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7 Analyse

7.3 Sara

Sara est une jeune fille de douze ans qui était en cinquième année lors de notre intervention. Elle est née à Mani-Utenam et elle y est toujours restée. Sara a également des membres de sa famille maternelle qui habitent une autre communauté qu’elle visite régulièrement. Elle est très proche de ses grands-parents paternels et elle vit avec son père, son demi-frère et sa belle-mère. À la maison, c’est la langue innue qui est la plus parlée. Sara ne voit que peu souvent sa mère qui vit à Uashat.

7.3.1 La perception de soi en tant qu’apprenant

7.3.1.1 Avant l’intervention

Sara est une jeune fille qui démontre une certaine motivation à apprendre des choses dictées par ses intérêts personnels, et ce, autant à l’école qu’à l’extérieur de l’école. Son degré d’implication comme apprenante dépend largement du contexte, de l’utilité du savoir et de la personne en charge de lui transmettre les savoirs : « Dans les cours d’innu et d’éducation physique je suis calme par exemple, je veux apprendre là. En anglais aussi, parce que c’est mes cours préférés. Moi je veux bien apprendre à parler en anglais parce que j’ai une famille à Kawawa (Naskapi) qui parle en anglais » (S1). Toutefois, la perception qu’elle a d’elle-même en tant que membre actif dans la classe reste, la plupart du temps, assez négative : « je suis full méchante en classe » (S1), « je réplique tout le temps pis j’agace tout le monde » (S1), « je niaise trop » (S1). Elle devient une apprenante largement motivée lorsque la personne qui donne l’enseignement est importante pour elle ou lorsqu’elle sent que les savoirs vont dans le sens de ses objectifs personnels. L’opinion qu’elle a d’elle-

même peut également jouer un rôle déterminant dans son degré d’implication à l’égard d’une matière scolaire.

7.3.1.2 Après l’intervention

Au terme de l’intervention, Sara mentionne qu’elle s’est sentie, pour une fois, comme une apprenante compétente dans le cours de français : « Je pense que c’est ça que ça me prend moi, des cours d’innu-français. Comme ça, pour une fois, j’ai l’impression de tout comprendre […]. J’avais pas besoin de toujours lever ma main pour poser des questions. Pis pour apprendre dans les cercles, on avait juste besoin de parler pis je suis bonne là- dedans, haha ! » (S2). Si le contexte d’apprentissage est primordial pour elle, les CII lui ont permis de se « sentir comme dans la loge de [son] grand-père » (S2) en plus de lui faire rendre compte qu’elle « aime ça apprendre de même » (S2). Tout au long des CII, la perception que Sara a d’elle-même comme apprenante s’est avérée positive : « je me trouvais moins tannante que dans les cours de français habituels, parce que j’avais le droit de parler dans les cercles » (S2). Ce sentiment positif vient aisément expliquer son haut degré d’implication dans les CII.

7.3.1.3 Évolution

Si Sara se perçoit avant l’intervention comme « full méchante en classe » (S1) ou comme étant une élève qui « réplique tout le temps » (S1), qui « agace tout le monde » et qui « niaise trop » (S1), sa vision d’elle-même comme apprenante au sein de la classe s’est vue très différente au terme de l’intervention puisqu’elle se « trouvait moins tannante que dans les cours de français habituels » (S2) et que ses compétences comme locutrice étaient largement sollicitées lors des CII. La perception qu’elle a d’elle-même s’est largement améliorée vu le contexte d’apprentissage proposé et cela a eu un impact important sur son degré implication dans le cours de français. Elle s’est d’ailleurs montrée autant impliquée dans le cours de français, un domaine qui normalement ne la passionne pas du tout, que si elle était dans la loge de son grand-père. Il s’agit là d’un gain important au niveau de sa perception d’elle-même en tant qu’apprenante.

7.3.2 Le rapport à l’enseignant et le degré de contrôle de l’enseignant

7.3.2.1 Avant l’intervention

Pour que Sara se sente heureuse et bien dans l’apprentissage, l’enseignement doit être fait par quelqu’un de confiance, quelqu’un qui la comprenne et pour qui elle a une forme de respect et d’admiration. C’est le cas des relations qu’elle a avec son père, son grand-père et le « vieux Buck Martel », un ami de son grand-père :

Mon père c’est mon héros parce qu’il me fait à manger, parce qu’il est gentil avec moi, parce qu’il me protège. (S1)

Mon grand-père lui il parle en innu dans la tente à suer par exemple. Tsé, il ne m’apprend pas vraiment, je rentre comme de rien pis là je fais comme tout le monde, je commence à chanter tu sais… Mon grand-père chante, pis après je l’écoute, pis j’essaie, pis je chante. Je le trouve vraiment inspirant. (S1)

Vieux Buck Martel. C’tun aîné qui va à la loge de mon grand-père pis qui me fait des cadeaux. Il passe son temps à me chanter des chansons pour enfants, pis à me raconter des histoires. Pis je pourrais le traiter un peu comme mon grand-père. Il me fait des cadeaux de spiritualité…il m’a offert un petit collier, c’était full beau. Le vieux buck, c’est vraiment mon idole plus plus plus ! (S1)

Or, on ne peut pas en dire autant de sa relation avec son enseignant titulaire : « Mon prof blanc est méchant, mais c’est à cause de moi… Je ne l’aime pas. Il me crie tout le temps après, mais c’est à cause de moi… Je le niaise trop » (S1). Le fait qu’il soit « blanc » et qu’il ne s’exprime qu’en français semble être un élément important qui définit sa relation avec ce dernier.

Sara est également très sensible au fait qu’elle n’apprend pas de la même façon avec son enseignant qu’avec les membres de sa communauté pour qui elle a beaucoup de respect : « Mon grand-père enseigne la spiritualité avec des histoires, des choses comme ça, des objets, dans un lieu le fun […]. Mon prof nous fait travailler pis il enseigne en parlant, parlant parlant. En parlant juste en français » (S1). Dans cette optique, il est difficile pour Sara de vivre un rapport positif à son enseignant. Et sans ce rapport positif, le sentiment de sécurité, de crédibilité et de confiance face à ce qui est enseigné à l’école est difficile à concevoir et à envisager pour elle. En plus de sa vision utilitaire à long terme, c’est l’importance que son père accorde à l’école qui semble la rattacher à celle-ci : « Quand on va en voyage aussi, mon père veut que je travaille dans mes affaires d’école. Quand on va à

Québec pour relaxer ou pour acheter des affaires, si je rate l’école, faut que je travaille dans l’auto. Pour lui, ça me dérange moins de le faire » (S1). Elle est donc prête à faire des efforts à l’école pour plaire à son père plutôt que pour satisfaire les attentes de l’enseignant.

7.3.2.2 Après l’intervention

Lors du deuxième entretien, Sara réalise que l’enseignant peut avoir un rôle bien différent que celui de « parler, parler, parler en avant » (S2) : « tsé, c’est comme si y’avait pu vraiment de prof, ben oui, toi t’étais là, mais c’était comme si le cours de français se donnait par plein de monde pis par nous autres aussi. T’était pas là pour juste donner des cours en avant » (S2). Elle qualifie de « tellement le fun » (S2) le fait que l’enseignant n’occupe pas une place dominante, mais plutôt un rôle de médiateur culturel lors des CII et que les cours de français deviennent un lieu où se construit la communauté d’apprenants. Le fait de laisser la place aux gens de la communauté dans le cours de français représente pour Sara un geste vraiment « cool » et « respectueux pour les Innus » (S2).

7.3.2.3 Évolution

L’idée que l’enseignant ne soit pas le seul « maître » en classe a beaucoup plu à Sara tout au long de l’intervention. Grâce aux CII, elle a pris conscience que le rôle revêtit normalement par son enseignant titulaire peut être différent. C’est-à-dire que l’enseignant peut devenir un guide, un médiateur culturel pour les élèves dans leur appropriation de nouvelles connaissances. L’enseignant peut avoir d’autres rôles que de faire la discipline ou de donner les notions de manière magistrale. Grâce aux CII, elle a été à même de découvrir qu’il ne suffit pas nécessairement d’un lien fort et filial pour que l’enseignement donné vienne la rejoindre dans ses intérêts et ses idéaux. En voyant s’amenuiser le « contrôle » de l’enseignant sur l’enseignement du français et en voyant une forme de pouvoir concédé aux élèves et aux gens de la communauté, Sara semble avoir développé une ouverture nouvelle face à ce corps de métier en plus d’une certaine forme de respect auparavant impossible à déceler dans son discours. En retrouvant dans les CII certaines caractéristiques communes de l’enseignement fait par des gens qu’elle admire, notamment la manipulation d’objets, le recours aux histoires et aux traditions innues ou l’utilisation de la langue innue, son rapport à l’enseignante-chercheure « blanche » et « nouvelle » s’est révélé non menaçant à ses yeux et a permis à une base de confiance de se développer et à un rapport constructif d’émerger.

7.3.3 Le rapport à l’école et aux matières scolaires

7.3.3.1 Avant l’intervention

À l’école, Sara s’implique et se dit calme et à l’écoute quand elle considère la matière importante, intéressante ou agréable. C’est le cas pour le cours d’innu et le cours d’anglais. Ces matières sont importantes pour elle puisqu’elle y voit autant une utilité à court qu’à moyen et long terme : grâce à ces cours, elle peut et pourra davantage communiquer avec sa famille innue de Mani-Utenam et en anglais avec la famille élargie naskapie de sa mère.

Autrement, bien qu’elle participe en mathématiques, en français et dans les autres matières, elle le fait avec peu d’entrain et d’envie : « je m’en fous un peu. Mais je n’ai pas le choix d’y aller. Moi si je pouvais, je n’irais pas. Mes parents veulent que j’y aille même quand je suis malade » (S1). Sa vision de l’apprentissage en milieu scolaire est donc surtout utilitaire et à long terme puisqu’elle n’y retire pas un plaisir immédiat et ne dispose pas d’une motivation concrète et intrinsèque actuellement. Elle y voit très peu de répercussions tangibles dans sa vie de jeune adolescente :

Moi je veux être esthéticienne plus tard, faire des maquillages. J’ai besoin d’aller à l’école pour ça, oui…non…je ne sais pas. Je pense que oui. Et pour faire de l’argent aussi (rire). Je vais plus comprendre, je vais être bonne, je vais savoir plus de choses si je reste à l’école. J’avoue que des fois ça sert un peu à rien. Les maths, ça sert à rien. Surtout pour être une esthéticienne. Ben ils servent à quelque chose, pour compter quand tu vas être grand…Toute sert à quelque chose, mais je n’aime pas ça. Comme le français, ça sert à quelque chose, comme lire des textes ou des lettres. On va avoir à répondre à des lettres quand on va être grands. (S1)

Elle se rattache à l’idée que l’école pourra lui permettre d’exercer le métier qu’elle souhaite faire plus tard en plus de faire de l’argent et de gérer les responsabilités que nous avons une fois adultes. Bien qu’elle soit consciente de l’importance que l’école revêt pour la société – et pour son père plus particulièrement –, pour elle, en ce moment, l’école n’est qu’un passage obligé. Son rôle d’apprenante investie, elle le garde pour sa passion pour la spiritualité innue lorsque les classes sont terminées :

C’est ce qu’on apprend à l’intérieur de l’école qui est le plus important parce que ça va nous amener loin, ben quelque part pour travailler et avoir des enfants. C’est difficile pour moi de dire que la spiritualité c’est pas important, mais à l’école [ce n’est] plus important, c’est ça que tout le monde dit en tout cas. La spiritualité c’est pour nous dire

comme on va se conduire quand on va être grand, mais ce n’est pas ça qui va nous rapporter de l’argent mettons. (S1)

7.3.3.2 Après l’intervention

Lors du deuxième entretien, Sara a exprimé la volonté que dans son « école de rêve », on puisse enseigner de la même façon que lors des CII : « en tout cas, si on pouvait, je ferais juste ça des cercles. Quand tu me parlais de mon école de rêve l’autre jour, ben on pourrait en mettre des cercles de même ? » (S2). Ainsi, grâce à l’intervention, elle dit avoir « aimé ça faire du français pis apprendre des affaires en français » (S2), même si le français n’est pas une matière qu’elle apprécie habituellement. Elle a été à même également de voir le français sous un nouvel angle : « Tout le monde dit que c’est important le français. Mais c’est le fun de faire des choses importantes en ayant du plaisir. Pis là c’est vrai qu’en plus j’ai vu que ça pouvait être important le français » (S2). Si elle considère que le français, tel que proposé dans l’intervention, pouvait être important, c’est notamment parce que nous avons fait appel à des centres d’intérêt qui lui sont chers tels que sa culture innue et l’expression orale. Voici deux énoncés évocateurs à ce propos :

Mais ce que j’ai le plus aimé c’était parler de nos rêves, pour moi, fallait que ça sorte (rire). On peut jamais faire sortir ce qu’on a en dedans à l’école d’habitude, et ça c’était vraiment hot, pis dans un cours de français en plus. Tu sais à l’école, on n’a pas vraiment le temps pour parler non plus. Moi quand je parle dans la classe, je me fais chicaner. Je me fais dire que je niaise. L’école, c’est sérieux tsé. Là je pouvais parler pis j’avais le droit (rire), j’avais même le droit de rire pis d’avoir du fun ; (S2)

Le cercle sur le poème c’était mon préféré parce que ça parlait de rêves. Moi je trouve ça important d’avoir des rêves. Ça me rend heureuse tsé. J’ai aimé ça aussi le poème que tu nous as lu, c’était beau. C’était beau en français, pis c’était beau en innu. On voyait que l’innu pis le français pouvaient aller ensemble. Ça devrait être tout le temps ça, des cours d’innu-français (rire). Que ce n’est pas séparé tout le temps. C’est ben plus le fun pis je vois plus à quoi ça sert. Pis tu sais, ça nous faisait réfléchir…c’est important de réfléchir sur ce qu’on aime pis sur ce qu’on est moi je trouve. (S2)

Dans le premier des deux extraits, on remarque que l’école est normalement un lieu « sérieux » pour Sara et où elle ne sent pas que le plaisir et le rire sont les bienvenus. Dans le deuxième extrait, on perçoit toute la richesse et l’importance de faire appel à l’interdisciplinarité pour une élève telle que Sara pour amenuiser ce sentiment défavorable vis-à-vis de l’école. En ralliant une matière scolaire plus ou moins appréciée à une autre

considérée comme incontournable, ici le français et l’innu, le français a gagné en crédibilité aux yeux de l’élève et a révélé un intérêt nouveau.

7.3.3.3 Évolution

Si le rapport à l’école de Sara n’a pas subi d’évolution majeure à première vue, dans le sens où ses conceptions initiales négatives de l’école sont toujours bien ancrées et présentes lors du second entretien : « l’école, c’est sérieux » (S2), « on peut jamais faire sortir ce qu’on a en dedans à l’école » (S2), « à l’école on n’a pas vraiment le temps pour parler » (S2), il n’en demeure pas moins que l’intervention a ouvert grandement la porte sur des possibilités que Sara ne croyait pas envisageables dans le milieu scolaire. Et qu’en ce sens, nous avons été en mesure de cibler des éléments pouvant influencer positivement son rapport à l’école. Parmi ces éléments, notons l’importance de considérer les intérêts de Sara dans l’apprentissage des matières qu’elle trouve peut-être moins « utiles » à court terme tout en misant sur le plaisir d’apprendre et sur l’interdisciplinarité. Si elle se montrait impliquée et calme seulement dans certaines matières scolaires qu’elle jugeait pertinentes et utiles à court terme, le français n’en faisant pas partie avant l’intervention. Or, en lui proposant un espace d’apprentissage où elle peut être active et où son imaginaire et ses idéaux sont les bienvenus, elle est parvenue à voir le français comme une matière importante pour elle et non seulement pour la société et les gens qui l’entourent. Elle a été à même de vivre des périodes de français agréables qui lui ont fait voir le plaisir d’apprendre et d’être ancrée dans le moment présent à l’école. Si l’anglais et l’innu-aïmun étaient les matières les plus importantes à l’école pour Sara, c’était dans l’optique qu’elle puisse communiquer avec sa famille innue et sa famille naskapie. Le français, suite à l’intervention, est devenu plus important pour Sara puisqu’il permettait de « faire sortir ce qu’on a en dedans » en plus de valoriser l’appropriation de sa culture innue. Ce sont des éléments qu’elle associait auparavant exclusivement aux apprentissages qu’elle faisait à l’extérieur des murs de l’école. Les CII sont ainsi venus nuancer son idée que l’école est là uniquement « pour faire de l’argent » ou gérer les responsabilités une fois adulte.

7.3.4 Le rapport au savoir

7.3.4.1 Avant l’intervention

À l’extérieur des murs de l’école, c’est le temps qu’elle passe avec son grand-père et d’autres aînés qui la fait le plus se sentir comme une apprenante motivée à part entière et où les savoirs « utiles » se développent le plus chez Sara : « Mon grand-père enseigne la spiritualité avec des histoires, des choses comme ça, des objets, dans un lieu le fun comme le matutishan – tente à suer – , c’est là que j’apprends le plus pis le mieux » (S1). Les lieux et les thèmes choisis par les membres de sa communauté pour lui enseigner des choses ont un large impact sur son degré d’implication et d’engouement pour un apprentissage. Et c’est dans ces lieux et ces moments que son rapport au savoir s’avère positif. Bien que peu agréables à s’approprier à l’école, Sara est consciente que les savoirs scolaires seront utiles éventuellement : « toute sert à quelque chose, mais je n’aime pas ça » (S1). Cependant, ils seront utiles dans le sens de « rapporter de l’argent » et non dans le sens de « préserver sa culture », de « grandir au niveau spirituel » (S1), de construire son identité ni de « devenir une meilleure personne » (S1).

7.3.4.2 Après l’intervention

Suite à l’intervention, Sara fait part de ce qu’elle comprend qui est important d’apprendre selon une échelle de priorités. Cette importance qu’elle attribue aux différents savoirs est manifestement influencée par ce qu’elle perçoit de la société ou des autorités scolaires. Elle place en tête de liste tous les savoirs formels, didactiques, exigés par le Programme de formation et qu’elle perçoit comme les savoirs qui lui seront utiles à long terme, dans sa vie d’adulte. Les savoirs qui pourtant l’ennuient et qui ne font pas de sens dans sa vie actuelle :

Ben je pense que le plus important à l’école c’est d’apprendre l’orthographe, pis la grammaire pour plus tard, tu sais. Quand on va être grand, va falloir écrire des lettres