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8 Discussion

8.2 Caractéristiques de l’intervention

Il est important pour nous de tenter de comprendre comment l’intervention semble avoir contribué à l’évolution de l’identité d’apprenant des élèves. Pour cela, nous reprenons ici les caractéristiques des CII soulevées par les élèves et leurs effets sur des éléments de leur identité d’apprenant.

D’abord, nous sommes d’avis, à l’instar de Goleman (2002), que l’éducation a grand intérêt à se faire de manière holistique de façon à traiter en même temps l’esprit et le cœur dans la salle de classe. Et c’est d’autant plus vrai et significatif dans un contexte autochtone. En ce sens, outre les contenus linguistiques, l’intervention pédagogique proposait des contenus socioculturels en liens avec les valeurs des élèves. Grâce à cela, les élèves ont pris conscience de la possibilité de parler de soi, de leurs souvenirs, de leur culture, et ce, même s’ils étaient dans un contexte formel d’apprentissage à l’école. En plus de nous permettre d’atteindre nos intentions pédagogiques, cela semble avoir eu un effet sur le rapport au savoir et à l’école des élèves. En effet, les sujets à l’étude ont été capables d’envisager progressivement que l’école n’est pas uniquement un passage obligatoire pour obtenir un métier plus tard, mais également un lieu pour se développer ici et maintenant en tant qu’humain, pour discuter de ce que nous sommes et de ce qui nous importe dans l’optique de renforcer la mémoire collective. Cette fonction de mémoire collective a également largement contribué à faire émerger la fonction d’apprentissage dans la conception qu’ont les élèves de l’enseignement.

Ensuite, en faisant entrer « les cultures auxquelles se rattachent ces enfants dans nos objectifs » (Zirotti, 2006, p. 79), nous avons été en mesure d’offrir, lors de l’intervention, une forme d’initiation à la pluralité des civilisations du monde (qui touchent directement les élèves) en assurant un enrichissement à la culture française qui demeurait l’élément de référence commun à tous et prioritaire dans le cadre du cours de français. Les enfants se sont montrés grandement enthousiastes à découvrir divers fragments culturels de leur culture innue et se sont ainsi laisser guider vers des apprentissages en français qui avaient du sens pour eux à plus court terme : créer un conte collectif pour parler de soi, apprendre des mots nouveaux, se raconter pour développer leurs compétences langagières et d’expression, etc. Grâce à l’approche préconisée, l’école et les matières scolaires sont

devenues pour les quatre sujets un moyen d’apprendre et d’acquérir des outils utiles dès maintenant.

Puis, la réussite scolaire ne résulte pas seulement de l’attitude des élèves à l’égard de l’école et des matières scolaires, puisque tout ce qui entoure l’apprentissage doit être pris en compte. C’est le cas notamment des méthodes d’enseignement préconisées (Arnold, 2006). Il importe dès lors de nous familiariser avec leurs préférences d’apprentissage, leurs préférences dans les formes de traiter ce qu’ils sont en train d’apprendre. Reid (1999) a montré qu’il y a des différences très importantes dans les manières dont les élèves apprennent et il souligne les bienfaits pour les élèves de prendre en compte leurs préférences d’apprentissage : « un plus grand intérêt et une motivation plus importante concernant les processus d’apprentissage, une augmentation de la responsabilité de l’apprenant dans son apprentissage et une conscience plus aigüe de la communauté constituée par le groupe-classe. Ce sont des changements affectifs, lesquels produisent un apprentissage d’une plus grande efficacité » (Reid, 1999, p. 318). Quand l’enseignant reconnait ces différences, reconnaît l’individualité de ses élèves, cela peut avoir des effets positifs sur la motivation et la persévérance scolaire (Arnold, 2006). Dans le cadre de notre recherche, nous avons été à même de constater qu’une plus grande prise en compte des préférences d’apprentissages, telles que l’appel à l’oralité, la présence du rire et de l’humour, la manipulation d’objets, le travail collaboratif, le lieu où se déroule l’apprentissage ainsi que la posture de l’enseignant, avait un large impact sur les différentes composantes de l’identité d’apprenant des élèves.

En ce qui concerne le recours à l’oralité, il convient de souligner que la fonction principale des langues est sans doute la communication, et dans les dernières décennies la notion de compétence communicative a eu une grande influence dans l’apprentissage de celles-ci (Arnold et Fonseca, 2003; Canale et Swain, 1990). Quand il s’agit d’apprendre dans la salle de classe, la communication est en même temps la finalité et l’instrument pour atteindre celle-ci. Dans la plupart des cas, l’objectif d’un cours de langue est de pouvoir communiquer dans la langue en question, mais l’on sait que le fait d’entendre la langue ou de la lire ne suffit pas pour l’acquérir. C’est pourquoi Swain (1995) met l’emphase sur l’importance de la production orale pour développer la correction et la fluidité dans la

parole. En d’autres mots, c’est en parlant qu’on apprend à parler. Ayant mené notre intervention en ce sens, les élèves qui se montraient grandement démotivés à faire du français au départ ont su donner un sens nouveau au cours de français. L’idée de faire du français à l’oral, en laissant de côté les cahiers et l’écriture, a permis aux élèves de se sentir compétents dans cette matière tout en augmentant leur désir de participer en classe. Les élèves ont exprimé, au terme de l’intervention, que faire du français en parlant était plus utile, plus concret, plus accessible et plus agréable à leur sens. En faisant appel à cette préférence d’apprentissage, ce sont les rapports à l’apprentissage, au savoir, à soi en tant qu’apprenant et à la langue française qui ont connu la plus forte évolution. Vu l’ensemble des rapports touchés, nous pourrions avancer que leur identité d’apprenant en français s’est modifiée, tant dans la manière dont ils se positionnent par rapport à la matière qu’au sens qu’ils lui donnent.

Dans un autre ordre d’idées, selon Mogavero (1979), le fait de rire ou de faire de l’humour en classe favorise la dimension sociale du milieu pédagogique. On verrait ainsi une augmentation de la collaboration et une réduction de l’anxiété liée à une situation de groupe. Le rire et l’humour contribuent également à générer, selon Guindal (1985) un climat propice à l’apprentissage. En effet, l’humour permettrait d’affronter, sous le couvert du comique et de l’amusant, les aléas et les difficultés liées aux conflits cognitifs que suppose l’apprentissage. Lors des entretiens post-intervention, les élèves ont considérablement insisté sur le fait que les CII étaient drôles, plaisantes, agréables et que cela avait eu pour effet de leur faire voir l’apprentissage et l’école sous un nouvel œil. Auparavant perçus comme sérieux, mornes et routiniers, l’école et le cours de français devenaient désormais des lieux où il était possible de rire, de se sentir libre, d’avoir du plaisir. Et le fait d’avoir eu du plaisir à faire du français a eu pour effet de donner aux élèves le goût de se lever le matin pour venir apprendre.

Quant à la valorisation de la manipulation, Carbonneau et Marley (2015) ont discuté des bénéfices qu’apportent les objets de manipulation à l’apprentissage. Selon eux, plusieurs raisons peuvent expliquer leur effet potentiel. Premièrement, comme les enfants seraient dépendants du monde physique et auraient besoin d’objets pour passer du monde physique au monde abstrait, les objets de manipulation leur permettraient de faire le lien entre un

concept abstrait et le monde réel. C’est d’ailleurs ce qui s’est produit lors de l’intervention pédagogique réalisée dans le cadre de cette recherche. Les élèves, et plus particulièrement Évy et Sara, ont été à même de se dire, de se définir au niveau identitaire par l’entremise des objets. Leur identité complexe et abstraite s’est révélée par les objets qui les ont projetés dans leur réalité. Ce nouvel accès à la réalité par l’entremise d’objets de manipulation semble avoir apporté une forme d’apaisement et de compréhension identitaire ayant largement influencé leur rapport aux cultures, aux langues et à l’école. Deuxièmement, les théories cognitives suggèrent que l’objet de manipulation permet à l’apprenant de porter son attention sur un stimulus pertinent et lui offre une représentation multimodale utile pour la mémorisation. Ainsi, l’objet de manipulation propose une représentation visuelle qui, associée à la verbalisation, faciliterait l’apprentissage. Les élèves rencontrés semblaient marqués par certains objets et c’est grâce à ceux-ci qu’ils étaient en mesure de se rappeler de certains apprentissages réalisés lors de l’intervention. Troisièmement, les théories motivationnelles expliquent que s’engager physiquement dans une activité est motivant pour l’enfant et peut aider l’apprentissage. Les objets de manipulation donnent alors aux élèves l’opportunité de découvrir les concepts de manière informelle. Lors des CII, les objets contribuaient à créer un espace de jeu où les élèves étaient curieux et engagés physiquement. Pour Évy, Waub et Sara, les objets ont renforcé leur envie de s’investir dans les activités proposées en rendant les cours de français amusants et plus informels. D’autant plus que ces objets agissaient comme pousse-à-parler pour raconter des souvenirs, des rêves ; bref, des moments significatifs pour les élèves qui ne pouvaient que les rendre encore plus concernés par les apprentissages visés.

En rapport avec l’organisation de la classe et le lieu où se déroule l’enseignement, il est de plus en plus reconnu que les sorties culturelles permettent aux enfants de sortir de la routine et créent des dispositions favorables à l'apprentissage (Leroy, 2009). L'apprentissage et le déroulement d'un cours dans une salle de classe sont toujours liés à une organisation spatiale précise. Or, justement, une sortie scolaire vient transformer le rapport spatial à l'apprentissage. Lors de notre intervention, notre objectif était de sortir du lieu physique de la classe pour donner les cours de français dans la tente traditionnelle innue. Bien que nous nous trouvions à quelques pas de l’école, cela a eu un large impact sur le rapport à l’école

et aux matières scolaires des élèves. Cette simple sortie à l’extérieur des murs de l’école, par la rupture qu’elle permettait, a bousculé les certitudes, créé un espace pour le questionnement des élèves et motivé les élèves à se mobiliser pour l’apprentissage. L’idée de pouvoir s’étendre dans le sapinage pour apprendre s’est avérée être un incitatif important à l’apprentissage pour certains. La sortie convoque l’élève dans sa globalité, avec ses sens, pas seulement la vue et l’ouïe comme en classe, mais aussi son toucher, son odorat ainsi que sa sensibilité et son affect, ce qui pourrait expliquer que les sorties laissent souvent des souvenirs extraordinaires, de ceux restant des années après dans les mémoires de nos élèves. Plus, en tout cas, que les cours ordinaires (Leroy, 2009). C’est d’ailleurs un élément qui revenait à plusieurs reprises lors du second entretien avec les élèves. Les analyses montrent en particulier l’influence positive des travaux pratiques extérieurs sur les apprentissages disciplinaires, si tant est que leur inscription dans le travail en classe soit explicite : ils favorisent la rétention des connaissances et renforcent les liens entre les dimensions affective et cognitive de l’apprentissage (Leroy, 2009). Au départ, nous trouvions intéressant de changer l’emplacement du cours de français afin de démontrer l’importance que nous attribuions à la réappropriation de la culture innue. Nous avons donc été grandement étonnée de constater que ce changement de lieu avait eu un impact beaucoup plus large au niveau de l’identité d’apprenant. Pour certains, la classe sous la tente leur faisait oublier l’école morne et désagréable, pour d’autres, cela augmentait leur degré d’implication dans le cours de français et leur optimisme vis-à-vis de ce que l’école peut représenter. Dans tous les cas, la dimension affective – la tente innue symbolique et respectueuse de leur identité culturelle – pour les élèves est venue atteindre la dimension cognitive – s’impliquer dans le cours de français – de manière significative.

Concernant le recours au travail d’équipe, Williams et Burden (1997) ont signalé que tandis que les enfants reçoivent de leurs parents et de leurs maîtres les informations qui les aident à construire leur image de soi, dès le début de l’adolescence, ce sont les camarades qui ont le rôle central. Dörnyei et Malderez (1999) suggèrent que, quel que soit le niveau éducatif concerné, l’on dédie du temps au processus de groupe, mettant en place des activités qui, tout en développant des compétences linguistiques, puissent servir à « briser la glace » et à favoriser les relations entre les camarades. En ce sens, il est utile, quand on travaille en

groupe, de veiller à ce que les apprenants travaillent le plus possible avec de camarades différents pour ainsi pouvoir mieux se connaître et pour que les relations établies jouent le rôle de miroir positif où se regarder. Avec les CII, notre but était de favoriser la création d’une communauté d’apprenants où le travail groupal et collectif prévalent. Murphey (1998, p. 15-16) signale que quand les élèves « sont autorisés et encouragés à se faire des amis rapidement et efficacement avec autant de camarades que possible, cela forme une sub-identité 33positive et leur fournit une base essentielle d'estime de soi sans laquelle l'apprentissage peut être extrêmement difficile. Quand les structures de classe facilitent la socialisation, nous avons une formule puissante pour apprendre ». Pour Waub, Évy et Sara, apprendre à connaître leurs pairs a été un moyen de s’impliquer davantage dans le cours de français en plus d’être une façon de se reconnaître eux-mêmes sur le plan identitaire. L’échange avec les autres a également permis de développer leur confiance en leur capacité langagière en français. Même Maikan, qui a de la facilité à l’école, a démontré une motivation intrinsèque plus forte lors de sa participation aux cercles. Grâce aux CII, elle a été à même de constater une meilleure participation de ses pairs et un meilleur échange avec ceux-ci dans le cadre du cours de français. Elle se sentait alors moins seule dans l’apprentissage et plus soutenue par ses condisciples. Aussi, l’approbation qu’elle attend normalement de ses parents ou de ses enseignants dans son processus d’apprentissage n’était plus nécessaire au terme de l’intervention ; l’approbation par ses pairs devenait suffisante. Pour les quatre élèves, l’idée du travail en équipe et en groupe contribuait considérablement à rendre le cours de français plus concret, plus divertissant et plus attrayant.

Finalement, en ce qui a trait à la posture de l’enseignant, le plus important pour favoriser le concept de soi positif et la confiance des apprenants, c’est d’avoir une attitude d’affection et de compréhension (Arnold, 2006). Si l’enseignant crée une relation affective qui soutient les apprenants par l’intermédiaire de la proximité et de l’amitié, ceci prédispose les élèves à vouer plus de temps aux tâches d’apprentissage et débouche donc sur de meilleurs résultats cognitifs. Si pour Évy et Sara les relations avec l’enseignant titulaire s’avéraient difficiles et déterminantes de leur implication en classe avant notre arrivée, l’intervention a contribué à

leur faire réaliser qu’une autre posture enseignante était possible. L’enseignante-chercheure et le titulaire de la classe ont pris part aux cercles afin de se montrer égaux et à l’écoute des élèves. Un partage des pouvoirs, difficile durant une transmission magistrale, devenait possible grâce aux CII. De cette manière, cela a permis une amélioration des rapports à l’école et à l’enseignant pour Sara et Évy, en plus de leur redonner confiance face aux processus d’apprentissage préconisés et à ce que peut incarner un enseignant : agir comme guide plutôt que comme autorité, offrir son écoute et se montrer apprenant. Pour Waub et Maikan, des retombées quant à leur rapport au savoir ont été observées suite à ce changement de posture de l’enseignant. Bien que leur rapport à l’enseignant s’avérait positif avant l’intervention, l’idée de gagner du pouvoir en tant qu’apprenant actif est venu changer leur perception selon laquelle le maître est l’unique détenteur du savoir et qu’on ne doit pas le remettre en question. En considérant leur enseignant différemment, ils ont vu que le savoir appartenait à tous et pouvait se partager entre apprenants compétents en plus d’être remis en question et discuté.