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Chapitre II – Matériel et méthodes

3. Méthodes d’étude des pratiques funéraires

3.1.1. Dépôt primaire et dépôt secondaire

Il s’agit de reconnaître l’état dans lequel les restes humains ont été introduits dans les tombes : de cadavres ou d’ossements déjà décharnés ? L’apport de cadavres renvoie à la notion de dépôt primaire, celui d’os disloqués à une translation d’ossements suivant une pratique de sépultures différées, aussi nommées sépultures secondaires (sur ces définitions, voir Boulestin et Duday, 2005). La distinction entre ces deux modes de traitement du cadavre repose sur deux critères essentiels qui n’ont pas la même valeur probatoire, à savoir l’état de dislocation et la représentation des squelettes. Ainsi, l’existence de connexions anatomiques, tout du moins celles impliquant les articulations dites labiles, plaide en faveur d’un dépôt primaire, mais leur absence

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n’infirme pas pour autant une telle proposition, les dépôts ayant pu être perturbés ultérieurement à leur mise en place (Duday, 1995 ; Duday et al., 1990). De même, l’existence de quelques connexions labiles ne justifie pas d’interpréter comme primaires l’ensemble des dépôts, d’autant qu’on connaît des tombes (rares, il est vrai) associant dépôts primaires et secondaires : l’exemple de la sépulture 13 de Balloy, Les Réaudins (Seine-et- Marne), datée de la seconde moitié du IIIe millénaire, est à cet égard éloquent (Chambon, 2003 : 186-192 ;

Chambon et Mordant, 1996).

Par ailleurs, si une sépulture secondaire peut se caractériser par la dislocation complète des ossements, des connexions anatomiques peuvent subsister en fonction de l’état de décomposition des cadavres au moment de la translation des restes corporels dans la sépulture définitive. Ces critères n’ont donc rien d’absolu. C’est ce qu’illustre parfaitement, dans un tout autre contexte que celui considéré ici, les travaux de D.H. Ubelaker menés sur deux « ossuaires » hurons de la baie du Nanjemoy, dans l’estuaire du Potomac (Maryland, USA), datés des XVIe-XVIIe siècles de notre ère (Late Woodland Culture), dans lesquels les corps (au moins 131 et

188 individus exhumés des ossuaires I et II), préalablement déposés dans un autre lieu où se décomposaient les chairs, étaient amenés lors d’une cérémonie intervenant tous les 8 à 12 ans environ, de sorte qu’en fonction du temps plus ou moins long séparant la date du décès de celle de la translation, les restes humains présentaient des états de dislocation variés, du squelette complet en connexion anatomique aux ossements désarticulés (Ubelaker, 1974). S’il subsiste d’abondantes connexions anatomiques (plus de 350 dans l’ossuaire II), intéressant de nombreuses articulations labiles (colonnes thoracique et cervicale, squelette du pied…), les squelettes ne sont pas pour autant complets, puisque les dépôts se caractérisent par un déficit sensible en petits os, en particulier ceux des mains.

Tout phénomène de conservation différentielle étant écarté, la représentation des petits os apparaît donc comme un critère pertinent : une translation peut notablement se manifester par le caractère incomplet du squelette, en raison d’une sélection des ossements destinés au lieu de dépôt définitif, en l’occurrence les éléments ostentatoires aux dépens des plus discrets, délaissés à l’endroit où le corps s’est décomposé (Chambon, 2003 : 42 ; Duday, 1995 ; Duday et al., 1990).

3.1.2. Représentation anatomique : les profils ostéologiques

La réflexion du paragraphe précédent suppose de quantifier les vestiges humains afin de discuter de leur représentation respective. Dans cette perspective, les profils ostéologiques permettent de visualiser d’éventuelles anomalies (Chambon, 1995, 2003 : 41-42). Il s’agit de représentations graphiques, sous forme d’histogrammes, intégrant les fréquences absolues ou relatives des pièces osseuses utilisées pour l’estimation du nombre minimum d’individus. Plusieurs profils ostéologiques ont été établis en fonction de la catégorie d’âge (adolescents et adultes / enfants) et de la localisation des vestiges humains dans la chambre funéraire (salle antérieure / salle postérieure). Afin de faciliter la lecture des données, les ossements (la latéralité est indiquée pour les os pairs) sont regroupés par régions anatomiques, avec : 1) la tête osseuse : bloc craniofacial et mandibule ; 2) le squelette du tronc : atlas, axis, première côte, sternum, sacrum et coccyx ; 3) le membre supérieur : scapula, clavicule, humérus, ulna et radius ; 4) le squelette de la main : os du carpe et du métacarpe et phalanges du premier rayon (PP1 et PD1) ; 5) le membre inférieur : os coxal, fémur, patella, tibia et fibula ; et 6) le squelette du pied : os du tarse et du métatarse et phalanges de l’hallux (PP1 et PD1).

Au-delà du mode de dépôt, les profils ostéologiques peuvent révéler des anomalies témoignant, par exemple, du prélèvement de certaines pièces osseuses, voire d’opérations de plus grande envergure comme l’évacuation de la plupart des ossements : une « vidange » (ou des translations d’ossements), qui peuvent se

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manifester par un déficit des pièces volumineuses aux dépens des petits os qui, peu encombrants, ont été délaissés (Chambon, 2003 : 42, 147-183 ; Crubézy et al., 2004 : 105 sqq.).

3.2. Analyse spatiale

L’analyse de la répartition spatiale des vestiges archéologiques permet de retracer des moments de l’histoire des chambres funéraires et leur dynamique interne, du temps de leur fonctionnement aux avatars subis postérieurement. L’analyse spatiale a été menée suivant deux approches étroitement liées, reposant l’une sur les plans de répartition des vestiges archéologiques (mobiliers et ossements) et l’autre sur les liaisons ostéologiques reconstituées en laboratoire (Duday, 1987 ; Villena Mota et al., 1996)

3.2.1. Relevés planimétriques

Les archives de fouille des deux hypogées sont inégalement conservées. Pour l’hypogée I, dont on dispose de l’ensemble des relevés de terrain (établi par m2), ces documents ont été numérisés, puis traités par

dessin vectoriel (Adobe Illustrator®), compilés (décapages successifs) et assemblés, afin de restituer une image globale de la chambre funéraire et de son remplissage archéologique. Pour l’hypogée II, l’absence des plans établis au moment de fouille a été palliée, en partie, par l’enregistrement des coordonnées (x, y, z) des vestiges (cotation d’un à plusieurs points pertinents en fonction des dimensions des pièces37), qui a permis de réaliser

des plans schématiques et d’exploiter les liaisons ostéologiques. Les vestiges humains cartographiés sont les éléments crâniens (bloc craniofacial et mandibule), les deux premières vertèbres cervicales (atlas et axis), les os longs des membres supérieurs et inférieurs, ainsi que les os sélectionnés pour la recherche des liaisons ostéologiques (voir infra, § 3.2.2.). Parmi les autres données spatiales analysées figure la répartition des petits os des extrémités et, plus précisément, la relation existante entre le nombre de restes de la main et le nombre d’os du pied (rapport main/pied), établie par quart de m2, qui permet parfois de retrouver une orientation

préférentielle des corps (Chambon, 2003 : 45). Les plans ont d’abord été réalisés sur support papier millimétré (échelle 1/20), puis restitués par dessin vectoriel (Adobe Illustrator®).

3.2.2. Liaisons ostéologiques

Les liaisons ostéologiques dites de deuxième ordre permettent de réattribuer les ossements d’un même squelette (relations de symétrie, contiguïtés articulaires, identité du stade de maturation, même ensemble pathologique) ou les fragments d’une même pièce morcelée (remontages). L’exploitation topographique des liaisons ostéologiques constitue un indicateur de dynamique ou de statique, en révélant des déplacements d’amplitude variée ou, à l’inverse, l’absence de mouvement significatif.

Au Mont-Aimé I, les ossements humains étant pour la plupart complets, la recherche des liaisons ostéologique s’est limitée aux relations de symétrie, qui ont été appliquées aux talus et aux humérus (adultes et adolescents), ainsi qu’aux tibias appartenant à des enfants (épiphyses non soudées à la diaphyse). Les liaisons exploitées dans la série ostéo-archéologiques du Mont-Aimé II sont : 1) les remontages, qui ont été recherchés sur l’ensemble des os intégrés aux profils ostéologiques ; et 2) les relations de symétrie, qui permettent d’identifier les os pairs d’un même squelette. L’étude a concerné les patellas, cinq os du tarse (talus, calcanéus, os naviculaire, os cuboïde et os cunéiforme latéral), ainsi que des pièces volumineuses (os coxaux et os longs

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des membres : humérus, radius et fémur). Il s’agit d’os appartenant à des individus adultes (ou de taille adulte), hormis les talus et les fémurs qui se rapportaient aussi à des enfants.

Les critères d’identification des paires d’os sont d’ordre morphométrique. Les ossements utilisés sont des pièces complètes (ou subcomplètes), qui ont été sélectionnés en fonction de leur représentativité et de leur format (os volumineux et petits os), ce dernier aspect pouvant révéler des dynamiques différentes. Enfin, les assemblages obtenus ont été vérifiés trois fois, une fois à un jour d’intervalle et deux autres fois à environ deux mois d’intervalle. Seules les liaisons certaines ont été retenues.