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Se retrouver dans le blanc comme dans le seul lieu habitable. Pratiquer l’holocauste de la pureté.

Les enfants sont couchés et j’entends de la vitre se casser dans leur chambre. J’entre et je vois du verre brisé sur le sol. C. essaie de se lever de son lit, je le réprimande, je le remets brusquement dans son lit, j’ai envie de le frapper, mais je m’en empêche. Je vois qu’il y a un peu de sang, mais je ne vérifie pas d’où il vient. C. est très agité et je suis en colère. Je commence à ramasser les éclats de verre, puis j’entends X. qui rentre du travail. Je lui crie de venir m’aider. Il arrive et voit le sang, il ausculte C. et s’aperçoit que son mollet est complètement ouvert, une grande fente d’où le sang ne s’écoule plus. Il me dit que j’aurais dû remarquer cette blessure. C. est blême et tremblant. Je pleure, je panique, je demande à X. d’appeler l’ambulance, mais il ne fait que me parler de choses insignifiantes. J’imagine déjà C. opéré, sous respirateur. Il est en grand danger de mort.

 De rage, s’arracher les dents.



Piller aux autres leur force vive, les en départir et exiger d’eux ce que l’on n’a pas pour combler le manque qui nous habite.

C’est de deuils dont il s’agit ici, de renoncements, de ces premiers renoncements qui font si mal et qui nous laissent béants et meurtris à la porte même de nos forêts intérieures. Ceux qui suivront seront étouffés par cette part de soi semblable à un coussin élimé portant l’empreinte de nos endormissements et, par là même, de nos rêves. On les encaissera de biais, la ligne centrale bien gardée, mille fois éprouvée. La douleur se répartira également dans nos muscles, accélérant subtilement notre vieillissement par une ride ou un malaise. Mais toujours nous porterons ces premiers coups au plexus, morbides têtes de trophées issues de cette époque où nous ne savions encore rien de l’érosion de l’être.

 Sans baisser les yeux, je bêle encore.

Agir en rempart contre l’avalanche. Enseigner à l’enfant à jongler avec les plus lourdes pierres.

J’urine dans le bureau de la psy sans être capable de me retenir. Je lui dis que c’est parce que je n’en peux plus de faire semblant d’être forte et de ne pas avoir besoin des autres. F. pleure parce que son père vend de la drogue et je tente de trouver des solutions pour lui. Il y a aussi une réunion de famille, féminine, avec mes tantes, ma mère et mon arrière-grand- mère. Grand-maman ne peut pas être là en raison de son état de santé. Ma mère inspecte la propreté du cadre de porte.

Envoyer valser tout un chacun ne les fera pas danser. 

L’aîné porte en lui un double fardeau : celui des plaies familiales que ses parents s’empressent de lui transmettre dès l’arrivée du langage, et celui de l’espérance. À la fois le plus lourd et le plus délicat, ce dernier relève de la foi en une rédemption commune, christique, que l’héritier remporterait après de longues souffrances et qui viendrait apaiser jusqu’aux racines les éléments tarés de l’arbre généalogique. Le regard de ceux qui ont échoué se tourne vers ce chevalier de la psyché, écrasé sous le poids des armes : « Va, mon enfant. Nous avons besoin de toi. »

 La route s'étend

Comme un fond de teint sur l’aube Mes oreilles claquent au large Je suis le gosier de la grenouille L’escalier pour le centre de la terre Je palpe le ciel

Cette peau que je gratte ne m’appartient pas 

L’écho du rossignol s’éteint Dans les étangs glacés

L’hiver a terni le cuir des portes Et rongé nos hardes

Laissons courir les petites filles

Ce sera bientôt l’orage et nous aurons besoin de vivres 

Un cygne renversé flotte sur un océan de sang Mes chevilles portent la marque

D’un hiver inexcusable J’enlumine mes prisons De dentelles d'exuvies

Je poursuis les papillons de l'enfance Des rivières jusqu’aux hanches

Il s’agit d’un figement intérieur, d’une tension volcanique faisant pression contre les parois de ton crâne qui s’étirent et s’étirent jusqu’à devenir informes comme des outres en panse de chameau. Les origines de ce rhumatisme de l’âme, de cette gangrène du souffle se perdent dans l’immémorial, malgré l’impression que tu as de ne pas être né avec, que cela

est arrivé un jour. Cela finira sans doute par t’avaler.

 Obsédée par l’image d’un abcès qui se vide.

Je regarde des photos des enfants prises par X. Ils sont toujours seuls, comme orphelins, mais ensemble sur la pellicule, sur le bord de la mer, en veste de sauvetage, cachés parmi les roches. Ce sont de très belles images et en même temps je trouve dommage que leurs deux parents ne s’y trouvent pas. Je prends soudain conscience que j’aime encore X. et cours le rejoindre. Je le trouve dans une marina : il s’installe dans un des nombreux petits abris de toile et de planche disséminés sur les quais. Dans le même abri que lui, vit une mère toxicomane avec son bébé fille. J’entre pour parler à X. et je vois cette femme très jeune qui tient son bébé à bout de bras, inerte. Elle dit : « Elle a faim ». Alors je dis à X. : « Donne-lui à manger ». La mère renchérit : « Oui, dépêche. » On donne des miettes de pain à l’enfant, qui a les yeux tout vitreux, les pupilles en tête d’épingle. Je parle à la mère. Je lui demande si elle accepterait de se rendre dans un centre de femmes afin d’y chercher de l’aide et lui dis que sa vie pourrait être différente, qu’elle se croit condamnée, mais qu’elle ne l’est pas. Je repars, toujours en suivant X., et me retrouve dans un petit appartement qui lui appartient. Je fouille dans le frigo afin de trouver de quoi nourrir la petite. Je prépare un mélange de jus et de lait de soya, mais il y a plein de cure-dents dans le jus, et je dois les enlever avant de partir avec cette mixture verte. J’arrive à l’abri de toile, il n’y a plus personne. Je continue mon chemin et passe devant un abribus. Une mère force sa fille à la suivre et lui crie dessus tout en lui tordant le bras. Je les suis. Je pousse la mère, je l’empêche de retenir sa fille (qui a environ 8 ans). Je lui dis qu’elle n’a pas raison de l’empêcher de devenir quelqu’un de bien, qu’elle devrait l’encourager plutôt que de l’écraser. Je la regarde attentivement : elle ressemble à Gollum. Je lui dis que je trouve qu’elle ressemble à Gollum, mais que, comme lui, elle était belle avant. Elle est par terre, je lui flatte les cheveux. Sous sa tête il y a un oreiller et elle est abriée de lourdes couvertures. Elle semble plonger dans le sommeil. Sa fille, maintenant une enfant de trois ans, fait pipi et caca dans sa culotte de pyjama. La mère me dit qu’elle n’a plus le contrôle, que quelqu’un d’autre agit à sa place. Je lui dis que c’est exactement comme Gollum avec l’anneau, mais qu’elle doit me promettre de ne plus empêcher sa fille de grandir et de faire ce qu’elle veut. Je ressens désormais beaucoup d’amour et de tendresse pour cette personne très laide qui s’endort dans mes bras.

Je m’auto-inflige un regard de fournaise. 

« Espèce d’incapable. Incapable. Incapable. Incapable. » 

Faire taire le tintamarre de l’inconscient. 

Une responsabilité immense nous échoit lorsque l’enfant vient au monde, aussi vaste, sinon davantage, que celle de notre propre vie. Lorsque nous parlons, lorsque nous agissons, tout s’imprime dans sa mémoire dans son être, sans discernement entre le bien et le mal. Tout cela est fort bien lorsque c’est soi qui parle, qui agit. Il en est autrement lorsque notre fragilité, nos blessures, s’approprient notre bouche et nos mains. Alors nous inoculons sans le vouloir le germe très ancien de notre maladie dans cet espace vierge, et il s’y développe à merveille, comme le chiendent dans la terre meuble. Nous savons, ou plutôt nous ressentons que c’est mal, mais notre amour est si intimement atteint que nous fermons les yeux et agissons de la seule manière qui nous soit connue, c’est-à-dire selon les lois cruelles de la défectuosité. Et lorsque nous entamons le long processus de la guérison, et que nos paupières se lèvent sur la catastrophe de notre propre enfance, nous sommes amenés à faire le dur constat du ravage causé à cet être par nous mis au monde. Nous nous interrogeons sur notre capacité à réparer, à nous amender, à rétablir ce qui aurait dû être le cours normal des choses, à faire rejaillir les sources tues. Dans quelle mesure pourra-t-il y avoir réfection ? Jusqu’où va l’irréversible ?

Rouler capot ouvert.

Je plonge la main dans la matière du souvenir et n’en puis tirer que cailloux et brindilles. Je n’ai même plus l’enfance qu’il faut pour m’en amuser. Mon enfance, cette chose qui me fuit par les yeux, par les bras, me laissant trouée comme une taupière.

Démolir une église de l’intérieur : un fatras de mains jointes, d’yeux révulsés dans l’attente, de cire refroidie en tout petits morceaux et de tuyaux d’orgue à jamais réduits au silence.

Qui parle de la beauté des abysses ne connaît pas celui-ci. 

Je monte la garde À la porte des rêves

Scène 1. X. et Y. se querellent. X. se vante de vivre une grande évolution spirituelle. Tu dis que tu le croiras quand tu le verras. Pan. Des hommes et des enfants tentent de te poignarder. Parmi eux, Z., qui porte un enfant en sang dans ses bras. Tu te réfugies dans ta chambre.

Scène 2. Tu as un bouton sur la fesse. Tu le presses. Une bulle se forme, puis un abcès énorme, en forme de bouche. Tu penses d’abord diriger le jet de pus sur X. et Y., mais A. te suggère plutôt d’aller le vider dans le bain, sur la paroi blanche, afin de voir s’imprimer les couleurs complémentaires.

Scène 3. Deux femmes dans la cinquantaine (une Arabe et une Blanche) discutent, assises sur le rebord de la baignoire. Tu leur demandes de lever les pieds afin qu’elles ne soient pas éclaboussées. Tu presses enfin l’abcès pour de bon. Sont expulsés de longs traits de pus mêlé de sang.

Scène 4. Tu retournes à l’endroit de la première scène. Les hommes et les enfants tentent une fois de plus de t’attaquer avec leurs couteaux. Tu réalises alors qu’il s’agit d’un rêve et tu te places en garde. Tu dis « non » très fort et désarmes un enfant ensanglanté. Tu le serres dans tes bras. Tu répètes le geste avec un homme et un autre enfant, qui cessent aussitôt d’être menaçants. Tu dis à l’enfant que les couteaux sont pour les adultes et qu’ils doivent servir uniquement à couper les légumes.

Tu te lèves à même la faim, des signes tatoués sur la gorge, avec une frayeur mécanique de ce qui vit sous le lit.

J’aurais dû y être, mais c’était troublant de m’y voir déjà. De toute manière, je n’aurais pas pu mieux faire que ce qui est moi. Je me retire dans l’obscurité de toutes les lumières. Tourné sur moi, le spectacle continue1. Absente de la scène, je signe le scénario et suis reconnaissable dans chaque personnage. « Vous savez quoi faire si le chapeau vous fait », crie l’handicapée moraliste au public agrafé à son siège. Personne ne baisse les yeux. Il s’agit d’un panama usé et vert. La femme l’approche de sa bouche et y croque à belles dents. La foule se disperse. L’handicapée se traîne sur les genoux en s’aidant de ses mains, puis sort côté jardin. Salle à manger avec lustre. Un couple attablé en silence. L’homme saupoudre la nappe de sel puis y trace des lignes avec ses doigts. La femme écrit une lettre en dévorant un poulet froid. Une lumière blanche les éclaire, douce d’abord, puis vite insupportable. Le couple disparaît dans la lumière, comme enseveli sous une dune de sel. Une ville flambe. L’air sent la fumée toxique. Des enfants jouent avec des figurines d’animaux, les mettent en cage, les nourrissent, les font se battre. Un tigre vivant traverse la scène. Les enfants montent sur son dos et foncent dans les coulisses. La lumière s’éteint, j’applaudis.

 Vaste vide, pendantes mamelles.

Tout devra pourtant s’achever un jour ou l’autre. Ce corps recouvert d’empreintes, dissout comme un cube de sucre dans la mert.

Une falaise d’où plongent les fous de Bassan. Des cheveux rendus cassants par le sel. L’enfance, laissée pour morte sur la plage.

Parler d’une ligne du temps, c’est penser en terme de translation, dans une praxis du crabe, ou du funambule. Or on ne peut aborder le sujet du temps en écartant la notion de métamorphose qui, elle, ne tient pas sur une seule ligne, mais sur une infinité de lignes qui se jettent les unes dans les autres comme les ruisseaux dans les rivières, dans les fleuves, dans les océans. Ou comme les lignes de la main.

 Il aurait fallu prévoir la saison

Enterrer des noix Couvrir le nu

Avant que la lumière Traversant la glace

Ne révèle les choses mortes La fonte du poêle

Me glace les doigts Autant que le givre Rampant sur la fenêtre

Le soir tombe comme un mouchoir La porte ouverte sur la forêt blanche Découpe en silhouette

Ma peau craque comme une peinture ancienne J’attends l’ère des guêpes

On dit que la pression augmente à mesure que l’on nage vers les profondeurs, que certaines créatures des abysses exploseraient si on les ramenait à la surface et qu’inversement, nos poumons humains s’écraseraient sur eux-mêmes avant d’avoir touché le fond.

Un vieillard fabrique un paquebot en allumettes. Pendant son absence, un morceau de papier d’émeri emporté par un courant d’air frotte l’une des têtes soufrées et le bateau prend feu. À son retour, l’homme ne trouve que des cendres en lieu et place du navire. D’abattement, il s’écroule, raide mort. Sa famille l’ensevelit sous les feuilles au fond de la pinède, là-bas près du ruisseau.

 Besoin d’investiguer la plaie.

Colonies humaines venues jusqu’ici par la barque des siècles, je vous enserre dans un grand génocide d’amour, vos corps blanchis dans l’aveuglement du métal, en essaims autour de ce vide que j’habite comme une reine, comme un ventre.

Le mépris est une solution facile au dilemme que propose la solitude. Il transforme ton aura en lave, tes pensées en mitraillette.

(c’est ici que tu t’aperçois de l’omniprésence du mépris. le mépris de l’enfance, le mépris de la faiblesse, le mépris de l’intelligence, de la sensibilité, de la douleur. le mépris allonge ses doigts et trouve des failles où s’insérer, les élargissant au besoin par une remarque mesquine ou un regard en plongée. et sa victime préférée, c’est toi, oui, toi, toi qui méprises avec tant de ferveur et sans même y consentir : c’est de toi que je parle.)

 Ce furent les abeilles

Puis les grêlons Et on lâcha les chiens À la fin on ne savait plus Ne pouvait plus savoir Qui de la terre

Ou des hommes Était en jachère 

Comme ces graminées oscillant dans la grisaille urbaine, tu tires ta vie d’un carré de terreau, à la merci des jardiniers, des corbeaux et des mégots de cigarettes, loin du sol qui aurait dû te voir naître.

Rose tue ma mère Rose tue mon père

Éclosent les paliers dans mes yeux Il fut damné tant d’hirondelles Aux pointes des échafauds Pleure sur moi

Prends mon épaule

J’aurai toujours entre les doigts Un essaim de rêves brûlés

 Choses qui déçoivent :

Des enfants, laids comme leur mère. L’or des fous.

Un gâteau sans sucre. De la peau rêche.

Le dernier tour de manège. Un nœud coulant qui casse.

Ce matin, je me suis coupée. Une goutte de sang carmine, lumineuse, a rempli l’espace entre les chairs. Je l’ai léchée, pour le goût ferreux et la tiédeur. Il m’est alors venu à l’esprit d’entrer par cette faille. Mais comme elle était trop petite pour moi, j’ai dû écarter la peau avec mes doigts. Une autre goutte a jailli, plus vive, que j’ai essuyée du bout des lèvres.

Puis je l’ai fait.

J’ai mis mon pied dans la blessure.

(feuille volante insérée a posteriori : une prémonition ?)

J’avais noté les jours sur l’ardoise à l’aide d’une craie violette. À mesure qu’elle raccourcissait, j’entrevoyais impuissante la fin de notre histoire.

Un matin enfin, tu t’es défait de mon étreinte, m’envoyant valser à l’autre bout de la cuisine. Tu m’as tourné le dos dans un bruissement de semelles. Je n’ai pas tiré sur ta manche, je n’ai pas pleuré : j’ai seulement balbutié ton nom quand la porte a grincé sur ses gonds.

Les contours du réel m’apparaissaient avec lenteur. Je m’apercevais désormais de l’ampleur de ma bêtise. J’avais beau être désespérée, à l’extrême limite de mes nerfs, je n’allais tout de même pas me mettre à réciter des prières : je cassai donc morceau par morceau notre service de porcelaine. Puis je me mis à ramper parmi les éclats. Sur les murs, j’écrivais avec mon sang des fables absurdes qui parlaient de loups et de princesses. Je m’enfonçais grain à grain sur le territoire de la folie. Le monde m’apparaissait en facettes lumineuses, comme à travers un diamant. L’angoisse se jetait sur moi par rafales.

Face au néant tout pont est vain.

Je n’aime pas le mot « jouissance ». Il m’apparaît si loin de l’état de grâce qu’il décrit que le simple fait de le lire, de l’écrire ou d’y penser me coupe d’emblée de toute pensée érotique. Je crois que cela vient du fait qu’un jour, j’ai connu un professeur, une Allemande sinistre assez âgée qui se plaisait aux analyses freudo-littéraires. Elle utilisait fréquemment le mot « jouissance », en insistait sur le double « s » du bout de la langue, avec un plaisir manifeste. Mon esprit s’obstinait alors à fabriquer des images dégoûtantes mettant en scène l’intellectuelle teutonne dans son plus simple appareil. Une bouchée de savon.

 Choses que je cherche souvent :

Mes gants. Mon calme.

Un synonyme : le mot qui s’emboîte parfaitement dans l’idée. Un leitmotiv : l’idée qui s’emboîte parfaitement dans les mots. Un regard.

Une clé.

L’entrée, la sortie.

Le détail d’un rêve ou d’un souvenir.

Le livre qui s’inscrit dans la trame de ma vie. 

Briller, briller, toujours. Dans ce fantasme, je ne fais que briller. Pas un instant je crois que je pourrais ennuyer, être ignorée. Ici, tous les regards sont tournés vers moi et je suis