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Chapitre II – Matériel et méthodes

2. Méthodes d’étude du recrutement

L’étude du recrutement funéraire s’est attachée à préciser le nombre d’individus qui ont eu accès aux tombes, ainsi que la composition par âge et par sexe des groupes humains inhumés. L’objectif était de déterminer si chacun d’eux pouvait être assimilé à une mortalité dite naturelle ou s’il reflétait une image différente, celle d’une sélection des défunts accédant aux tombes (pratiques funéraires) ou d’une démographie non naturelle (crise de mortalité). Dans cette perspective, la démarche suivie a consisté à comparer la structure par âge de la population archéologique à un modèle théorique intégrant la variabilité des paramètres démographiques des populations préindustrielles (pré-jennériennes), c’est-à-dire antérieures aux grands progrès médicaux, en particulier la généralisation des vaccinations qui permit l’amélioration de l’état sanitaire des groupes humains, et à la révolution industrielle, annonçant en Europe occidentale la transition démographique de la fin du XIXe siècle. Ce type de comparaison est envisageable car, en dépit de leurs

disparités chronologiques et géographiques, le régime démographique des populations de l’ère prévaccinale et préantibiotique présentait sur le long terme, c’est-à-dire à l’échelle de plusieurs générations, des caractéristiques communes : une forte fécondité et une mortalité infantile élevée et, en relation étroite avec ce dernier paramètre, une faible espérance de vie à la naissance, comprise dans la plupart des cas entre 20 et 30 ans (Masset, 1975 ; Sellier, 1996). Le dénombrement des individus et leur identité biologique sont à la base de cette problématique.

2.1. Le dénombrement des individus

Les restes humains mis au jour dans les hypogées du Mont-Aimé se sont révélés presque tous disloqués : aucun squelette ou partie de squelette n’a été découvert en connexion anatomique, hormis dans l’hypogée II où quelques ensembles conservaient une relative cohérence anatomique. Dans ce contexte, le dénombrement des individus inhumés a été estimé au moyen de différentes méthodes de quantifications des vestiges osseux et dentaires, basées sur le principe du nombre minimum d’individus : NMI de fréquence, par exclusion et par appariements (Adams et Konigsberg, 2004 ; Demangeot, 2008 : 31-40).

 Le nombre minimum d’individus de fréquence correspond à la fréquence absolue de l’élément osseux ou dentaire le mieux représenté dans l’assemblage, indifféremment de la maturation osseuse ou dentaire. Les pièces dénombrées sont celles qui permettent une identification anatomique précise (côté, rang, rayon) et, ce, indépendamment de leur état de représentation. L’ensemble des régions

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anatomiques sont exploitables dans cette perspective, mais de manière inégale. Sont ainsi exclues de cette approche la majeure partie des phalanges (mains et des pieds), des côtes et des vertèbres. Pour le squelette du tronc, les pièces osseuses parfaitement identifiables sont la première côte, les éléments du sternum, les deux premières vertèbres cervicales (atlas et axis), le sacrum et le coccyx. Les autres os qui composent la cage thoracique et la colonne vertébrale ont fait l’objet d’un décompte global, en distinguant, pour les vertèbres, les différents segments d’origine (cervical, thoracique et lombaire). Pour les phalanges des mains et des pieds, seules les phalanges proximales et distales du premier rayon (PP1 et PD1) permettent une identification précise. Les phalanges se rapportant aux quatre autres rayons ont été dénombrées suivant le rang (distal, moyen et proximal).

Les vestiges dentaires ont, quant à eux, fait l’objet de dénombrements pour chacun des éléments composant les dentures déciduales, mixtes et permanentes.

 Le nombre minimum d’individus par exclusion consiste à distinguer les pièces osseuses ou dentaires en fonction de leur stade de maturation (os mature vs. os immature : degré de fusion des points d’ossification secondaire à leur centre primaire, minéralisation dentaire) et à combiner les effectifs de chacun des groupes définis sur des critères d’âge.

 Le nombre minimum d’individus par appariements est basé sur les liaisons ostéologiques par symétrie, qui permettent de réattribuer les os pairs d’un même individu (Duday, 1987 ; Villena Mota

et al., 1996). Par suite, l’effectif est calculé en additionnant le nombre d’appariements obtenu au

nombre d’os gauches et droits isolés. Les relations de symétrie ont été recherchées sur les pièces osseuses (complètes ou subcomplètes) les mieux représentées dans chacun des assemblages osseux : 1) hypogée I : humérus et talus (adolescents et adultes) et tibia (enfants) ; 2) hypogée II : patella, talus, os naviculaire, os cuboïde et os cunéiforme latéral (adolescents et adultes) et talus (enfants).

 Enfin, à partir du NMI par appariements, C. Masset (1984, cité par Demangeot, 2008 : 36), à la suite de F. Poplin (1981), à proposer d’estimer le nombre initial d’individus (NI) en évaluant la probabilité de destruction /conservation d’une pièce osseuse, selon l’équation suivante : NI = P + I + (I2/4P), avec

P, le nombre de paires d’os symétriques et I, le nombre d’os isolés.

2.2. Identification biologique individuelle

2.2.1. Estimation de l’âge au décès

Les adultes

L’âge au décès des individus adultes (plus de 20 ans) a été estimé à partir des modifications morphologiques de la surface sacro-pelvienne iliaque, évaluées d’après les critères définis par A. Schmitt (2005). Elaborée à partir d’échantillons d’origine européenne, la méthode consiste en une approche bayésienne qui permet d’attribuer un spécimen à un intervalle chronologique plus ou moins large considéré comme fiable. Les intervalles retenus ici correspondent aux probabilités calculées pour une espérance de vie à la naissance (e0) de 30 ans (Schmitt, 2005 : tab. IV). En l’absence de cet indicateur d’âge (série ostéo-archéologique du

Mont-Aimé I), la maturation du point d’ossification sternal (médial) de la clavicule a été utilisée pour distinguer

les adultes jeunes (30 ans <) des plus âgés (Owings-Webb et Suchey, 1985 ; Scheuer et Black, 2000 : 251- 252).

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Les non-adultes

Pour les enfants et les adolescents, c’est-à-dire les sujets immatures (de la naissance à 19 ans révolus), l’estimation de l’âge au décès à partir du squelette repose sur des processus biologiques de croissance et de maturation osseuse ou dentaire, pour lesquels il existe de nombreuses données de références dans les populations actuelles (Scheuer et Black, 2000). Les critères suivants ont été utilisés :

 L’âge des individus décédés en période périnatale (fœtus et nouveau-nés) a été estimé au moyen des longueurs diaphysaires (essentiellement), en utilisant les équations de I. G. Fazekas et F. Kósa (1978, révisées par Sellier 1993), établies sur la collection ostéologique de fœtus de l’institut médico-légal de Szeged, en Hongrie.

 L’âge au décès des enfants de la période post-natale à 14 ans révolus a été estimé indépendamment (les squelettes sont disloqués), en utilisant les critères suivants :

1) La maturation dentaire : le développement dentaire humain, en s’inscrivant sur une longue durée (plus de vingt ans ; Scheuer et Black, 2000 : 151-152), de la phase de constitution de la dentition temporaire à la maturation complète de la dentition permanente, permet d’estimer avec une relative fiabilité l’âge au décès des enfants, de la période post-natale à la préadolescence. Dans cette perspective, le développement des arcades dentaires maxillaires et mandibulaires a été observé à partir de radiographies panoramiques (CHU de Toulouse). Les stades de formation des dents (édifications coronaire et radiculaire) ont été évalués au moyen des critères définis par C. Moorrees et collaborateurs (1963a, 1963b ; référentiel moderne d’origine nord-américaine). Assortis d’un intervalle de confiance de 95 %, les intervalles chronologiques correspondants ont été établis pour les huit dents mandibulaires permanentes composant chacune des hémi-arcades dentaires (Moorrees et al., 1963a), ainsi que pour deux dents maxillaires permanentes (incisives centrales et latérales ; Moorrees et al., 1963a) et trois dents déciduales (canine, première molaire et seconde molaire ; Moorrees et al., 1963b).

2) La croissance osseuse : l’âge au décès a été estimé au moyen des longueurs diaphysaires et du référentiel établi par M. Maresh (1970, cité par Scheuer et Black, 2000), en tenant compte des amplitudes maximales fournies pour chaque sexe. Plusieurs longueurs diaphysaires ont été mesurées au membre supérieur (humérus et radius) et au membre inférieur (fémur et tibia).

 L’attribution à la classe d’âge des adolescents (15-19 ans) s’est faite d’après la maturation osseuse (fusion des points d’ossification secondaire à leur centre primaire ; Scheuer et Black, 2000) de chaque élément squelettique individualisé au moment de l’étude.

2.2.2. Diagnose sexuelle

Pour les individus adultes de l’hypogée II du Mont-Aimé, la diagnose sexuelle a été réalisée au moyen de la morphométrie des os coxaux, en utilisant la méthode de diagnose sexuelle probabiliste (DSP) mise au point par Murail et collaborateurs (2005 ; DSP1) et révisée par Bruzek et collaborateurs (2017 ; DSP2). Les os coxaux de l’hypogée I, qui n’ont pu être examinés par nos soins, avaient fait l’objet d’une diagnose sexuelle, lors de l’étude préliminaire de la collection ostéologique réalisée par D. Gambier (1986 ; données inédites), à partir des critères suivants : 1) les caractères morphologiques définis par D. Ferembach et al. (1979) : 2) l’indice cotylo-sciatique proposé par M.-R. Sauter et F. Privat (1955) ; 3) la fonction discriminante établie par V.

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Novotny (1975, cité par Ferembach et al., 1979 : 14), basée sur les longueurs respectives de l’ischion (ISM) et du pubis (PUM) : [(ISM x 7,600) – PUM] x (4,730 x ISM).

Par ailleurs, pour les deux hypogées, le sexe de 40 spécimens (hypogée I : 23 ; hypogée II : 17) a été déterminé par méthode moléculaire : il s’agit d’échantillons dentaires extraits de mandibules parfaitement individualisées, qui sont attribuables à des adultes et des sujets immatures (travaux N. Sáenz-Oyhéréguy, Laboratoire AMIS, Toulouse). La méthode moléculaire a ainsi permis de déterminer le sexe de certains enfants, pour lesquels il n’existe actuellement aucune méthode morphoscopique ou métrique permettant de réaliser une diagnose sexuelle suffisamment fiable (pour revue, voir Lewis, 2007 : 47-54). Toutefois, des travaux publiés récemment sur la forme de la cochlée ouvrent de nouvelles perspectives dans ce domaine (Braga et al., 2019).

2.3. Analyse de la composition p ar âge et par sexe

Après avoir estimé l’âge au décès et le sexe de chaque individu, la démarche suivie a consisté à calculer des quotients de mortalité (noté q), à partir des effectifs par classes d’âge, puis à les confronter à un schéma théorique de mortalité établi, ici, à partir des tables-types de S. Ledermann (1969). Les entrées choisies intègrent la variabilité statistique des quotients de mortalité pour des espérances de vie à la naissance (e0) de

25 et 35 ans (réseau 100 MF), qui correspondent aux valeurs attendues pour une mortalité préindustrielle (Masset, 1975 ; Sellier, 1996). La dispersion à 95 % des quotients, qui donne les limites supérieures et inférieures de la table de mortalité correspondante, a été utilisée afin d’intégrer l’ensemble des situations démographiques possibles (Ledermann, 1969). Cette approche, habituellement utilisée pour les individus immatures (0-19 ans), nécessite préalablement de répartir les effectifs en classes d’âge démographiques quinquennales, à l’exception des deux premières (0 et 1-4 en années révolues) d’une durée respective d’un et quatre ans, selon une distribution aussi proche que possible du schéma théorique, afin de mettre en évidence d’éventuelles anomalies démographiques non introduites par des erreurs méthodologiques inhérentes aux estimations de l’âge au décès : il s’agit du « principe de conformité » ou « de minimalisation des anomalies » défini par P. Sellier (1995, 1996).

3. Méthodes d’étude des pratiques funéraires