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Les déterminants de l’équipement automobile

Première partie : Vers un nouveau rapport à l’automobile plus économique et écologique ?

Chapitre 1 La prépondérance automobile remise en question

2. La généralisation de la motorisation des ménages : l’équipement automobile et ses déterminants

2.3. Les déterminants de l’équipement automobile

Les raisons de la diffusion de la voiture sont multiples. Du côté de l’offre, c’est le développement des réseaux de vente (neuf et occasion) qui l’a favorisée. Du côté de la demande, l’augmentation continue du niveau de vie pour toutes les générations après 1945 l’a également soutenue. Par ailleurs, des changements de mode de vie plus profonds sont à l’origine de ce phénomène : périurbanisation, habitat dans des zones peu ou pas du tout desservies par les transports en commun, ou encore travail des femmes. Afin de comprendre le processus d’équipement automobile, il convient également de revenir sur la théorie de la diffusion de l’innovation.

2.3.1. La diffusion de l’innovation : définition et modèles

« La diffusion est le processus par lequel l’innovation se propage » (Tromenschlager-

Philippe, 2002, page 48). Elle est souvent caractérisée par un phénomène de leader-suiveur. Autrement dit, les premiers adoptants testent la technologie et une fois la connaissance améliorée, les suiveurs l’adoptent à leur tour, imitant les leaders. Le but des modèles de diffusion est donc de prévoir le nombre d’acquéreurs de la nouvelle technologie sur une période de temps donnée.

Rogers (1962) distingue cinq types d’adoptants en fonction des délais d’adoption : les innovateurs, les adoptants précoces, la majorité précoce, la majorité tardive et les retardataires.

Il est possible de faire un lien entre le cycle de vie des produits et les catégories d’adoptants. En effet, en phase d’introduction, seuls les innovateurs et les adoptants précoces vont acquérir la nouvelle technologie, puis la majorité l’adoptera en période de croissance alors que les retardataires arriveront en phase de déclin. La courbe de vie des produits est également à l’origine du modèle logistique de diffusion de l’innovation ou courbe en S comme représentée sur la figure 6.

Par ailleurs, la diffusion d’une innovation dépend de la décision des ménages de l’acquérir ou non. Le modèle de probabilité Probit est particulièrement adapté à la représentation de ce phénomène et il intègre également la forme en S. D’après Stoneman (2002), le modèle Probit est basé sur la comparaison par les adoptants potentiels du bénéfice retiré de l’utilisation de la technologie à son coût d’acquisition.

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Figure 6 – Courbe en S de diffusion d’une innovation

Source : http://strategies4innovation.wordpress.com/2009/02/15/la-diffusion-dune-innovation/

2.3.2. L’approche socio-démographique

De manière générale, l’équipement automobile suit également le cycle de vie. On parle alors d’effet d’âge, c'est-à-dire d’un lien de causalité entre l’âge moyen de la population étudiée et l’équipement automobile toutes choses égales par ailleurs. Autrement dit, le seul fait d’avoir un certain âge détermine au moins en partie le fait de posséder une voiture ou non (Bodier, 1999). Ainsi, dans sa thèse, Rocci (2007) met en évidence, à travers les déclarations des personnes interrogées, que l’automobile a une place dans l’évolution logique des modes : c’est dans l’ordre des choses de disposer d’une voiture une fois le permis de conduire obtenu, lorsque le pouvoir d’achat augmente et que la logique de confort prend le dessus. En outre, Kaufmann et Flamm (2002) montrent que l’automobile s’inscrit dans le cycle de vie comme l’objet d’un rite de passage : passage à une liberté, entrée dans la vie étudiante ou active, passage au monde des adultes ou encore à un certain statut (union/séparation, arrivée d’un enfant, évolution professionnelle). Plus encore, la mobilité renvoie à des processus d’autonomisation et de construction identitaire (Desjeux, 2006 ; Desjeux et al., 2006 ; Buffet, 2006 ; Ramos, 2006).

Par ailleurs, la voiture est fortement associée à un mode de vie renvoyant à un statut à tenir par rapport à ses pairs ou un groupe de référence (Rocci, 2007 ; François et Desjeux, 2000). Ainsi, Coulangeon et Petev (2012) ont récemment mis en évidence des différences entre groupes sociaux s’exprimant notamment à travers la multimotorisation, le mode d’accès à la voiture (neuf/occasion) ou encore la marque de la voiture (les marques étrangères, allemandes notamment, étant un marqueur de l’appartenance aux classes supérieures). En outre, les choix modaux et pratiques de déplacement des parents ne semblent pas déterminer les choix de l’individu. Les déclarations des enquêtés (Rocci, 2007) montrent que l’entourage social semble avoir plus d’effets sur les choix modaux que la famille. Autrement

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dit, l’acquisition automobile et les choix modaux semblent donc être davantage déterminés par les pairs que les pères. En effet, l’équipement et l’usage automobile évoluent dans le temps, de génération en génération. On parle alors d’effet de génération, c'est-à-dire d’un lien de causalité entre la génération de la population étudiée et la variable considérée toutes choses égales par ailleurs. Autrement dit, le seul fait d’appartenir à une certaine génération détermine au moins en partie la valeur de la variable constatée. On étudie alors des cohortes de ménages définies par des critères qui ne changent jamais au cours de leur cycle de vie (date de naissance par exemple).

Ainsi, avoir une voiture est un choix qui s’effectue tôt et qui ne change guère sauf avec la vieillesse et les moindres aptitudes physiques. Chaque génération est mieux équipée que la précédente et garde ses habitudes en vieillissant. En France, le taux d’équipement automobile au fil des générations a évolué de la façon suivante (figure 7) :

Figure 7 – Taux d’équipement en voitures par âge et par génération (en %)

Source : Bodier (1996)

Au même âge, 50-54 ans par exemple, le taux d’équipement de la génération née entre 1935 et 1939 était supérieur de 10 points à celui de la génération née entre 1925 et 1929.

En outre, comme pour le choix modal, le niveau d’équipement automobile dépend de la localisation géographique du ménage. Ainsi, les contraintes liées à l’offre de transport en commun ou encore leur absence incitent à l’acquisition automobile. Il convient alors de se demander si la possession intensifie l’usage. Nous verrons ultérieurement que la détention n’implique pas nécessairement un usage exclusif. Ainsi, les ‘‘Multimodaux’’ (Rocci, 2007) ont un usage réfléchi et adapté de leur voiture, presque rationnel, optimal.

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2.3.3. L’approche économique

Le revenu est le principal déterminant économique de l’équipement automobile. Ainsi, la démocratisation automobile en France va de pair avec la croissance connue durant la période des Trente Glorieuses. Plus précisément, les études menées sur le lien entre la progression du parc automobile et le revenu par tête (Dargay et Gately, 1999) mettent en évidence une corrélation positive entre la motorisation et le revenu du ménage. Ainsi, l’élasticité au revenu va de deux pour les niveaux de revenus les plus bas à zéro lorsque le niveau de saturation est atteint pour les niveaux de revenus les plus hauts. De même, Goodwin et al. (1995) montrent que l’équipement automobile augmente plus vite que le revenu jusqu’aux années 70. Mais dans les 25 dernières années, le développement de l’équipement automobile a suivi celui du revenu (l’élasticité-revenu est plus proche de 1).

Par conséquent, on retient que l’équipement augmente avec le niveau de revenu et l’élasticité-revenu de l’équipement diminue à mesure que le revenu augmente et lorsqu’on s’approche de la saturation. Ainsi, le modèle à seuil de revenu (Madre et Gallez, 1993) permet d’analyser le taux d’équipement en fonction de la répartition d’une loi logistique ou normale en supposant que chaque ménage décide de s’équiper pour un seuil ‘’psychologique’’ de revenu Rs. La probabilité que le ménage s’équipe s’écrit alors :

Prob [Yi = 1] = Prob [R ≤ Rs]

où Yi est le niveau d’équipement du ménage et R le revenu du ménage.

Par ailleurs, si l’on sait que l’équipement augmente avec le revenu, on ne connaît pas les effets d’une diminution de celui-ci. Grâce à un modèle dynamique liant l’équipement automobile au revenu, au nombre d’adultes et d’enfants dans le ménage, au prix des voitures et à l’équipement retardé, Dargay (2001) utilise des techniques de décomposition du revenu pour estimer séparément les élasticités en cas de hausse ou de baisse du revenu. Le but étant d’étudier l’asymétrie (réponse différente face à une hausse ou une baisse de revenu). Les résultats montrent que l’équipement automobile réagit davantage à une hausse qu’une baisse du revenu. De plus, les élasticités ne sont pas constantes mais diminuent avec l’augmentation de l’équipement automobile et du revenu. La question de l’asymétrie a également été traitée par Goodwin (1998) et Pendyala et al. (1995). Ils montrent que l’élasticité liée à une baisse de revenu est sensiblement inférieure à celle liée à une hausse de revenu. Par ailleurs, les individus ne réagissent pas immédiatement à une évolution du revenu et les ajustements se font lentement (effet d’hystérèse). Ce phénomène est dû à des habitudes, des résistances au changement, une dépendance à la voiture. Les études basées

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sur des modèles dynamiques montrent une élasticité-revenu de long-terme deux à trois fois supérieure à celle de court terme.

3. La remise en cause de la voiture particulière et les facteurs de