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L’approche sociologique

Première partie : Vers un nouveau rapport à l’automobile plus économique et écologique ?

Chapitre 1 La prépondérance automobile remise en question

1. La voiture comme mode de transport principal des Français : les choix modaux et leurs déterminants

1.4. Les déterminants des choix modaux : un calcul coûts/bénéfices intégrant d’autres dimensions que la rationalité économique

1.4.1. L’approche sociologique

Tout d’abord, le choix des modes dépend en grande partie du programme de la journée, du nombre d’activités et de lieux fréquentés, la présence d’enfants augmentant significativement le besoin de mobilité. Ainsi, Kaufmann (1997, 2000), Bassand et al. (2001), ou encore Montulet (2005) ont montré que les choix modaux s’adaptent aux logiques d’action de notre vie quotidienne. Ainsi, le choix du mode dépend de l’organisation des activités au cours de la journée. La voiture apparaît alors comme la solution privilégiée pour effectuer

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l’enchaînement des différentes activités. Ainsi, la voiture peut être privilégiée dès le matin afin de réaliser une activité le soir ou pour enchaîner les activités sans avoir à repasser par le domicile. Mais les modes doux individuels sont également plébiscités pour les déplacements de proximité. A l’inverse, les transports en commun complexifient la réalisation du programme d’activité. En effet, selon Bonnel et al. (2003), les contraintes d’horaires et de dessertes associées aux transports en commun réduisent la flexibilité.

Par ailleurs, dans sa thèse en sociologie sur les changements de comportements vers une réduction de l’usage de la voiture, Rocci (2007) s’est attachée à décrire de manière très précise les choix modaux en Ile-de-France, ainsi que leurs déterminants et les représentations associées selon différents profils. A partir d’entretiens auprès de 40 personnes, trois catégories de comportements ont été distinguées : les ‘‘Alternatifs’’ à la voiture, les ‘‘Automobilistes exclusifs’’ et les ‘‘Multimodaux’’. Les premiers font usage de modes alternatifs à la voiture personnelle (marche, vélo, transports en commun), les seconds utilisent la voiture pour quasiment tous leurs déplacements, enfin les derniers utilisent la voiture parmi d’autres modes.

Les comportements de chacun de ces profils peuvent être caractérisés par un arbitrage coûts/bénéfices prenant en compte le vécu, le ressenti, la perception des différents modes. Ainsi, la seule prise en compte objective des coûts monétaires des différents modes est bien souvent biaisée, les transports en commun étant perçus comme relativement chers par les non utilisateurs alors que les automobilistes sous-estiment les coûts de la voiture, chacun usant de stratégies pour limiter les coûts perçus. Selon Frenay (1997), les automobilistes ne prennent pas en compte le coût complet de la voiture (coûts fixes et coûts variables) et ne se focalisent que sur son coût d’usage (prix des carburants principalement). Le coût n’est donc pas le déterminant prépondérant dans les choix modaux.

Plus précisément, l’analyse du discours des ‘‘Automobilistes’’ montre que les avantages offerts par la voiture amplifient les contraintes perçues des autres modes et atténuent les contraintes liées à la voiture. Ainsi, les transports en commun sont particulièrement perçus négativement par les automobilistes. A l’inverse de la voiture qui leur procure liberté, sécurité et confort, les transports en commun sont associés à la promiscuité, l’agressivité, le stress, l’insécurité ou encore la dépendance. Ce sont autant d’éléments également observés en voiture mais qui sont alors perçus beaucoup moins négativement par les automobilistes, ou tout du moins compensés par les avantages procurés par la voiture. Plus encore, la passion de certains pour celle-ci (pour l’objet ou encore les sensations de conduite) explique à elle seule son usage, les contraintes étant compensées par le plaisir. A l’inverse, les usagers

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‘‘fonctionnels’’ ne perçoivent pas les contraintes de l’automobile de la même manière et ont davantage de mal à les accepter.

De même, pour les ‘‘Alternatifs’’, les contraintes associées aux différents modes qu’ils utilisent sont compensées par leurs avantages ou le plaisir qu’ils procurent. Les modes individuels (marche, deux-roues, voiture) sont préférés pour la liberté et la flexibilité, la voiture étant simplement un mode de transport parmi d’autres. Comme les ‘‘Automobilistes’’, les ‘‘Alternatifs’’ acceptent ou dépassent les inconvénients de leur mode, mais la voiture étant davantage perçue comme un moyen de se déplacer, ses contraintes sont donc plus difficilement acceptables et les transports en commun peuvent apparaître comme une solution plus performante et économe.

Enfin, les ‘‘Multimodaux’’ cherchent avant tout à éviter les contraintes et à optimiser leur temps. Ils s’adaptent donc en choisissant le mode idéal en fonction de leur programme d’activité, de la distance à parcourir, ou encore de la rapidité du trajet. Le temps apparaît alors comme un déterminant essentiel des choix modaux, le temps passé dans les transports pouvant être ressenti comme perdu ou gagné (Fichelet, 1978 ; Flamm, 2004 ; Kaufmann, 2002 ; Montulet, 2005) selon qu’il est ou non utilisé pour d’autres activités. Ainsi, la conjecture de Zahavi (1980)4 montre que le temps journalier consacré aux déplacements, c'est-à-dire

le budget-temps de transport, est apparemment resté relativement constant, en partie grâce à l’avènement de l’automobile, et à l’augmentation des vitesses en général. Ce constat est cependant aujourd’hui remis en question, notamment par Crozet et Joly (2003, 2006) qui montrent qu’en moyenne, le nombre de déplacements par personne et par jour augmente et le budget-temps qui leur est alloué aussi : aujourd’hui on chercherait donc davantage à gagner du temps. En outre, cette recherche du déplacement optimal nécessite des connaissances et compétences de mobilité. On parle alors de « motilité » (Kaufmann, 2001, 2006), ou encore de « capital mobilité » (Rocci, 2007). Ces compétences de mobilité sont plus ou moins nécessaires selon la localisation géographique. En effet, l’offre de transport n’est pas la même selon que l’on réside en ville ou en milieu rural, ce qui conditionne nécessairement les choix modaux.

4 La conjecture de Zahavi définit une relative constante du budget-temps consacré aux déplacements quotidiens. Plus la vitesse est importante, plus l’espace territorial est élargi, mais la durée des déplacements de la journée reste constante.

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