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La saturation de la mobilité et de l’équipement automobile

motorisation des ménages français en 2020 ?

Chapitre 6 – Mobilité et équipement automobile, une analyse générationnelle rétrospective

1. Revue de littérature

1.1. La saturation de la mobilité et de l’équipement automobile

Comme nous l’avons vu dans le premier chapitre, l’équipement automobile a progressé avec la hausse des revenus, et aujourd’hui, plus de 80% des ménages français sont motorisés. Mais, nous observons un découplage entre la possession et l’usage automobile. En effet, depuis le début des années 2000, l’usage automobile en France diminue chaque année : les Français parcourent de moins en moins de kilomètres avec leur véhicule. Ce phénomène a également été observé dans d’autres pays occidentaux. Ainsi, le constat d’un ralentissement de la croissance de la mobilité automobile remonte aux années 90 (Schipper et al., 1993). Plusieurs rapports dont celui de Puentes et Tommer (2009) ont ensuite porté sur la mise en évidence de cette moindre croissance de l’usage automobile en analysant les tendances des véhicules-km à partir de séries statistiques nationales. L’idée d’un pic (le ‘‘peak car’’) a été récemment formalisée (Millard-Ball et Shipper, 2010) et traduit le découplage observé entre la croissance des revenus et celle de l’intensité de l’usage automobile. Beaucoup se sont donc interrogés sur les raisons de cette stabilisation de la mobilité automobile. Newman et Kenworthy (2011) ou encore Goodwin (2012) proposent un résumé de ses différentes origines. Les facteurs économiques en sont une. En effet, les coûts de détention et d’usage automobile, notamment la hausse des prix des carburants, et la pression qu’ils font peser sur le budget incitent les automobilistes à rationaliser l’usage de leur véhicule. En outre, ce phénomène est encouragé par l’amélioration des réseaux et de la qualité des transports en commun parallèlement à une nouvelle vision de l’aménagement urbain vers une redensification, une relocalisation des activités et des commerces en centre-ville et un aménagement de la voirie pour favoriser l’usage des modes doux, laissant donc moins de place à la voiture individuelle et accentuant le ‘‘désamour’’ pour celle-ci en milieu urbain. Newman et Kenworthy (2011) expliquent également cette remise en cause par le vieillissement de la population vivant en centre-ville et pratiquant donc moins la conduite, ainsi que par la constance du budget-temps de transport d’une heure en ville mise en évidence par Marchetti (1994). Autrement dit, avec la hausse de la congestion urbaine, la voiture est moins plébiscitée en ville. Goodwin (2012) avance également plusieurs arguments liés à de nouvelles habitudes et préférences, et aux nouvelles technologies. Ainsi, les jeunes ne sont plus aussi attachés à la voiture que les générations précédentes, le passage du permis de conduire et l’achat automobile ne sont plus des rites d’entrée dans la vie adulte. De plus, les jeunes sont davantage préoccupés par les questions environnementales, moins attachés à la possession et développent des comportements de mobilité malins de façon à gagner du temps (multimodalité) et de l’argent (location et partage automobile). Ces nouveaux comportements s’inscrivent dans de nouvelles habitudes de

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travail, d’achat et de loisir : télé-travail, e-commerce, ou encore e-loisirs, favorisés par l’essor des nouvelles technologies de l’information et de la communication, notamment l’accès désormais illimité à Internet. Les faits marquants de la période actuelle définissent donc les habitudes de la jeune génération qui s’inscrivent en rupture avec celles des précédentes. Ainsi, concernant précisément la mobilité, des données issues de l’enquête nationale déplacement suédoise (Frändberg et Vilhelmson, 2011) montrent que la mobilité continue d’augmenter, notamment la mobilité en voiture. En revanche, la mobilité des plus jeunes s’inscrit dans une contre-tendance. En effet, une réduction de leur mobilité quotidienne, ainsi que de leurs voyages longue distance sont observées. Une étude menée auprès des 20-29 ans dans six pays industrialisés (Litman, 2014) montre d’ailleurs une baisse des distances parcourues par cette tranche d’âge depuis la fin des années 90 et le début des années 2000. De plus, Kuhnimhohf et al. (2012) montrent une baisse de la détention du permis de conduire des plus jeunes et un usage moins exclusif de la voiture. En France, les différentes enquêtes transports (enquêtes nationales et enquêtes locales) montrent un recul du taux de détention chez les 18-24 ans (Madre, et al., 2012).

Ces phénomènes observés soulèvent donc la question de la saturation de l’équipement automobile. Théoriquement, trois scénarios sont possibles selon Goodwin (2010-2011) : une reprise de la croissance, une saturation à un niveau à préciser ou un retournement de tendance suite à un plateau à définir. Plus précisément, il s’agit de répondre à la question suivante : les jeunes français vont-ils, au cours de leur vie, garder les mêmes habitudes de déplacements ? En effet, selon une étude de l’INSEE (Bodier, 1996), la voiture est une habitude qui se prend tôt. L’équipement en voiture et les habitudes de mobilité se font jeune. Autrement dit, si le comportement de mobilité suit le cycle de vie des ménages (le pic du nombre de déplacements quotidiens est atteint lors de la vie active des ménages), les nouvelles générations se distinguent des anciennes, et chaque génération a un comportement de mobilité propre. Par conséquent, l’analyse de la mobilité des jeunes générations et la comparaison par rapport aux anciennes peut être un indicateur d’éventuels changements. Ainsi, nous pourrions assister à la fin de la progression de la motorisation et de l’intensité d’usage automobile au fil des générations, en milieu urbain notamment. C’est en effet essentiellement en zone urbaine que l’on observe les principales inflexions en termes d’usage automobile dans les différentes enquêtes françaises (Madre, et al., 2012). Une analyse rétrospective de la mobilité et de l’équipement automobile basée sur des cohortes d’individus distinguées selon leur zone d’habitation apparaît donc pertinente. En effet, Dargay (2002) a étudié les facteurs déterminants la motorisation en milieux rural et urbain et a montré que les ménages ruraux sont moins sensibles aux coûts automobiles du fait d’un manque d’alternatives. Ils sont donc potentiellement moins vecteurs de

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changements que les ménages urbains. Ainsi, dans son ouvrage L’automoville (2010), Coulaud décrit les étapes de la diffusion de l’automobile en parallèle de l’évolution des lieux de vie durant le 20ème siècle : de « la ville sans l’automobile » jusqu’à la Grande Guerre à

« l’étalement urbain et la prospérité automobile […] de 1975 à nos jours » (page 7). Il montre

surtout comment l’organisation des villes d’aujourd’hui autour de la voiture procure des avantages mais également des inconvénients conduisant à sa remise en question. Or comme il le précise, dès la crise des années 70 les incommodités de l’automobile sont mises en évidence : « A lire la presse de l’époque, une nouvelle ère s’ouvrait pour la voiture, pour

la maison, pour le monde : celle des énergies renouvelables. On ne parlait pas encore couramment du développement durable. L’âge d’or de la voiture était derrière nous, le marché était saturé et l’on allait vers un simple renouvellement du parc. Les voitures qui subsisteraient seraient silencieuses, économes en essence, électriques. La marche à pied, le vélo, les transports en commun allaient renaître. […] Ces intentions n’ont jamais cessé d’être…des intentions. » (page 184). Ce discours ressemble étrangement à celui

d’aujourd’hui. « Mais les décisions prises vont toujours à l’encontre des discours parce

qu’elles conviennent à tout le monde » (page 292). Coulaud montre ainsi que malgré ses

inconvénients, la voiture a encore de beaux jours devant elle, du fait de la difficulté de changer les modes de vie et comportements de mobilité. Ces derniers ne peuvent varier que dans l’espace : d’une zone d’habitation à une autre (en milieu urbain essentiellement), et dans le temps : d’une génération à une autre.

Il convient donc maintenant de présenter la méthodologie de l’approche générationnelle des évènements.