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L’approche générationnelle

motorisation des ménages français en 2020 ?

Chapitre 6 – Mobilité et équipement automobile, une analyse générationnelle rétrospective

1. Revue de littérature

1.2. L’approche générationnelle

Dans le premier chapitre, nous avons vu que la mobilité et la décision de motorisation d’un ménage sont déterminées par un ensemble de variables sociodémographiques et économiques, le revenu en particulier. Or ces deux types de variables sont intimement liés. Ainsi, au cours du cycle de vie, l’effet revenu n’est pas uniforme : chez les jeunes les ressources sont prioritairement affectées à l’équipement, notamment automobile ; à l’âge mûr l’équipement plafonne ; enfin l’accroissement des ressources des personnes âgées n’est pas consacré à l’automobile. En outre, l’analyse longitudinale menée à partir de données d’enquêtes sur l’équipement des ménages (Madre, Gallez, 1993) met en évidence les phases de diffusion de la voiture particulière en France, des phases très marquées par l’évolution de la situation économique française et du niveau de vie de la population :

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- jusqu’au milieu des années 60 les générations consécutives ont accru leur équipement,

- du milieu des années 60 au milieu des années 80, les trajectoires des différentes générations sont pratiquement parallèles : on parle alors de phase de croisière, - puis l’écart entre les trajectoires des deux dernières générations se réduit : il s’agit

de la phase de saturation.

Les habitudes de mobilité ou encore la diffusion de la voiture parmi la population peuvent donc être définies par la combinaison de deux mouvements :

- l’évolution de la pyramide des âges,

- la modification des comportements due à des effets de cohorte ou de période. Ainsi, l’analyse générationnelle permet, en croisant l’âge (ou cycle de vie) et la période, de prendre en compte la dynamique historique et donc d’éviter les pièges d’une analyse transversale.

En effet, selon le sociologue Bernard Préel dans son ouvrage Le choc des générations (2000), « Quand on veut interpréter une pratique, on doit se demander si elle est imputable

à l’époque (tout le monde l’adopte à peu près en même temps), à l’âge ou, mieux, au cycle de vie (elle est spécifique d’une classe d’âge), ou bien à la génération (elle est le fait d’une promotion qui en est le fer de lance » (page 15). Ainsi, il distingue les effets d’époque, d’âge

et de génération. Selon Préel, (2000), « l’époque marque les générations », autrement dit, l’époque à laquelle nous vivons et ses faits marquants définissent notre génération. Ainsi,

« l’époque transforme le cycle de vie » et par conséquent « chaque génération a son propre calendrier » et chaque génération est tiraillée entre « deux fidélités : la fidélité à ses pères et la fidélité à ses pairs » (page 7). Ainsi, toujours selon les termes de Préel, « chacun vit une double histoire » : celle de son âge et celle de son époque.

Tout d’abord, la vie suit un cycle au cours duquel Préel distingue trois âges : « celui de

l’initiative, où l’on apprend ; celui de la maturité, où l’on éprouve ; celui de la vieillesse, où l’on transmet. Trois temps nouveaux : le premier où l’on fait le deuil de l’enfance en découvrant le monde des ‘‘premières fois’’ ; le deuxième où l’on fait le deuil de la jeunesse en sachant que ‘‘ça ne sera plus jamais la première fois’’ ; le dernier où l’on fait le deuil de la liberté en se demandant : ‘‘Et si c’était la dernière fois ?’’ » (page 41).

Il est également possible de définir le cycle de vie comme une succession d’étapes de 15 ans allant de l’enfance à la vieillesse (deux âges de dépendance) et marquées par des périodes de liberté (la jeunesse et la retraite active) et de production (les phases de nidification et de maturité). (Figure 67)

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Figure 67 – Les différentes étapes du cycle de vie

Source : BIPE

En outre, l’époque à laquelle vit chaque individu est le marqueur de sa génération. Autrement dit, selon Préel « Les membres d’une génération ont en commun de partager un destin inscrit

à la confluence de deux histoire : celle de l’époque, introduisant des évènements extérieurs qui les toucheront et les marqueront plus ou moins profondément, et celle du cycle de vie, enchaînant inexorablement les âges les uns après les autres » (page 19).

En résumé, l’analyse générationnelle permet de comprendre les comportements à travers les différents effets d’âge et d’époque figure 68). Ainsi, « chaque génération suit son chemin

à la charnière des deux axes du cycle de l’époque et du cycle de vie. Chacun se déplace sur sa ‘‘diagonale du fou’’, ponctuée par des âges qui eux aussi glissent et dérivent » (page 49).

Figure 68 – Représentation de l’effet de génération

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A partir de cette démarche méthodologique, Préel a défini les différentes générations du siècle précédent en regroupant les individus nés par périodes de dix ans: « Comment

découper les phases de l’époque et de la vie pour délimiter les générations ? Dans un premier temps, on a été tenté de retenir une périodisation de quinze en quinze ans. Le cycle de vie avec les six âges proposés se laisse aisément articuler : 15 ans, 30 ans, 45 ans, 60 ans, 75 ans…avec enfance, jeunesse, nidification, maturité, retraite, vieillesse. Et l’économie, qui progressivement impose sa loi, se laisse presque docilement découper en périodes de trente ans : « positives » (1885-1914, 1945-1975) et « négatives » (1914- 1945,1975-2000), chaque période englobant trois générations. On peut même aller au-delà et procéder à un découpage en sous-période de quinze années chacune avec des retournements et des inflexions « historiques » : 1900, 1914, 1929, 1945, 1960, 1975, 1989, 2005( ?). Mais d’autres critères jouent leur rôle : technologiques (fin du XIXème siècle, fin du

XXème siècle), politico-militaire (deux grandes guerres, effondrement de l’Union Soviétique),

culturelle (révolte de la jeunesse, libération sexuelle). Les « marqueurs » des générations proposent donc d’autres découpages. Aussi a-t-on finalement opté par pragmatisme pour un découpage décennal » (page 59-60).

Ainsi, sept générations ont été définies :

- Krach née entre 1916 et 1925 et marquée à 20 ans par la crise des années 30 et la montée des extrémismes dans les pays voisins (Allemagne avec Hitler, Italie avec Mussolini et Espagne avec Franco), puis la croissance et la modernisation du pays tout en maintenant ses valeurs traditionnelles,

- Libération née entre 1925 et 1935, marquée à 20 ans par la fin de la Seconde Guerre mondiale, puis par la croissance et la consommation de masse,

- Algérie née entre 1935 et 1944, marquée à 20 ans par la guerre d’Algérie, puis la croissance, le plein emploi, le développement du confort matériel et le début de la révolution culturelle,

- Mai 68 née entre 1945 et 1954, initiatrice de la révolution des mœurs et qualifiée par Préel de génération « d’enfants gâtés » car se situant dans une situation favorable mais ne retenant « que le décalage entre [ses] projets et [ses réalisations] » (page 87), - Crise née entre 1955 et 1964, marquée à 20 ans par les chocs pétroliers des années 70, la fin de la croissance économique et la menace du chômage et de la précarisation de l’emploi,

- Gorby née entre 1965 et 1974, marquée à 20 ans par la fin de la Guerre froide et de la bipolarisation du monde, puis par les difficultés d’accès à l’emploi et qui, selon Préel

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- Internet née entre 1975 et 1984 marquée à 20 ans par l’ère des nouvelles technologies de l’information et de la communication.

L’approche générationnelle propose une représentation des évènements en croisant les effets d’âge et de génération. Selon l’outil d’aide au marketing générationnel MAGE du BIPE, ces effets croisés définissent neuf cas types décrits dans la figure 69.

Figure 69 – Cas types d’effet d’âge et de génération

Source : BIPE

Toujours dans son ouvrage Le choc des générations (2000), Préel propose une analyse des comportements de consommation des jeunes générations. Concernant l’accession à la propriété du logement, il met en évidence une rupture à partir de la génération ‘‘Crise’’ :

« jusqu’à la génération Mai 68, l’ascenseur social a bien fonctionné : toute génération est remplacée, au même âge, par une génération ayant un taux de propriétaire de 3% à 5% supérieur à la précédente. Si l’on préfère, on accède à la propriété de plus en plus tôt. En revanche, à partir de la génération Crise, la tendance s’inverse : le taux stagne puis se met à régresser. Le décalage des calendriers d’entrée dans la vie adulte aussi bien que la conjoncture immobilière peuvent expliquer cette rupture. […] ». Il réalise un constat

comparable pour l’accès au permis de conduire : « c’est la génération Libération qui franchit

la plus haute marche, surplombant de vingt points le taux de détention du permis de la génération Krach. On n’ira pas beaucoup plus haut que la génération Mai 68, qui possède le permis à près de 90%. » (page 195).

En outre, il entrevoit déjà les changements de modes de consommation et notamment le mouvement vers une remise en cause de la possession, notamment automobile : « Il faudra

tout bonnement s’entraîner à la maîtrise de soi et pratiquer la dépossession. Il ne s’agira plus seulement de ne pas se laisser avoir, mais bien de se déprendre du goût de l’avoir. Plus

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seulement d’être le producteur de sa consommation, mais bien de se détacher du vieux réflexe paysan de la propriété, de cette envie de se sécuriser en s’entourant de mille objets ‘‘au cas où’’, de mille objets à soi. L’élégance, le style et pour tout dire le luxe reviendront peut-être demain à ceux qui auront la sagesse de se détacher d’une appropriation, coûteuse financièrement et contraignante pour les nomades que nous sommes devenus. […] trois Français sur quatre gagneraient au change s’ils vendaient leur voiture et n’utilisaient que des taxis et voitures de louage. N’acheter que le prix de l’usage, le ‘‘service’’ rendu par un bien peut apparaître bien préférable à l’équipement systématique qui débouche vite sur l’engorgement. Là, plus de problèmes de maintenance, de renouvellement. On est à la fois débarrassé des charges d’entretien et assuré d’être toujours à la pointe du progrès. » (pages

204-205).

L’approche générationnelle va maintenant être adoptée afin d’analyser l’évolution passée de la mobilité et de l’équipement automobile des ménages français selon les différentes zones d’habitation de ces derniers, première étape de l’élaboration d’une analyse prospective de leur motorisation.