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Chapitre V – Le traitement et le devenir des morts

1.2. Gestion de l’espace sépulcral

1.2.2. Scénario de fonctionnement

Une ultime réorganisation

La forte dépendance révélée par les liaisons ostéologiques entre la zone de forte densité osseuse et le reste de la tombe plaiderait en faveur d’activités humaines survenues dans la chambre funéraire. La différence de répartition entre d’un côté les blocs craniofaciaux et de l’autre les mandibules, les atlas et les axis, conduit également à penser que les blocs craniofaciaux ont été déplacés une fois les cadavres décomposés. Les manipulations concerneraient surtout les dépôts de la salle 2, où l’on dénombre 5 blocs craniofaciaux et 9 mandibules pour 13 atlas. Les observations précédentes suggèrent que les blocs craniofaciaux ont été rassemblés à l’extrémité nord de la première salle, dans l’axe du passage menant à la salle du fond, où se situe la principale concentration de vestiges humains : le fait que les éléments crâniens y soient surnuméraires irait dans le même sens (20 blocs craniofaciaux et 16 mandibules pour 7 atlas ; Fig. 36).

Figure 36. Répartition des blocs craniofaciaux, mandibules, atlas et axis dans la chambre funéraire du Mont-Aimé I (tous

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Cet espace aurait donc servi de zone de regroupement d’ossements disloqués, repoussés à cet endroit. Sa composition anatomique révèle la présence de nombreux petits os et, plus généralement, d’éléments appartenant à toutes les régions anatomiques, qui forment un amas de 0,25 m d’épaisseur environ, sans organisation apparente. De plus, la zone de forte concentration osseuse rassemble l’essentiel du mobilier, entre autres les objets de parures et l’outillage lithique, mis au jour dans l’hypogée. Il est donc possible de penser que l’amas d’ossements occupant le centre de la tombe corresponde à une zone où l’on a déposé à la fois des cadavres, qui par la suite auraient été remaniés, et des ossements disloqués provenant de divers endroits de la chambre funéraire. Cette réorganisation de l’espace dévolu aux défunts semble avoir toutefois peu affecté la salle du fond, mais plutôt la salle antérieure où les déplacements sont nombreux et donnent l’impression d’une couche d’ossements repoussés massivement, de l’entrée vers le fond de la salle. On s’interroge, cependant, sur la présence d’un tel amoncellement d’ossements au centre de la chambre funéraire, condamnant ainsi l’accès à la salle du fond : désormais, on n’accède plus à cette partie de l’hypogée sans marcher sur les ossements, or ces derniers n’ont manifestement pas été piétinés puisqu’ils ne sont pas morcelés. On serait enclin à y voir les signes d’ultimes interventions, survenues à la fin de l’utilisation de la tombe, suivant en cela une pratique reconnue dans d’autres sépultures collectives du Bassin Parisien (Leclerc, 1987). Les liaisons ostéologiques qui relient les différents points de l’amas d’ossements, tant verticalement qu’horizontalement, étayent ce scénario en indiquant que sa dynamique de constitution résulte vraisemblablement d’un même phénomène d’ensemble. On ne sait cependant pas si cette opération, libérant un couloir d’accès à l’intérieur de la chambre, a été suivie par de nouvelles inhumations et à quel(s) endroit(s) les corps auraient été déposés.

Quelle configuration initiale ?

Dans l’ultime configuration de la chambre funéraire, les morts se répartissent au prorata de l’espace disponible, avec près de quarante individus dans la salle antérieure (≈ 10 m2) et deux fois moins dans la salle

du fond (≈ 6 m2). L’accès à chacune d’elle ne semble pas conditionné par l’âge ou le sexe des défunts : hommes,

femmes et enfants de tous âges y sont en effet représentés.

Les conditions d’inhumation restent difficilement restituables, la position originelle des corps n’étant pas connue. La morphologie de la première salle semble plus adaptée à des corps allongés dans l’axe du monument, le long des parois, mais les défunts ont pu être placés accroupis, adossés aux parois, ou encore en position fléchie. Dans cette partie de l’hypogée, la répartition des ossements dessine, on l’a vu supra (ce chapitre § 1.2.1.), des effets de délimitation linéaire tout le long du côté ouest et, de façon plus ponctuelle, du côté opposé (au débouché de l’entrée : carrés E3/F3 ; Fig. 37). Ces indices de contrainte évoquent de possibles parois en matériau périssable (bois) qui ménageaient des espaces réservés aux dépôts le long des parois. Loin d’être inédite, une telle organisation, consistant en un axe central de circulation et des zones de dépôts périphériques, a été reconnue dans la première salle de l’hypogée II des Mournouards (Leroi-Gourhan et al., 1962 ; Blin, 2012) et trouve d’autres échos dans la littérature archéologique ancienne (voir chapitre I, § 2.5.4.). Dans l’hypogée des Gouttes-d’Or, l’organisation primitive de la chambre funéraire a pu comporter un cheminement central bordé par des parois en bois (Blin, 2011 : 202).

Dans la salle antérieure du Mont-Aimé I, il subsiste des indices des inhumations pratiquées dans ces zones latérales. En effet, la répartition des mandibules, des atlas et des axis, révèle que, le long de la paroi occidentale, certains corps ont pu être déposés avec la tête placée dans l’angle sud-ouest, dirigée vers l’entrée, tandis que d’autres ont eu la tête orientée à l’opposé, contre le pilier latéral séparant les deux salles (Fig. 36). Le long de la paroi orientale, plusieurs individus semblent avoir eu la tête qui reposait à l’extrémité nord, à proximité du passage entre les deux salles. Par ailleurs, dans la salle du fond, quelques corps semblent avoir été déposés avec la tête reposant à proximité du pilier latéral, tandis que d’autres ont été inhumés avec la tête

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placée contre la paroi du fond, à l’instar des inhumations pratiquées dans la partie postérieure de l’hypogée II des Mournouards. Cette diversité dans l’orientation des corps n’est pas propre au Mont-Aimé I puisqu’elle a été observée dans plusieurs hypogées de la Marne, même si, au sein d’une même tombe, les corps peuvent adopter une orientation préférentielle. Ainsi, dans l’hypogée II des Mournouards, la plupart des défunts dont la position a pu être reconnue à la fouille ont été inhumés en position allongée avec la tête dirigée vers le fond de la chambre, tandis que quelques-uns – indifféremment de leur localisation à l’intérieur de la chambre, subdivisée en deux salles – ont eu la tête placée vers l’entrée. À Loisy-en-Brie, les corps déposés dans la chambre funéraire semblent pour la plupart l’avoir été avec la tête dirigée vers l’entrée, s’ouvrant au sud-est ; en revanche, les squelettes occupant l’antégrotte avaient majoritairement la tête tournée à l’opposé, c’est-à-dire vers la chambre funéraire.

Figure 37. Possible aménagement interne de la première salle du Mont-Aimé I, sous la forme de parois en bois délimitant

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2. L’hypogée II