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Chapitre I – Des tombes creusées dans la roche

2. Le particularisme champenois : les hypogées de la Marne

2.3. Architecture des tombes : variation sur un même thème

Objet de nombreuses descriptions, dont les plus anciennes (XIXe siècle) sont parfois assorties de

relevés en plan et de sections (par exemple : Barré, 1866b : pl. VIII ; Godart, 1856 : 201), la morphologie des hypogées de la Marne représente, actuellement, l’aspect le mieux documenté (pour une revue complète de la littérature, voir, Bailloud, 1974 : 147-154 ; Blin, 2011 : 48-54). Creusées à flanc de coteau, à deux ou trois mètres sous la surface du sol, les tombes offrent dans l’ensemble un plan assez stéréotypé, comprenant une chambre funéraire précédée d’une antégrotte (ou antichambre) et d’un couloir d’accès (Fig. 7). Le couloir, en plan incliné, conduit à une ouverture basse et étroite, débouchant dans l’antégrotte, petite cavité proche de l’ovale, ou, en l’absence de cet espace, dans la chambre funéraire elle-même à laquelle on accède par un court boyau. La chambre consiste généralement en une salle unique de plan quadrangulaire, d’une faible superficie (10 m2 en moyenne) ; seuls quelques monuments présentent une chambre bipartite plus vaste. Les tombes ont

été excavées au moyen d’herminettes, de haches et pics en bois de cerf, et les parois en conservent par endroit les traces (voir, par exemple : Crubézy et Mazière, 1991 : 122 ; Leroi-Gourhan et al., 1962 : 27 ; Martineau et

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Figure 7. Plans des hypogées mitoyens des Mournouards I et II au Mesnil-sur-Oger (Marne).

Dessin A. Leroi-Gourhan et collaborateurs (1962 : 28, fig. 6).

2.3.1. Le couloir d’accès

Le couloir est matérialisé par une tranchée creusée en plan incliné (Fig. 8), généralement en pente assez douce, qui se présente comme une rampe plus ou moins régulière dépourvue d’aménagement, à l’exception notable des deux encoches décrites à Loisy-en-Brie, évoquant de possibles marches7 grossièrement

taillées (Chertier et al., 1994 : 27). La présence d’un couloir s’enfonçant à l’horizontale n’est guère connue que dans l’hypogée des Varilles à Bouy (Gandilhon et Marquer, 1953), tandis qu’un accès sous forme de puit circulaire, d’un mètre de diamètre et de profondeur, est signalé à la butte de Saran, dans l’hypogée 2 de la nécropole de La Grifaine (Barré, 1866a : 24 ; sur ce point, voir Martineau et al., 2016 : 139). Les couloirs habituels, dont les parois peuvent être verticales ou s’évaser sensiblement vers le haut, sont le plus souvent marqués par un net élargissement depuis l’entrée vers le fond, leur conférant un plan en trapèze. Ils se développent généralement dans l’axe longitudinal du monument, mais certains couloirs sont désaxés (Loisy- en-Brie, par exemple) ou décentrés, comme l’illustrent quelques tombes de la nécropole du Razet. Leurs dimensions sont variables : de moins d’1 m à 9 m de longueur, la plupart ayant au moins 4 m de développement. La largeur avoisine 1 m et n’excède pas plus du double.

Le remplissage des couloirs a surtout été observé au cours des fouilles anciennes, dont les comptes rendus mentionnent assez souvent un comblement constitué par une sorte de ciment : un mélange très compact de craie concassée, de cendres et de charbons de bois, parfois mêlés à des galets ou des dalles. J. de Baye assimile ce matériau induré à de la chaux8. Par la suite, A. Roland observa le même phénomène lors de ses

7 Dans l’hypogée du Moulin-Brûlé, à Villevenard, A. Roland et P. Hu mentionnent : « des pierres plates trouvées à des

profondeurs différentes laissent supposer qu’une sorte d’escalier avait été aménagé, permettant un accès plus commode de l’hypogée » (Roland, 1935 : 323).

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fouilles à Villevenard (hypogées des Ronces 17, 18, 21 et 22) et à Courjeonnet, aux Vignes-Jaunes (Roland, 1909, 1910, 1911 ; Roland et Raymond, 1910). Il en donna une ultime description, quelques vingt années plus tard, à l’occasion du déblaiement du couloir de l’hypogée de Montaubar à Villeneuve-Saint-Vistre qui livra ce même mélange "de craie chauffée et de cendres, ayant l’apparence d’un ciment grisâtre difficilement

attaquable à la pioche " (Roland et Hu, 1933 : 6). Plus récemment, les investigations archéologiques menées

aux Gouttes-d’Or (Loisy-en-Brie) et dans l’hypogée de La Pente-du-Moulin à Oyes (Leblanc, 1984) ont mis en évidence ce même mortier.

Figure 8. Couloir d’accès en plan incliné de l’hypogée 24

de la nécropole du Razet à Coizard (Marne). Photo R. Donat.

2.3.2. Le dispositif de fermeture

Le couloir conduit à la partie souterraine de la tombe, à laquelle on accède par une ouverture basse et étroite, à la forme variable : rectangulaire ou en bouche de four, elle peut être aussi ovale, circulaire, trapézoïdale ou irrégulière (Fig. 9). Certaines révèlent, sculptée dans la craie, une ornementation assez sommaire, représentant un linteau (Loisy-en-Brie) ou un encadrement (hypogée du Moulin-Brûlé à Villevenard).

L’ouverture était le plus souvent munie d’un dispositif de fermeture consistant généralement en une dalle, s’insérant parfois dans une feuillure ou un larmier, maintenue en place par un amas de pierres. Ainsi, au

Mont-Aimé II, une dalle presque circulaire de calcaire gréseux, callée à l’extérieur par des blocs de même

matière, assurait la fermeture de l’antichambre (voir chapitre III, § 2.1.). Au cours de ses fouilles dans la vallée du Petit-Morin, J. de Baye a observé à plusieurs reprises un dispositif semblable, constitué d’une dalle cimentée recouverte de pierres et de terre, et mentionne, en outre, des entrées obstruées par des "grès ou des pierres

meulières énormes" (de Baye, 1874 : 231-232). Les fouilles menées dans l’hypogée de Montaubar à

8 « Les tranchées ont été souvent remplies d’une matière calcaire qui par le temps s’est durcie, elle est maintenant fort

compacte et offre une très grande résistance. La couche formée de cette matière s’opposait aux infiltrations de l’eau et ne permettait pas le moindrement de soupçonner l’existence d’une excavation ou d’un sol remué. Il est très probable que cette matière est de la chaux » (de Baye, 1880 : 142).

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Villeneuve-Saint-Vistre (Roland et Hu, 1933) et aux Ronces 22 à Villevenard (Roland, 1910 ; Roland et Raymond, 1910), ont également révélé une imposante dalle de grès placée devant l’ouverture. D’autres types de fermeture ont existé, comme au Moulin-Brûlé, à La Pente du Moulin et aux Vignes-Basses (hypogée 11), où un mur de pierres sèches obstruait l’entrée (Roland, 1935 ; Roland et Hu, 1934, 1935a, 1935b), tandis que dans l’hypogée I des Mournouards, l’orifice de la chatière communiquant avec la chambre funéraire était bouché par un blocage de grès et de meulière "cimenté de terre grise" (Coutier et Brisson, 1959 : 711), confirmant les observations faites auparavant par E. Schmit aux Cornembaux, à Congy (Schmit, 1909). Enfin, dans bon nombre de monuments, où aucune dalle de fermeture n’a jamais été retrouvée, alors même que l’ouverture est pourvue d’une feuillure ou d’un larmier, une porte en bois a dû être utilisée (Bailloud, 1974 : 151).

Figure 9. Vue de l’ouverture donnant accès à la chambre funéraire de l’un des hypogées de la nécropole du Razet à Coizard (Marne). Photo R. Donat.

2.3.3. L’antégrotte

Au-delà de cette ouverture, on pénétrait dans l’antégrotte (aussi appelée antichambre) ou, en son absence – les tombes dépourvues d’antégrotte sont presque aussi nombreuses que celles qui en possèdent une –, dans la chambre funéraire elle-même. L’antégrotte s’apparente à une petite cavité au plafond cintré, adoptant un plan proche de l’ovale ou du rectangle aux angles arrondis. C’est un volume exigu, dont la largeur l’emporte sur la profondeur, de sorte que son grand axe est toujours perpendiculaire à celui du monument. Ses dimensions varient peu : haute d’1,2 m à 1,4 m en son milieu, profonde d’environ 1 m, sa largeur excède rarement plus de 2 m et se situe plutôt autour d’1,5 m. Certaines antégrottes disposent de banquettes, occupant l’un ou les deux côtés (hypogées 1, 17, 23 et 26 du Razet ; Les Houyottes 3), ou de petites niches aménagées dans la paroi (Razet 1 et 23) (Bailloud, 1974 : 150).

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Aucune inhumation n’a été pratiquée dans cette partie de la tombe, hormis aux Gouttes-d’Or, à Loisy- en-Brie (Chertier et al., 1994) et, peut-être aussi, dans certaines des tombes explorées par J. de Baye9. Lieu de

passage, l’espace confiné de l’antichambre est un intermédiaire entre le couloir, communiquant avec l’espace extérieur – autrement dit le monde des vivants –, et la chambre funéraire qui incarne le monde souterrain, dévolu aux défunts. Trait d’union ou à l’opposé rupture entre deux mondes, la valeur symbolique du lieu semble évidente. À cet égard, les sculptures de figurations anthropomorphes et de haches emmanchées et les tracés au charbon représentés sur les parois de certaines antégrottes, évoquent irrésistiblement un petit sanctuaire.

2.3.4. La chambre funéraire

L’accès à la chambre funéraire se fait par une ouverture étroite, surbaissée, semblable dans sa forme et ses dimensions à celle de l’entrée, se poursuivant par un court boyau (moins d’un mètre de longueur), qui se développe à l’horizontale ou en pente plus ou moins accusée vers l’intérieur du tombeau (L’Homme-Mort à Tinqueux, Les Mournouards I au Mesnil-sur-Oger). Tout comme l’entrée de l’antégrotte, l’orifice de cette chatière (trou d’homme) était fermé dans certains hypogées par une dalle calée par un amas de pierre. Un tel dispositif a été observé au Mont-Aimé II (voir chapitre III, § 2.1.) et aux Dimaines à Avize (Favret et Loppin, 1943), mais il en existe de plus élaborés. Ainsi, celui des Mournouards II consistait en une dalle de meulière, longue de 1,15 m et large de 0,65 m, maintenue en place par des blocs de meulière, ainsi que par deux rondins de bois glissés dans des mortaises creusées en oblique dans la paroi (Leroi-Gourhan et al., 1962 : 77). Un système proche, sinon identique, semble avoir été employé dans les hypogées 21 et 22 des Ronces à Villevenard (Roland, 1910 : 522 ; Roland et Raymond, 1910 : 121). À Loisy-en-Brie, une grande encoche semi-circulaire creusée dans le sol de l’antégrotte pourrait avoir servi à caller un madrier s’appuyant contre la fermeture, peut- être une porte en bois (Chertier et al., 1994 : 30).

Figure 10. Chambre funéraire de l’hypogée 24 de la nécropole du Razet à Coizard (Marne). Photo R. Donat.

9 Dans un hypogée non localisé, J. de Baye rapporte « (…) qu'un squelette d'enfant, qui avait reçu la sépulture dans une

anti-grotte, était accompagné d'une petite hache en chloromélanite d'une dimension tellement réduite, qu'il est impossible de la regarder comme un instrument d'un emploi utile » (de Baye, 1880 : 180).

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La chambre funéraire consiste généralement en une salle unique de plan quadrangulaire (rectangulaire, carré ou trapézoïdale), aux angles arrondis (Bailloud, 1974 : 151-153 ; Fig. 10). L’existence de quelques rares chambres ovales est également attestée, comme à Villeneuve-Saint-Vistre (Roland et Hu, 1933). La surface occupée par la chambre est de l’ordre de 10 m2 en moyenne, les plus réduites n’excédant guère plus de 4 m2

(Les Varilles à Bouy), tandis que la plus vaste atteignait 22,4 m2 (Saran 7). Mais, dans ce dernier cas, précisons

qu’il s’agit d’une chambre funéraire bipartite, très allongée, formée par deux salles placées en enfilade dans le grand axe du monument, dont seuls quelques hypogées adoptent une telle configuration : Les Mournouards II, le Mont-Aimé I et II, auxquels s’ajoutent quatre hypogées de la nécropole de La Grifaine (la question des chambres funéraires doubles est plus amplement développée au chapitre III, § 2.2.). Les dimensions des chambres offrent ainsi une grande variabilité : de 2 m à un peu plus de 7 m de longueur, pour une largeur de moins de 2 m à environ 4 m et une hauteur sous voûte qui n’excède pas 1,6 m. Le sol, plat ou en léger pendage, est généralement dépourvu d’aménagement, si ce n’est la présence d’un léger surcreusement matérialisant une sorte d’allée centrale à Saran 7 (Favret, 1923) et, à Loisy-en-Brie, celle de deux rainures parallèles au grand axe de la chambre qui pourraient marquer l’emplacement de cloisons en bois, de part et d’autre d’un axe central (Blin, 2011 : 180, 189-190 ; Chertier et al., 1994).

Enfin, dans plusieurs chambres, on connaît des petites banquettes, des niches, des tablettes ou encore des piliers ménageant des alcôves placées de part et d’autre de l’entrée. D’après J. de Baye (1880 : 151), ces espaces étaient parfois occupés par des objets comme de l’outillage lithique ou des poinçons en os, mais ces observations n’ont pas été étayées par les découvertes postérieures. Dans certains hypogées, les banquettes sont à mettre en relation avec l’inhumation et la position des corps (voir ce chapitre, § 2.5.2.).