. Eijffinger & Schaling (1995b) admettent l’existence d’une relation négative entre le degré optimal de conservatisme est l’ouverture au commerce international. Étant donné que, l’inflation et l’emploi sont plus vulnérables aux influences externes, il apparaît nécessaire d’avoir une politique monétaire plus flexible qui, à cause du trade-off entre flexibilité et crédibilité, se traduit par moins de conservatisme.

Un dernier argument résulte du fait que, par l’hypothèse des anticipations rationnelles, le modèle de base admet que les ajustements sont immédiats: dès que la crédibilité est établie, le biais inflationniste disparaît. Le retour à la stabilité des prix, se fait instantanément. Cela fait oublier que le processus désinflationniste peut prendre du temps, ce qui a des conséquences sur le rôle de la crédibilité et de l’indépendance. Dans un contexte d’ajustements immédiats, la crédibilité peut être le facteur qui résout le biais inflationniste, car elle ne nécessite pas de temps pour être adoptée: il suffit de rendre indépendante la banque centrale. Cependant, si le processus désinflationniste prend du temps, alors la crédibilité n’est plus suffisante, car le biais inflationniste ne disparaît pas immédiatement après l’adoption de l’indépendance. À côté de la dimension institutionnelle, il faut donc considérer la dimension instrumentale (réalisation de la politique monétaire). L’inflation doit ainsi être vaincue non seulement par un changement institutionnel, mais aussi par la conduite monétaire. Si d’après le conservatisme, l’orientation de la lutte contre l’inflation suscitée dans l’indépendance se transmet aussi à la politique monétaire, l’oubli de la dimension instrumentale réduit la solution du biais inflationniste à une simple mécanique: l’indépendance étant la roue nécessaire et suffisante pour réduire l’inflation, la conduite monétaire n’étant qu’une réalisation technique de l’esprit conservateur. Cependant, l’oubli de la dimension instrumentale, fait oublier l’existence de possibles choix à effectuer qui sont implicites à la politique monétaire, car sa réalisation doit tenir en compte du contexte économique et social. Ainsi, faut-il augmenter fortement le taux d’intérêt pour freiner rapidement la hausse des prix, et cela malgré les possibles effets de la hausse du taux d’intérêt sur d’autres variables (taux de change, croissance)? La conduite monétaire n’est pas univoque et prédéterminée, mais elle s’inscrit dans le temps et dans un contexte. L’ajustement immédiat élimine ces questions, en écartant ainsi la dimension politique qu’elles soulèvent. Cela a des conséquences sur le rôle de l’indépendance: si l’inflation peut être résolue instantanément et de façon mécanique, alors l’indépendance peut être entendue comme simple isolement du facteur politique, mais si la conduite monétaire implique des choix, alors l’indépendance ne peut plus être seulement l’élément qui isole du monde. Elle est la condition d’une politique durable dans le temps. La mécanique implicite à l’ajustement instantané, déjà présente sous la règle, simplifie la question et écarte des éléments importants.

ii) Le rôle et les limites de la crédibilité

La crédibilité est l’élément essentiel qui résout le biais inflationniste: l’indépendance n’est que le moyen qui permet d’atteindre la crédibilité. L’apport de crédibilité dérive de l’isolement de la politique monétaire des tentations inflationnistes. On a donc un rapport entre indépendance, objectif monétaire et crédibilité.

“[…] the provision of a constitutional status of independence to the central bank is an effective device for government to precommit to price stability over an infinite time horizon.”

(Neumann, 1991 - p. 99) “By specifying the objectives of an institution more or less tighly and by giving it broader or narrower powers, politicians determine the extent of commitment to a policy rule. The wider the set of contingencies over which the rule is binding, the stronger the commitment. This set is wider and an institution is more independent the more politically costly it is, for the political principals, to override the decisions of the institution. Hence a public institution with broader power in a particular area of policy corresponds to a stronger commitment to given restrictions on policy in this area.”

(Cukierman, 1994b - p. 55)

La théorie du biais inflationniste admet implicitement que l’indépendance assure l’isolement de toute tentation inflationniste, de même qu’elle associe la crédibilité à l’incohérence temporelle. Or, ces arguments sont contestables.

D’une part, les membres d’une banque centrale peuvent se comporter de façon bureaucratique; et d’autre part, même en cas d’indépendance, il existe toujours des influences politiques ou autres, plus ou moins cachées. L’indépendance n’assure donc pas la disparition de toute tentation inflationniste.

D’après les théories bureaucratiques, toute organisation publique cherche à assurer sa propre survie et à suivre des objectifs privés. Ainsi, lorsque l’échéance du mandat s’approche, les membres de la banque centrale peuvent être poussés à satisfaire le gouvernement afin d’assurer le renouvellement. Cela reste indépendant de la durée du mandat: pour l’éliminer entièrement il faudrait une durée infinie ou ne pas attribuer la nomination au gouvernement, ce qui apparaît difficile à soutenir. Plusieurs auteurs61 ont cherché à mettre en évidence

l’existence d’influences politiques même en cas d’indépendance. En plus, en cas de banque centrale qui garde le rôle de superviseur du système bancaire62, se pose un conflit d’objectif entre stabilité des prix et stabilité

financière. Ce conflit oppose les deux objectifs: la banque centrale peut être poussée à conduire une politique monétaire expansive (taux d’intérêt bas) afin d’aider des éventuelles banques en difficultés. On pourrait ainsi sacrifier la stabilité monétaire pour sauvegarder la stabilité financière. Le même dilemme peut se poser à cause de la dualité entre stabilité monétaire interne (niveau des prix) et stabilité externe (taux de change).

L’indépendance par rapport au gouvernement à elle seule peut ne pas être une garantie certaine de crédibilité. L’indépendance légale doit encore se traduire en indépendance pratique (cf. supra l’exemple des PVD). L’idée de pouvoir isolé complètement la politique monétaire des tentations inflationnistes par l’indépendance, peut se révéler illusoire. Cukierman (1993), à la suite des résultats empiriques, semble même en être convaincu:

“More legal independence alone does not suffice. When actual practice is allowed to substantially depart from the written law, even a highly independent charter does not function as an effective

commitment device.” (Cukierman, 1993 - p. 288)

Dans un cas limite, on peut arriver à soutenir, comme le fait McCallum (1995a), que le comportement est plus important que l’institution, de telle sorte que si on veut réaliser une politique non inflationniste il suffit de la mettre en œuvre, dépassant toute considération concernant le préengagement. En réalité, institution et comportement sont mutuellement nécessaires pour assurer la crédibilité.

D’ailleurs, la crédibilité est réalisée si la banque centrale dit ce qu’elle fait et fait ce qu’elle dit, ce qui implique que l’indépendance légale doit être suivie de l’indépendance effective (réalisation de l’objectif). L’indépendance légale est une condition nécessaire à la crédibilité, elle n’est pas une condition suffisante. Pour tester la validité de l’indépendance effective, il faut du temps, il faut faire le constat d’une expérience.

“Credibility means that your pronouncements are believed - even though you are bound by no rule and may even have a short-run incentive to renege. In the real world, such credibility is not normally created by incentive-compatible compensation schemes nor by rigid precommitment. Rather it is painstankigly built up by a history of matching deeds to words. A central bank that consistently does what it says will acquire credibility by this definition almost regardless of the institutional structure.”

(Blinder, 1996 - pp. 64-65)

La crédibilité se gagne ainsi par la réalisation de l’objectif. La crédibilité se compose d’un élément institutionnel (l’indépendance) et d’un élément comportemental (la réalisation de la politique monétaire): les deux étant nécessaire à l’établissement de la crédibilité. Malheureusement, le modèle de la crédibilité ne tient pas en compte la dimension temporelle, d’où l’assimilation de la crédibilité à la seule dimension légale de l’indépendance. D’ailleurs, la prise en compte de la dimension temporelle peut changer la nature du jeu stratégique, comme les modèles de la réputation le démontrent.

Enfin, dans la théorie, la crédibilité est associée avec l’incohérence temporelle: une politique est crédible si elle n’est pas temporellement incohérente. Par politique crédible, on entend le fait qu’on croit que cette politique sera effectivement réalisée.

61 Havrilesky (1990), Weintraub (1978).

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