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Effets de l'intégration d'éléments relevant de la tradition orale dans la classe de français sur l'identité d'apprenant d'élèves innus

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Academic year: 2021

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Effets de l'intégration d'éléments relevant de la tradition

orale dans la classe de français sur l'identité

d'apprenant d'élèves innus

Mémoire

Joanie Desgagné

Maîtrise en psychopédagogie - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

(2)

Effets de l’intégration d’éléments relevant de la

tradition orale dans la classe de français sur l’identité

d’apprenant d’élèves innus

Mémoire

Joanie Desgagné

Sous la direction de :

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Résumé

Notre recherche vise à comprendre comment l’intégration d'éléments relevant de la tradition orale, d'une culture d'oralité, dans la classe de français au sein d'une communauté innue peut influencer le rapport au savoir, voire l’identité d’apprenant des élèves. Nous avons ainsi cherché à intégrer divers fragments culturels autochtones, innus, dans l’apprentissage du français. En effet, la culture innue en est une d’oralité ; les élèves passent alors par une langue seconde pour accéder à la littératie et présentent ainsi souvent un retard difficile à combler en lecture et en écriture. Nous avons donc développé et expérimenté, en collaboration avec les élèves d’une classe de l’école primaire et des membres de la communauté innue, dont une conteuse innue, des moyens d’intégrer la culture d'oralité par la tradition orale – chants, mythes, légendes, poésie – dans la classe de français tout en suivant la Progression des apprentissages en français du Programme de formation de l'école québécoise. Les leçons qui se sont déroulées sur trois semaines s'inspiraient du modèle ethnologique des ateliers interculturels de l’imaginaire permettant aux élèves de construire leur compréhension des œuvres choisies, de se les approprier et de voir l’impact sur leur rapport à la langue française et sur leur identité d’apprenant. Des entretiens semi-dirigés ont été réalisés auprès des élèves, et ce, avant et après l’expérimentation. L’identité d’apprenant des sujets à l’étude a connu une évolution puisque le regard de ceux-ci sur l’école et l’apprentissage du français notamment s’est vu modifié.

(4)

Table des matières

Résumé ... iii

Table des matières ... iv

Listes des tableaux ... vii

Remerciements ... ix

1 Introduction ... 1

2 Problématique ... 5

3 Cadre conceptuel ... 10

3.1 La culture ... 10

3.1.1 La culture comme rapport ... 11

3.1.2 La culture comme objet ... 13

3.2 L’apprentissage comme participation à une activité culturelle ... 14

3.2.1 L’École ... 15

3.2.2 Les repères culturels ... 16

3.3 L’identité : une tentative de définition ... 17

3.3.1 L’identité est émergente du discours ... 17

3.3.2 L’identité est relationnelle ... 18

3.3.3 L’identité est indexable et partiale ... 19

3.3.4 L’identité est positionnelle ... 21

3.4 Du concept d’identité vers l’identité d’apprenant ... 22

3.5 L’identité d’apprenant de langue ... 25

3.6 Identité et rapport au savoir ... 26

4 Cadre contextuel ... 28

4.1 Littérature orale ou tradition orale ... 28

4.2 Tradition orale et oralité ... 32

4.3 Que conserver par la tradition orale ? ... 34

4.4 Comment conserver par la tradition orale ? ... 35

4.5 Pour qui conserver grâce à la tradition orale ? ... 36

4.6 Comment transmettre par la tradition orale ? ... 36

4.6.1 La répétition et la ponctuation rythmée ... 37

4.6.2 La gestualité ... 37

4.6.3 La picturalité ... 38

5 Question de recherche et questions opérationnelles ... 39

6 Méthodologie ... 40

6.1 Méthode de cueillette de données ... 40

6.1.1 Posture méthodologique de la recherche ... 40

6.1.2 Posture théorique de la recherche ... 41

6.2 Le déroulement des entretiens et la présentation du schéma d’entretien ... 41

6.2.1 Les sections du schéma d’entretien ... 41

6.2.2 Considérations déontologiques ... 42

6.3 Constitution de l’échantillon ... 43

6.3.1 Le choix de la communauté et du lieu de réalisation ... 43

6.3.2 Recrutement des participants et caractéristiques de l’échantillon ... 44

6.4 Intervention pédagogique ... 45

6.4.1 Comment exploiter la tradition orale dans la classe de français ... 45

(5)

6.5 Collecte et l’analyse des données ... 51

6.5.1 Collecte des données ... 51

6.5.2 Analyse des données ... 52

6.5.3 La démarche d’analyse par émergence (analyse inductive) ... 53

7 Analyse ... 55

7.1 Waub ... 55

7.1.1 La perception de soi en tant qu’apprenant ... 55

7.1.2 Le rapport à l’enseignant et le degré de contrôle de l’enseignant ... 58

7.1.3 Le rapport à l’école et aux matières scolaires ... 60

7.1.4 Le rapport au savoir ... 63

7.1.5 Le rapport à l’apprentissage ... 64

7.1.6 Le rapport à la culture ... 66

7.1.7 Le rapport aux langues ... 68

7.1.8 Fragment de portrait identitaire ... 70

7.2 Maikan ... 71

7.2.1 La perception de soi en tant qu’apprenant ... 71

7.2.2 Le rapport à l’enseignant et le degré de contrôle de l’enseignant ... 72

7.2.3 Le rapport à l’école et aux matières scolaires ... 74

7.2.4 Le rapport au savoir ... 76

7.2.5 Le rapport à l’apprentissage ... 78

7.2.6 Le rapport à la culture ... 80

7.2.7 Le rapport aux langues ... 82

7.2.8 Fragment de portrait identitaire ... 85

7.3 Sara ... 86

7.3.1 La perception de soi en tant qu’apprenant ... 86

7.3.2 Le rapport à l’enseignant et le degré de contrôle de l’enseignant ... 88

7.3.3 Le rapport à l’école et aux matières scolaires ... 90

7.3.4 Le rapport au savoir ... 93

7.3.5 Le rapport à l’apprentissage ... 95

7.3.6 Le rapport à la culture ... 97

7.3.7 Le rapport aux langues ... 99

7.3.8 Fragment de portrait identitaire ... 101

7.4 Évy ... 102

7.4.1 La perception de soi en tant qu’apprenant ... 102

7.4.2 Le rapport à l’enseignant et le degré de contrôle de l’enseignant ... 103

7.4.3 Le rapport à l’école et aux matières scolaires ... 105

7.4.4 Le rapport au savoir ... 108

7.4.5 Le rapport à l’apprentissage ... 110

7.4.6 Le rapport à la culture ... 113

7.4.7 Le rapport aux langues ... 116

7.4.8 Fragment de portrait identitaire ... 118

7.5 Résumé ... 119

8 Discussion ... 120

8.1 Effet sur des éléments de l’identité d’apprenant ... 120

8.2 Caractéristiques de l’intervention ... 124

8.3 Limites du projet de recherche et pistes futures ... 130

(6)

9 Conclusion ... 134

10 Références bibliographiques ... 135

11 ANNEXES ... 145

(7)

Listes des tableaux

(8)

À tous mes enseignants et professeurs en or qui ont été sur mon chemin et qui ont nourri ma soif d’apprendre et de savoir À Napoléon et à tous les rêves qu’il chérira

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Remerciements

Mes premiers remerciements vont à mon cher directeur, Alexandre Buysse, pour sa rigueur intellectuelle et son soutien indéfectible, et ce, malgré mon rythme saccadé par mes parenthèses en mer. Merci d’avoir soutenu ce projet comme tu l’as fait et tous les autres d’ailleurs.

Je remercie également les nombreux collègues et amis (ayant partagé ce bateau des études supérieures avec moi) qui ont bien voulu dialoguer et réfléchir avec moi, dont les questions, arguments et réfutations ont sans contredit permis d'améliorer la qualité et la rigueur de ma réflexion. Ils se reconnaîtront assurément.

Mes remerciements et ma reconnaissance vont ensuite naturellement à mes parents, pour leur confiance et leur amour depuis mon premier jour. Leur soutien et leurs encouragements ont représenté une nourriture essentielle tout au long de ce complexe voyage qu’a représenté la maîtrise.

Bien sûr, je ne peux m’empêcher de remercier l’Amour de ma vie, mon tendre Carl, de m’offrir l’indispensable bonheur de la vie quotidienne en plus d’être mon fidèle admirateur dans mes moments [d’écriture] les plus glorieux comme les plus déboussolés et égarés. Merci d’avoir encouragé mes relectures à voix haute d’un regard bienveillant et d’avoir été à mes côtés lorsque les tumultes du terrain se faisaient sentir. Tu étais le seul à pouvoir me comprendre vraiment.

Plus généralement, j’aimerais que le lecteur sache à quel point je suis redevable des lieux qui ont balisé mon travail. De l’Université Laval où la pédagogie est devenue pour moi quelque chose d’incontournable, au Sénégal où le projet de mémoire a pris naissance, en passant par Mani-Utenam où le mémoire a pris vie et a pris sens et par Chicoutimi où il a été patiemment écrit, tout concourut à m’indiquer, pour reprendre les mots de Heidegger, ce « chemin de pensée » dans lequel, bien malgré moi, je me suis engagée. Mais ces lieux ne sont rien sans ces personnes qui les habitent et les rendent vivants. Je me dois donc de remercier toutes ces personnes qui ont croisé mon chemin de maîtrise et qui ont su me guider, consciemment ou non, vers sa réussite. Je parle ici notamment des petits élèves de Grand M’bao qui ne comprenaient pas ma langue, des plus grands de Mani-Utenam qui m’ont fait confiance, de la rigoureuse Mme Guilbert, du souriant M. Gauthier, du passionné M. Simard et de la chaleureuse Mme Ingrid Tshirnish.

En outre, mon dernier merci ira à ce petit Napoléon qui a grandi en moi dans les derniers milles de rédaction et sans qui, je n’aurais pas eu autant de courage pour mener à terme ce périple. Il est pour toi ce mémoire.

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1 Introduction

Journal personnel, juin 2015 communauté d’Ekuanishit Il y a cette poésie d’une langue mystique et étrangère, qui n’appartient qu’à eux seuls. Il y a ces partages de plats sous le shaputuan. Il y a ces contes qui virevoltent, qui partent dans tous les sens, qui ne commencent ni ne se terminent, qu’on raconte encore et encore. Il y a ces enfants qui vont sauter à la rivière alors que les aînés discutent de leurs parties de pêche, de leur dernière prise de castor. Il y a ces femmes qui préparent la banique après l’avoir retirée du sable. Il y a ses rues poussiéreuses sans arbre, comme implantées par erreur, entourées de leur infinie demeure verdoyante.

Puis il y a ces murs. Ces murs d’une école.

Entre ces murs, il y a cette langue que je connais trop bien. Mais eux, si peu. Il y a ce programme scolaire qui rappelle que les blancs y sont pour quelque chose. Il y a ces cahiers bien calligraphiés dans la langue de Molière, ces manuels qui racontent l’histoire. L’histoire d’un autre monde que le leur qui semble avoir été oublié. Il y a une culture. Une culture encore bien loin de celle qui se trouve de l’autre côté de ces murs.

Il ressort de nombreuses études que l’apprentissage est fondamentalement culturel (Valsiner, 2000 ; Forquin, 2004 ; Rogoff, 2003 ; Dumont, 1971) et qu’enseigner, c’est enseigner une culture (Gohard-R. & Akkari, 2002). Actuellement, les curriculums offerts dans les écoles primaires et secondaires situées en territoire autochtone « n’intègrent pas de contenus pédagogiques qui reflètent avec pertinence, acuité et profondeur les savoirs et traditions autochtones » (Lévesque et al., 2015) ; il s’agirait, en effet, davantage de mesures cosmétiques à saveur souvent folklorique (Larose, 1984a ; Sarrasin, 1994 ; Bourque, 2004a). Hampton (1995) va même jusqu’à qualifier l’éducation actuelle d’hostile pour les Premières Nations1 en raison de sa structure, de son curriculum, de son contexte et de son

1 Les termes « Autochtones », « Amérindiens », « Premiers Peuples », « Premières Nations » agissent, dans ce présent

document, comme synonymes et désignent les autochtones du Québec ou du Canada au sens large, bien que, souvent, le texte fasse référence aux « Indiens inscrits » vivant en territoire réservé. Cette dénomination est toutefois réductrice puisqu’elle exclut les Inuit, les Métis et les « sans statut » ou « Indiens non-inscrits ». Nous ne cautionnons pas, par ailleurs, la politique exogène de détermination du statut autochtone employée par le gouvernement canadien, ni le maintien de l’usage du terme « indien » (Bourque, 2004).

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personnel éducatif puisqu’elle est une institution politique, sociale et culturelle qui incarne et transmet les valeurs, les connaissances et les comportements de la « culture blanche ». Nous assistons donc, aujourd’hui encore, à une rupture importante entre le système éducatif et la culture des communautés desservies. Ce fossé entre culture2 scolaire et culture vernaculaire3 joue un rôle non négligeable dans l’attitude des enfants autochtones envers l’école et sur leur rendement scolaire (Bourque, 2004a). Et cela est d’autant plus vrai quand la culture scolaire est perçue comme inhospitalière. En effet, à travers l’histoire des Premiers Peuples du Québec du dernier siècle, notamment en raison de l’épisode sombre de la prise en charge de leur scolarisation dans des pensionnats (de 1934 à 1979 au Québec) (Ibid), nous avons été et sommes toujours témoins des conséquences en termes de décrochage et d’échecs – 40,6% de la population adulte des Premières Nations ne détient à ce jour aucun diplôme – , lorsqu’on ne tient pas compte de l’intégrité identitaire et de l’héritage culturel autochtones en contexte scolaire (Lévesque et al., 2015).

Les écoles de bandes4, sous le contrôle d’instances politiques autochtones5 depuis l’Entente de la Baie de James et du nord-est du Québec en 1975 (Bourque, 2004), disposent pourtant d’une certaine autonomie éducationnelle notamment pour l’élaboration du calendrier scolaire, pour le choix du matériel didactique, pour le choix de la langue dans laquelle sera dispensé l’enseignement (Gauthier & Blackburn, 2014). Malgré cela, les communautés autochtones sont la plupart du temps contraintes de respecter les balises des programmes scolaires provinciaux dans le but de faciliter la transition des jeunes vers les études secondaires et postsecondaires en milieu allochtone6, mais aussi en raison des ressources

2 À l’instar de Rogoff (2003), Forquin (2004), Falardeau & Simard (2011), nous reconnaissons l’équivocité et la

complexité du terme « culture ». Nous proposons une définition au chapitre 2.

3 Du latin « vernaculus » signifiant « indigène, domestique ». La langue vernaculaire en est une communément parlée

seulement dans les limites d’une communauté, souvent restreinte. Par exemple, la langue vernaculaire innue est la langue propre à chaque communauté innue. (Trésor de la langue française informatisé (TLFI) ; Dictionnaire Le Robert ; Dictionnaire Le Larousse)

4 Écoles sous la juridiction d’un Conseil de bande et située en territoire réservé (Bourque, 2004). Les écoles de bandes

font l’objet d’un financement direct de la part du gouvernement fédéral. Elles sont placées sous le contrôle d’organismes communautaires locaux, généralement indépendants du Conseil de bande (gouvernement local) et tendent à se fédérer au sein de regroupements régionaux à caractère national (ex. : Institut Tshakapesh chez les Innus) (Larose & al., 2001).

5 Les communautés sont gérées par des Conseils de bandes sous la supervision du Ministère des affaires indiennes

(Bourque, 2004).

6 Par « allochtones » ou « Euro-canadiens », nous désignons les Canadiens ou les Québécois d’origine autre

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financières largement insuffisantes ; les écoles de réserves7 sont généralement « sous-fiancées par rapport aux institutions d’enseignement québécoises » (Gauthier & Blackburn, 2014). Sans nul doute, les obligations d’assurer une éducation de qualité aux Premières Nations qui sont dévolues au gouvernement canadien depuis l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1982 n’ont toujours pas été rencontrées (Bourque, 2004).

Devant pareil constat, comment devons-nous agir lorsque nous sommes témoins d’une telle scission entre culture scolaire et culture vernaculaire ? Par où commencer la réflexion ? Quels changements opérer ? Dans le cadre de ce mémoire, nous explorons le potentiel de la prise en compte de la culture autochtone pour l’enseignement du français dans les écoles de communautés. Bien que la langue ne soit pas tout dans l’enseignement, sans la langue, l’éducation perd tout son sens (Wolff, 2005). En effet, la langue est un outil culturel de pensée (Rogoff, 2003) et le moyen pour exprimer et maintenir les connaissances, les habiletés et les valeurs culturelles. D’autant plus que la conservation et la continuité des langues sont critiques à la revitalisation et à la survie des cultures et des peuples autochtones (Battiste & Henderson, 2000). À ces dernières questions, il existe probablement autant de pistes de réponses que de réalités, et ce, seulement dans la province de Québec : 11 nations et presque autant de langues vernaculaires, 57 communautés bien distinctes, 688 écoles de bandes (Lévesque et al., 2015). Le choix des langues d’enseignement dans ces différentes écoles dépend d’innombrables facteurs. Depuis l’adoption de la Charte de la langue française, le français a le statut de langue d’enseignement dans les écoles du Québec. Toutefois, l’article 97 exempte de cette décision les élèves autochtones résidant dans les réserves (MEQ, 2004). Depuis lors, plusieurs nations du Québec ont développé des curriculums d’enseignement de leur langue à l’école et dispensent des cours de langue et culture autochtones. Cette situation n’est cependant pas homogène (Terraza, 2009) puisque chaque nation, voire chaque école, met en place des actions différentes en vue de l’apprentissage et de la promotion de sa langue. Le français ou

7 La réserve est une « Parcelle de terrain dont Sa Majesté est propriétaire et qu’elle a mise de côté à l’usage et au profit

d’une bande » (Gouvernement du Canada, article 74, 2002).

8 En 2009, on comptait 68 écoles en territoire autochtone au Québec (si on exclut les écoles situées dans la communauté

mohawk d’Akwesasne, comptabilisées par l’Ontario) : 51 sont situées sur des terres de réserves – incluant les communautés périurbaines telles que Kahnawake, Kanesatake et Wendake – et 17 sont établies dans les villages nordiques du Nunavik (Lévesques & al., 2015).

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l’anglais demeurent donc des langues largement utilisées pour enseigner en contexte autochtone9 (Terraza, 2009 ; Larose, 1993). Lévesque et al. (2015) soulignent le fait que la situation change pour chaque groupe linguistique, les uns se dotant de programmes de revitalisation de leur langue, alors que le nombre de locuteurs d’un autre groupe atteint un seuil critique menant à la disparition.

Dès lors, comment opérer des choix éducatifs cohérents avec les besoins réels des Autochtones et respectueux des cultures et des langues autochtones aussi nombreuses que diverses ? Afin d’éviter les généralisations et de nous perdre dans une mare d’exceptions et de différences, nous axerons donc ce mémoire autour du cas des Innus10, Première Nation la plus populeuse du Québec actuellement (Lévesque et al., 2015), déjà très complexe en elle-même vu les réalités linguistiques qui diffèrent d’une réserve à l’autre.

Notre mémoire se divisera en sept chapitres. La problématique de l'étude ainsi que le contexte dans lequel elle s'inscrit seront abordés dans le premier chapitre. C'est également à ce moment que seront exposés en détail les objectifs de la recherche. Ensuite, le cadre conceptuel décrira les concepts sur lesquels s’appuiera l’analyse. Il sera suivi par le cadre contextuel, qui présentera les autres éléments nécessaires à une compréhension de la problématique et à la réalisation du projet sur le terrain. Le quatrième chapitre sera consacré à la formulation de notre question de recherche et de nos questions opérationnelles. Puis, nous présenterons le cadre méthodologique dans lequel s'inscrit l'étude au cinquième chapitre. Enfin, le sixième chapitre fera état de l'analyse des résultats. Pour clore ce mémoire, nous proposerons une conclusion précédée d’une discussion en septième chapitre.

9 Les groupes conventionnés du Nunavik (Cris et Inuit) et les Attikameks font exception à cette norme car chacun possède

une commission scolaire unique et des organismes centraux qui gèrent les questions linguistiques (Drapeau, 2011).

10 Innus (ou Montagnais) : nation algonquienne de langue algique de la péninsule du Québec et du Labrador. Près de 65%

des Innus occupent neuf réserves au Québec, répartis au Lac-Saint-Jean, sur la Côte-Nord du Saint-Laurent et près de Schefferville (Uashat & Mani-Utenam, Mashteuiatsh, Ekuanitshit, Essipit, Pessamit, Nutashkuan, Pakua Shipi, Unamen Shipu, Matimekush – Lac John). On comptait, en 2012, 18 820 Innus formant ainsi l’une des nations autochtones les plus populeuses du Québec et 12 écoles de bandes innues (Armitage, 1991 ; Bourque, 2004 ; Lévesque & al., 2015).

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2 Problématique

L’école étant un puissant levier culturel, il paraît légitime pour plusieurs chercheurs que les Premiers Peuples, largement minoritaires face à la masse allochtone, veuillent l’utiliser pour véhiculer leur culture, leur langue et leur système de valeurs (Drapeau, 2011). « Lorsque les langues, le patrimoine et les collectivités autochtones sont respectés, appuyés, et reliés aux aînés et à l’éducation, le succès scolaire des élèves autochtones s’ensuit. Les langues autochtones sont des ressources irremplaçables dans toute réforme de l’éducation » (Battiste, 2002, p. 17-18, citée dans Lévesque et al., 2015, p. 74). Dans le même sens, au Nunavik, Talyor et Wright (2003) ont démontré que l’éducation en langue autochtone avait des avantages inestimables sur l’estime de soi et la fierté culturelle des enfants. Ainsi, bien que la famille soit considérée comme le lieu privilégié de transmission, il y aurait danger de folklorisation, de marginalisation du savoir linguistique entre les générations si on se limite à celle-ci (Drapeau, 2011). Si l’apprentissage de la langue vernaculaire à l’école fait partie de la solution, plusieurs auteurs sont d’avis qu’il ne faut pas tomber pour autant dans le piège de le considérer comme l’unique solution (Terraza, 2009 ; Lévesque et al., 2015). L’école devrait donc être l’un des maillons d’une chaîne de la transmission culturelle (Terraza, 2009 ; Drapeau, 2011 ; Patrick, 2007). Sans décharger les familles et la communauté de leur responsabilité, la politique éducative pourrait influencer l’avenir des langues autochtones (Drapeau, 2011) en augmentant leur prestige et leur légitimité (Patrick, 2007), sans toutefois condamner l’apprentissage du français. En effet, pour beaucoup d’Innus, la culture dominante, comprenant la langue française, constitue une valeur sûre pour s’intégrer dans le marché du travail (Terraza, 2009). D’autant plus que les tailles modestes et l’emplacement de certaines communautés restreignent les choix en matière d’éducation. Souvent, le nombre d’habitants ne justifie pas la construction d’écoles secondaires dans les réserves, ce qui force les élèves à fréquenter les écoles québécoises et à s’intégrer à la culture dominante dès leur plus jeune âge (Drapeau, 2011). Un schème éducationnel où les deux langues sont valorisées permettrait ainsi de favoriser l’intégration à la modernité tout en permettant le maintien des identités (Lévesque et al., 2015). Il faut également garder en tête que les langues dominantes s’accompagnent d’une culture de l’écrit, pratiquement absente des langues autochtones qui sont toutes de tradition orale.

(15)

Chez les Innus, l'écriture ne fait pas partie des pratiques courantes puisque c’est de façon orale qu’on assure le transfert des savoirs et des pratiques culturelles (Larose, 1993 ; Zumthor, 2008). La culture innue en est effectivement une d’oralité où la tradition orale, dans le sens de mythes, légendes, contes, discours traditionnel et de tous les autres jeux que permet le langage (Boudreau, 1995), renforce le lien collectif (Zumthor, 2008) et permet l’apprentissage informel de la langue (Lévesque et al., 2015). De ce fait, les élèves doivent à ce jour passer par une langue seconde, le français, pour accéder à la littératie dans leur langue maternelle. Ils présentent ainsi un retard en lecture et en écriture qu’ils n’arrivent pas à combler avec le temps (Morris et al., 2007). Il s’agirait donc de mettre en place des conditions pour valoriser l’apprentissage du français par l’oralité avant d’accéder à l’écriture (ibid).

À l’instar de Drapeau (2011), Taylor & Wright (2002), nous estimons que l’éducation se doit de refléter et de transmettre une culture locale et authentique (Dumont, 1971) puisqu’il existe, en effet, une relation « intime » et « organique » entre éducation et culture (Forquin, 1989). Dans une société où n’existe plus une culture que le milieu scolaire n’aurait qu’à traduire pour les enfants, comme c’est le cas chez les Innus tiraillés entre culture dominante et culture locale, l’école gagnerait à se transformer en un berceau de la culture (ibid). À notre avis, cette approche ne doit cependant pas être improvisée au risque de nuire, comme le soulevait Drapeau (2011), à la préservation de la langue ou au rapport qu’entretiennent les acteurs à leur culture. La culture innue étant celle pratiquée par les Innus au quotidien, avec les emprunts et les modifications témoins de son évolution temporelle, il est indéniable que certains artéfacts ou fragments culturels (Forquin, 1989) sont en voie de s’éteindre : l’art de fabriquer les canots, par exemple, survit difficilement à la disponibilité d’embarcations abordables en fibre de verre (Bourque, 2004). L’adaptation modérée de la culture innue à la réalité moderne semble saine : certains apports eurocanadiens ont contribué à faciliter la vie des autochtones sans pour autant la transformer du tout au tout. Ce pourrait être aussi le cas des langues. L’idée que la langue est importante pour la continuité et la vitalité culturelle autochtone est largement reconnue (Terraza, 2009 ; Lévesque et al., 2015), il n’en demeure pas moins que le français est de plus en plus considéré comme un moyen viable de transmission de la culture chez les peuples innus

(16)

(Patrick, 2007). Dès lors, les caractéristiques pragmatiques autochtones, vues comme une partie de l’habitus11 (Bourdieu, 1982 ; 1985 ; 1992), nous informent sur l’utilisation de la langue (Patrick, 2007). Ces caractéristiques pragmatiques créent de nouvelles formes de français qui sont uniques aux locuteurs innus (Ibid). Ainsi, les ressources symboliques sont adaptées à un usage courant, de façon à ce que certains aspects de la culture autochtone puissent être accomplis en français, mais communiqués et interprétés par l’habitus de la société innue. Il ne s’agit donc pas pour les Innus de faire table rase de leurs traditions, mais bien de se construire un mode de vie qui favorise leur survie et la réalisation de leur projet de société. Or, si la plupart des emprunts culturels ne menacent pas directement leur bien-être, nous sommes d’avis que l’asymétrie des rapports politiques et économiques entre Innus et euroquébécois, elle, constitue un danger réel. Déséquilibre qui est également à l’œuvre dans les écoles innues sous le couvert d’une prédominance de la langue et de la culture des euroquébécois au niveau du personnel éducatif, du curriculum, des manuels et des approches pédagogiques qui définissent le parcours scolaire des élèves. Cette asymétrie dans la présence respective des deux cultures à l’école semble susciter deux types de réactions : d’une part une adaptation fonctionnelle aux deux cultures, rendue nécessaire par l’environnement scolaire et, d’autre part, une certaine résistance envers la présence massive de la culture euroquébécoise à l’école, qui se traduit par un désir presque unanime de voir la culture innue y jouer un rôle accru (Patrick, 2007 ; Bourque, 2004, Lévesque & al., 2015). Néanmoins, la réalité des études secondaires et postsecondaires ainsi que du marché du travail constitue un incitatif à l’appropriation des deux cultures et à l’apprentissage des deux langues (Bourque, 2004).

Ensuite, suivant en cela Patrick (2007), il nous apparait incontestable qu’une présence accrue (au moins égale à celle du français) de la langue innue à l’école contribuerait à augmenter sa valeur et son importance. Afin de mieux comprendre cette relation, il est pertinent de faire appel au concept d’économie de la langue de Bourdieu (1977, 1982), qui

11 L’habitus est « un ensemble de dispositions intériorisées acquises par la socialisation d’individus appartenant à des

catégories ou à des groupes sociaux particuliers (de classe, d’ethnicité, etc.). Bien que ces dispositions ne déterminent pas le comportement, elles nous prédisposent néanmoins à réagir de façon particulière aux situations nouvelles ou familières. L’une des plus importantes catégories de ces dispositions est l’habitus linguistique, qui comprend non seulement les formes structurelles de la langue (qui sont sans doute les plus faciles à modifier), mais aussi la pragmatique des interactions linguistiques » (Patrick, 2007 ; Bourdieu, 1980 ; 1985 ; 1992).

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englobe la notion de capital linguistique et culturel et de valeur associée à une variété dialectale particulière sur le marché linguistique. En effet, ce concept met en lumière « le fait que la norme linguistique associée aux sphères étatique, juridique et éducative constitue un capital linguistique doté d’une valeur, et que des normes différentes peuvent avoir cours dans d’autres milieux. La distinction des sphères formelles et informelles de l’usage d’une langue pourrait se traduire ainsi par les notions de marchés linguistiques « dominants » et « marginaux » (Patrick, 2007). Cette distinction permet de décrire de quelle façon un groupe attribue une valeur à des formes linguistiques minoritaires en fonction des liens que ces formes entretiennent avec les pratiques culturelles et économiques. En d’autres termes, plus la langue innue et sa culture sera valorisée et promue à l’école, plus cette langue entrera en compétition avec les langues dominantes et acquerra de l’autorité et une légitimité du fait qu’elle est appuyée par l’État. Cette autorité et ce prestige, comme l’affirme Patrick (2007), sont susceptibles de séduire les locuteurs qui peuvent alors considérer cette variété linguistique comme désirable pour des raisons de mobilité sociale et de prestige culturel. Et il est évident que cela doit se faire sans négliger la valorisation de la transmission linguistique par les familles, la communauté qui s’avère, comme le dit si bien Drapeau (2011), complémentaire à la langue normée offerte à l’école.

Pour toutes ces raisons, nous soutenons l’idée que l’école devrait devenir un facteur primordial de développement social et culturel, un moyen essentiel de réintégrer la culture ambiante morcelée des Innus (Dumont, 1971). Pour se faire, il ne faut pas, à notre avis, tenir la langue innue loin de l’école, et ce, malgré les risques, les paradoxes et la complexité que cela suppose (Patrick, 2007 ; Drapeau, 2011, Terraza, 2009). Au contraire, il faut penser, créer et intégrer des cursus scolaires qui tiennent compte de la langue, mais aussi des modes de transmissions et des valeurs innues sans toutefois condamner l’enseignement du français langue seconde dans les écoles de bandes. Dans un monde idéal, ces cursus devraient être adaptés aux besoins de chacune des écoles. D’où l’idée que l’élément clé de la réussite d’un tel programme est de donner les moyens financiers aux communautés autochtones afin qu’elles puissent offrir un enseignement à leur image reflétant leurs besoins. En outre, à travers ce bilinguisme, il faudrait viser un équilibre en négociant le rôle et la place accordés aux cultures autochtones et eurocanadiennes dans l’éducation et

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l’apprentissage des langues (Sarrasin, 1994; Kondratiuk, 2011; Lévesque et al., 2015). Il s’agit là d’une question primordiale d’égalité des chances et de valorisation de l’interculturalisme identitaire.

Dans le cadre de ce mémoire, nous parions sur la valorisation de l’oralité innue dans l’apprentissage du français langue seconde. Tenir compte de l’oralité à l’école renvoie à la vision holistique de l’apprentissage, très préconisée dans la recherche en éducation pour les Premières Nations puisqu’elle est connectée avec les expériences de vie, construite à travers l’observation et l’imitation, collective, enracinée dans la langue et la culture, en plus d’intégrer le meilleur de la culture autochtone et de la culture occidentale (Cappon, 2008). En d’autres mots, cette recherche s’inspire du modèle oral d’apprentissage de la langue innue pour l’apprentissage du français afin de voir si cela influencerait positivement

l’identité d’apprenant, particulièrement sous l’angle du l’identité d’apprenant de langues,

des élèves du primaire issus de la Première Nation innue. La persévérance scolaire étant plus que jamais un enjeu social d’importance, il s’avère pertinent d’aller à la rencontre de cette identité agissant comme indicateur d’engagement, d’intérêt et de réussite scolaire (Perrenoud, 2003; Charlot, 1997; Martinez, 2011). « J’apprends les langues, donc je suis »12 établit une relation de cause à effet entre apprentissage linguistique et identité, relation qui sera au cœur de notre contribution.

C’est donc à partir de l’analyse des verbalisations que les élèves innus font de leur propre apprentissage du français et de l’innu-aïmun13, des stratégies et méthodes développées en classe ou en dehors de la classe, des cultures d’apprentissage et d’enseignement, sur les images que les apprenants donnent d’eux-mêmes et du rapport qu’ils établissent au savoir que nous tenterons des pistes de réponse à notre question de recherche : comment l’intégration d'éléments relevant de la tradition orale, de la culture d’oralité, dans la classe de français au sein d'une communauté innue influence-t-elle l’identité d’apprenant des élèves et le rapport à l’apprentissage du français langue seconde ?

12 L’originalité de cette maxime revient à Trocmé-Fabre (1987) en référence à la célèbre maxime de Descartes.

13 Aïmun signifie opinion, parole, langue, discours (Dictionnaire innu, Institut Tshakapesh, 2015). La langue innue

(l’innu-aïmun) est l’appellation la plus souvent donnée par les membres de la communauté. Elle est aussi connue sous le nom de langue montagnaise.

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3 Cadre conceptuel

Ce chapitre expose les principaux concepts sur lesquels nous nous sommes appuyée pour mener notre recherche ainsi que les courants et approches épistémologiques et théoriques qui leur sont associés. Nous abordons d’abord la notion de culture, élément au centre de notre recherche qui fait appel à l’approche socioculturelle de l’enseignement. Avant de définir les notions d’identité, d’identité d’apprenant et d’identité d’apprenant d’une langue

(language learner identity) dans le but de bien comprendre les enjeux et les objectifs de ce

mémoire, nous verrons comment l’apprentissage constitue une activité culturelle.

3.1 La culture

Devant ce terme équivoque et polysémique de culture, il nous semble crucial d’offrir une définition du terme plus spécifique à notre champ de recherche – la psychopédagogie – que celles que l’on retrouve actuellement dans divers domaines des sciences sociales, mais moins contraignante et limitative que celle des humanistes. Nous nous éloignons donc d’emblé de l’idée normative selon laquelle la culture constitue uniquement un bagage de connaissances générales puisque l’aspect social et médiateur du terme nous apparaît trop important dans notre contexte de recherche pour le taire. Nous sommes également d’avis, à l’instar de Valsiner (2000, p. 49), que l’acception descriptive visant à classifier les individus selon certains traits spécifiques comme leur histoire commune, leur langue ou leur lieu de vie réfère plutôt aux notions de société, de groupe ethnique ou de communauté qu’à la notion de culture. Il semble que ces éléments partagés par un groupe d’individus servent plutôt de base dans l’élaboration de la culture.

Le sociologue Fernand Dumont (1968) fait la distinction entre la culture première (rappelant la définition des sciences sociales) assimilée sans effort au gré de nos interactions quotidiennes et la culture seconde (rappelant la définition des humanistes) bâtie à partir des matériaux de la première. Cette conception nous dérange puisqu’à l’instar de Jean-Jacques Simard (1988), autre sociologue, nous n’acceptons pas de voir ces deux cultures départagées par une ligne bien nette. Il y a toutefois un élément que nous trouvons intéressant dans la proposition de Dumont (1997, p. 153) soit « la mise à l’écart de soi sans

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laquelle nous serions encastrés dans le monde comme des objets ». En effet, il semble essentiel que l’on considère chaque individu comme « participant à la culture » (Rogoff, 2003, p. 3) plutôt que passif ou victime dans le processus culturel. Et cela est d’autant plus vrai en éducation. Pour illustrer cette affirmation, prenons l’exemple des acteurs en contexte scolaire proposé par Buysse (2012). Les enseignants sont porteurs d’une culture (selon leur discipline, par exemple) en plus d’une culture scolaire (selon l’établissement où ils oeuvrent). Ils partagent avec leurs élèves un certain nombre de valeurs, de savoirs et de raisonnements. Mais l’enseignant est aussi en contact avec des élèves à la fois porteurs d’une culture personnelle et d’une culture d’apprenant. De là découleraient une évolution de la culture de l’apprentissage scolaire des élèves et une évolution de la culture de l’enseignement/apprentissage des enseignants. On assiste donc à la naissance d’une

microculture de classe co-élaborée entre l’enseignant et les élèves (Mottier Lopez, 2008).

Cette tierce culture ne vient pas altérer ou effacer pour autant la culture personnelle des acteurs concernés (Rogoff, 2003), puisque dans ce cas, on assisterait à une déculturation/assimilation telle que celle vécue dans les pensionnats autochtones, plutôt qu’à une acculturation, c’est-à-dire un accord équilibré des éléments culturels en jeu.

3.1.1 La culture comme rapport

En considérant que la culture prend racine dans les interactions avec les autres et dans la relation avec les innombrables éléments culturels qui nous entourent « au-delà des éléments tels que l’économie, les ressources, la taille de la famille, la modernisation ou l’urbanisation » (Rogoff, 2003, p. 11), il devient impossible de comparer deux individus ou deux communautés sur la base de quelques variables. La culture, à notre sens, devrait d’abord être décrite dans les termes que Falardeau et Simard proposent (2011, p. 7) : « La culture est un processus de construction et de transformation mettant en relation un individu, qui comprend toujours le monde d’une certaine manière, avec des acteurs, des objets et des pratiques culturels, lesquels entrainent un travail d’apprentissage conscient et volontaire s’intégrant de façon créative à la structure de compréhension de l’individu », ou encore à la manière de Buysse (2012, p. 77), qui écrit :

La culture, en tant que principes organisateurs sous-jacents aux comportements et valeurs d’une société donnée, est également présente en tant que microculture résultant

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des activités sociales de l’être humain. Dès lors, tout sujet est influencé par la culture et la culture d’activité dans laquelle il agit, de même qu’il l’influence. Les savoirs et actions qui lui sont proposés et les motifs sous-jacents, les structures inférables, les intentionnalités traditionnelles et habitudes qui y sont associées sont autant d’apports à sa conscience et modèlent ainsi le cours de ses apprentissages et de son développement. […] toute activité de formation d’une certaine durée, toute activité sociale si elle s’inscrit dans une tradition établie et qu’elle est reconnue socialement, peut être considérée comme une culture.

Autrement dit, comme un rapport, comme une médiation. Le rapport entre un individu/groupe/peuple (porteur d’une culture) et le monde (constitué d’une multitude de cultures) où chacun est responsable de prendre soin de son jardin culturel, comme le disaient si bien les Romains14 .

En ce sens, nous offrons une première définition où la culture est vue comme un processus dialogique individuel – culture personnelle – ou collectif – culture sociale – de construction, de transformation et d’organisation des comportements, des savoirs et des valeurs. Tout sujet – un individu ou un groupe d’individus – comprend le monde d’une certaine manière et se trouve en constante relation avec des acteurs, des savoirs, des objets et des pratiques culturelles. Dès lors, cedit sujet est influencé par la culture, ce qui entraîne un travail d’apprentissage conscient ou plus ou moins conscient, volontaire, s’intégrant de façon imprévisible, créative, à sa « structure culturelle », de même qu’il influence celle-ci. Le sujet incarne à la fois le rôle d’acteur immergé dans un contexte d’action située et à la fois l’agent réflexif critique capable de s’éloigner de ce même contexte. Cette dualité lui permet une meilleure adaptation dans sa réalité, une meilleure connaissance de soi et d’autrui ainsi que l’évolution d’une autonomie croissante (Valsiner, 2000).

Cette acception que nous proposons du terme culture est identitaire et fait largement écho à la fonction de transmission culturelle de l’éducation. À travers cette définition, nous sommes consciente que certains aspects de l’œuvre collective qu’est la culture sociale sont reconnus comme pouvant et devant donner lieu à une « transmission délibérée et plus ou moins institutionnalisée, alors que d’autres font seulement l’objet d’apprentissages

14 C’est au peuple agricole de la Rome antique que nous devons le terme « cultiver », en latin « colere », faisant référence

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informels, voire occultes, et que d’autres enfin ne survivent pas au vieillissement des générations et échouent à s’inscrire dans la durée » (Forquin, 1989, p. 10). Que ce soit à petite ou grande échelle, les gestes que nous posons et les choix que nous faisons seuls ou à plusieurs influent sur notre héritage collectif et notre patrimoine.

3.1.2 La culture comme objet

Bien évidemment, il est illusoire de penser qu’une seule définition de la culture, autant achevée soit-elle, puisse faire consensus ou puisse circonscrire un terme aussi touffu. Ainsi, en plus de la présenter tel un rapport (Simard, 2002), nous sommes d’avis que la culture peut également être un objet (Simard, 2002; Rogoff, 2003). Legendre (1993, p. 93), introduit le terme culture comme l’expression même de la vie sociale :

[...] ensemble des phénomènes sociaux (religieux, moraux, esthétiques, scientifiques, techniques, etc.) propres à une communauté ou à une société humaine [...], ou à une civilisation [...]. Ensemble des manières de voir, de sentir, de percevoir, de penser, de s’exprimer et de réagir ; ensemble des modes de vie, des croyances, des connaissances, des réalisations, des us et coutumes, des traditions, des institutions, des normes, des valeurs, des mœurs, des loisirs et des aspirations qui distingue les membres d’une collectivité et qui cimente son unité et son époque.

Beaucoup plus englobant et vaste que les caractéristiques de base de la société, telles la langue, le lieu géographique partagé ou l’histoire commune, la culture comme objet prend la forme de repères culturels15, dont l’exploitation en classe permet l’enrichissement par les élèves de leur propre rapport à la culture. Ces objets culturels peuvent ainsi prendre diverses formes : un évènement, un produit médiatique, un objet de la vie courante, un objet patrimonial, une référence territoriale, une réalisation artistique, une découverte scientifique, des modes de pensée, des valeurs qui conditionnent les comportements, etc. pour autant que ces formes revêtent une signification particulière sur le plan culturel (Simard, 2001; 2002).

Cette deuxième acception du terme culture correspond à un ensemble de choses créées par l’être humain en réponse à des intérêts, des besoins, des questions ou des problèmes. La

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conception bidimensionnelle de la culture nous permettra d’être à même de distinguer la culture des élèves rencontrés lors de la récolte de données – rapport à la culture – et les éléments culturels qui seront utilisés dans le cadre de notre dispositif – le conte comme objet de culture (Charlot, 1997; Gouvernement du Québec, 2001a).

3.2 L’apprentissage comme activité culturelle

Après avoir mis de l’avant cette conception bidimensionnelle de la culture, il devient plus aisé de voir comment l’apprentissage, l’apprentissage dans le cadre scolaire plus précisément, constitue une activité culturelle.

L’éducation débute dès le plus jeune âge des enfants par l’entremise de la formation et de la socialisation de ceux-ci par un parent ou quelques personnes responsables. Elle se poursuit parallèlement dans le milieu scolaire puisqu’elle suppose la communication, la transmission, l’acquisition de connaissances, de compétences, de croyances, d’habitudes et de valeurs (Forquin, 1989). Ce contenu qui se transmet au niveau éducationnel est donc nécessairement quelque chose « qui nous précède, nous surplombe et nous institue en tant que sujets humains » (Forquin, 1989, p. 9). Ce quelque chose n’étant nul autre que la culture en tant que rapport et en tant qu’objet.

Malgré la fragmentation et la dispersion qui caractérisent la culture actuelle et qui fut maintes fois rapportée dans la littérature contemporaine16, il n’en demeure pas moins qu’il existe entre éducation et culture une relation interdépendante (Forquin, 1989), que l’apprentissage est fondamentalement culturel (Valsiner, 2000; Forquin, 1989; Rogoff, 2003; Dumont, 1971) et qu’enseigner, c’est enseigner une culture (Gohard-R. et Akkari, 2002). Évidemment, certaines caractéristiques principales font du milieu scolaire un véritable lieu de culture, un lieu où l’apprentissage prend la forme d’une activité culturelle. C’est bien là la tension au sein de notre interrogation : savoir de quelle culture l’école, et plus précisément l’école en milieu autochtone, se fait le véhicule ?

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3.2.1 L’École

D’abord, le lieu que constitue l’École est le premier indice de la « reprise consciente de la vie » culturelle (Simard et Mellouki, 2005, p. 55). L’École, en plus d’être un endroit accueillant des humains provenant de tous horizons et porteur de bagages culturels variés, est également un lieu où le savoir est programmé, organisé, dans le but d’offrir aux individus qui le fréquentent un univers de culture homogène : « un noyau de savoirs, de valeurs, de systèmes symboliques et d’œuvres admirables, […] un héritage humain qui mérite d’être conservé, connu, appris, médité » (Simard et Mellouki, 2005, p. 56). Évidemment, cette culture scolaire ne correspond pas en tout point à la vie puisque l’École doit se résoudre à faire des choix au sein de la vaste culture qui subsiste à l’extérieur de ses murs. C’est pourquoi d’une époque à l’autre, d’un pays à l’autre, la sélection des contenus des programmes diffère, change, évolue en fonction de la vision du monde que les autorités politiques et éducatives souhaitent transmettre aux élèves à un moment donné. Ainsi, qu’il s’agisse du « programme des collèges classiques, de l’humanisme renouvelé du rapport Parent ou des programmes actuels du primaire et du secondaire, chacun prétend initier à un patrimoine de culture » (Simard et Mellouki, 2005, p. 57) qui est à chaque fois le résultat d’un formidable effort de sélection au sein de la culture. Autrement dit, l’École agit comme médiateur culturel et permet aux élèves de se distancier du connu et du familier. Elle permet également de leur faire prendre conscience de leur propre culture afin de mieux la comprendre et de devenir des agents critiques et participatifs (Simard et Mellouki, 2005). De nouveau, nous soulignons au passage le fait que la culture vernaculaire n’est pas suffisamment présente dans le milieu scolaire innu, notamment en raison de la langue d’enseignement qui crée un fossé entre la culture scolaire et la culture vernaculaire.

En étant soumis à un enseignement culturel des savoirs, l’élève devient ainsi responsable de son rapport identitaire face à la culture institutionnelle et aux diverses cultures disciplinaires. Il apparaît que l’école, « laboratoire de culture » (Forquin, 1989), contribue à ce que les élèves établissent un lien étroit avec les formes plurielles de culture avec lesquelles ils jonglent. Selon le Programme de formation de l’école québécoise (Gouvernement du Québec, 1999), c’est d’autant plus vrai s’il est question d’une exploitation réfléchie des repères culturels (Simard et Mellouki, 2005).

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3.2.2 Les repères culturels

Étant définis comme des « ressources de l’environnement social et culturel » (Gouvernement du Québec, 1999, p. 9), les repères culturels servent ainsi à exposer les élèves aux activités contemporaines de culture. Ils prennent la forme de ressources – rencontres avec des personnes, participations à des évènements, visites de lieux pertinents – mais aussi de connaissances – origine et évolution de certaines notions, répertoire d’œuvres artistiques, etc. L’exploitation des repères culturels a pour but de rendre les contenus disciplinaires plus significatifs pour les élèves en plus de les amener à y puiser les ressources qui leur permettront de mieux composer avec leur réalité. De surcroit, tenir compte des repères culturels est un moyen privilégié d’amener les élèves à établir un rapport avec la culture, une interaction réelle et non superficielle avec celle-ci. Cela favorise la construction d’une vision du monde des élèves puisqu’on vise l’enrichissement du regard qu’ils portent sur eux-mêmes, sur les autres et sur l’environnement (Ministère de l’éducation, 2003). Bref, l’intégration de la dimension culturelle par l’entremise des repères culturels à l’école a pour objectif fondamental de mettre l’ensemble des élèves en contact avec une diversité d’œuvres, d’idées, d’inventions et de solutions humaines qui nous aident « à vivre, à penser, à aimer, à trouver des réponses comme à trouver du plaisir, [...] [à] transmettre ce regard sur les choses qui évite d’être passif devant les évènements du monde, qui nous fait participer davantage à la construction si difficile d’une humanité meilleure » (Zakhartchouk, 1999). Bien que certains auteurs sont d’avis que les pistes offertes dans le Programme actuel sont insuffisantes pour baliser le parcours culturel des élèves en plus de le rendre cohérent, progressif et équilibré (Pilotte, 2004; Simard, 2005), et c’est d’autant plus vrai dans le milieu autochtone, il n’en demeure pas moins que la question de l’intégration des repères culturels dans l’enseignement demeure une préoccupation réelle et une priorité du milieu scolaire et de la formation à l’enseignement (Chené et Saint-Jacques, 2005, cité dans Simard et Mellouki, 2005; Gouvernement du Québec, 2001a).

En somme, en considérant à la fois la culture comme objet (École, disciplines scolaires, repères culturels) et la culture comme rapport (culture de l’élève et culture des acteurs scolaires), on se rend rapidement compte qu’éducation et culture forment un tandem indissociable, que la culture, comme le disait si bien Forquin (1989), est à la fois la source, le contenu substantiel et la finalité de l’éducation scolaire. En ce sens, l’apprentissage en

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milieu scolaire est une activité culturelle ayant de grands impacts sur le rapport à la culture des élèves, mais aussi sur leur identité dans son ensemble. Voyons maintenant de façon plus approfondie ce que nous entendons justement par identité.

3.3 L’identité : une tentative de définition

Bien que le terme « identité » transcende les frontières disciplinaires depuis les années 1960, ce n’est qu’au milieu des années 1970 que ce concept deviendra le « pain et le beurre de notre régime éducatif » (Sfard et Prusac, 2005, p.14). Alors que les notions de

personnalité, de caractère, de nature sont irrévocablement rattachées à des déterminants

biologiques et ainsi peu adaptées au projet socioculturel (Rogoff, 2003; Lektorsky, 2009), l’identité, constamment créée et recréée dans les interactions avec les autres, vient répondre à un besoin majeur de la recherche en éducation17 (Holland et Lave, 2003, cité dans Sfard et

Prusac, 2005). En effet, tout comme Sfard et Prusak (2005), nous sommes d’avis que la notion d’identité constitue le chaînon manquant dans l’histoire de la dialectique complexe entre l’apprentissage et son contexte socioculturel. Cependant, nous croyons que cette notion demeure vaine, vu son élasticité et sa complexité sémantique, si elle n’est pas accompagnée d’une définition idoine et en cohérence avec notre domaine d’étude.

Dans la recension des écrits qui suit, nous faisons ressortir des caractéristiques et des principes qui définissent l’identité sous l’angle socioculturel soulevées par Bucholtz et Hall (2005) et Dorais (2004) notamment. L’approche socioculturelle linguistique dans ce cas précis englobe les sous-champs disciplinaires de la sociolinguistique, de la didactique et de la pédagogie liés à l’apprentissage des langues, de la psychologie sociale axée sur le plan linguistique, entre autres.

3.3.1 L’identité émerge du discours

En premier lieu, ce qui fait consensus dans la littérature (Sfard et Prusak, 2005), c’est le caractère émergent de l’identité (Bucholtz et Hall, 2005). L’identité est un phénomène fondamentalement social puisque s’identifier nécessite une pratique communicationnelle et

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une interaction avec autrui. Le sens de ce que l’on est, l’état mental interne d’un individu, se reflète nécessairement dans une forme de discours, grâce au langage. En ce sens, l’identité ne peut émerger qu’à condition qu’il y ait une interaction linguistique (Bucholtz and Hall, 2005). Cette première caractéristique ressort de certaines amorces de définitions de Gee, Allen et Clinton (2001) ainsi que de Holland, Lachicotte, Skinner et Cain (1998). Ces auteurs sont d’avis que l’identité est avant toute chose une trame narrative d’une personne (Gee, Allen et Clinton, 2001), un rapport à l’autre et au monde (Dorais, 2004), une compréhension de qui nous sommes comme individu (Holland, Lachicotte, Skinner et Cain, 1998). Ces autocompréhensions, en particulier celles qui ont une forte résonance émotionnelle pour celui ou celle qui raconte, pourraient être comprises comme les identités. Nous suggérons donc, à l’instar de Sfard et Prusak (2005), que les identités prennent la forme de collections d'histoires d’une personne ou, plus précisément, de récits de vie d’individus qui sont « réifiants, endossables et significatifs » (p. 44). Pour rendre concrète une identité abstraite et ainsi la réifier, les outils du langage sont alors primordiaux. Par exemple, l’utilisation des verbes tels qu’être, pouvoir, se sentir, devenir et d’adverbes tels que toujours, jamais, habituellement permettent de faire émerger des actions répétées d’un individu afin d’en inférer des généralisations et des tendances dans son mode de vie et ses traits identitaires. De plus, la personne doit être prête à endosser ses propos en restant le plus fidèle et honnête possible quant à l’état des choses dans le monde en lien avec sa réalité propre. En outre, le récit sera significatif dans la mesure où un changement de ce dernier serait susceptible d’affecter les sentiments du narrateur. Les histoires les plus significatives sont souvent celles qui impliquent des adhésions ou des exclusions de divers cercles sociaux et communautés (Sfard et Prusak, 2005).

3.3.2 L’identité est relationnelle

En second lieu, l’identité ne s’acquiert pas de façon isolée et n’est pas autonome ni indépendante. Elle s’acquiert et se construit, par le langage principalement, grâce à l’interaction avec d’autres identités de différents acteurs sociaux et se poursuit tout au long de la vie (Dorais, 2004). En ce sens, les relations identitaires sont un phénomène relationnel caractérisé par des similitudes ou des différences, de l’authenticité ou de l’imitation ainsi que de la légitimation ou de l’illégitimation (Bucholtz et Hall, 2005). Bon nombre d’auteurs

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s’entendent sur la présence d’un lien bilatéral entre l’environnement et l’individu (Lektorsky, 2009). Ainsi, l’individu construit activement son rapport au monde, son identité, en contribuant à soutenir l’évolution de son environnement et de sa culture – comme objet autant que comme rapport. Les personnes établissent des échanges au sein et à la charnière des systèmes qu’elles fréquentent et, plus largement, de l’ensemble des systèmes composant leur environnement social, l’écosystème dans lequel se situe l’individu (Bronfenbrenner, 1979). L’écosystémie prend la forme de systèmes sociaux emboîtés les uns dans les autres comparables à des poupées russes (Rogoff, 2003). Il s’agit en quelque sorte de « niveaux systémiques » situés à cinq échelons hiérarchiques distincts allant des caractéristiques propres à la personnalité de l’enfant lui-même – l’ontosystème – au macrosystème représentant les normes, idéologies, valeurs, savoirs et représentations dominantes d’une collectivité, en passant par le microsystème, le mésosytème et l’exosystème auquel ne participe pas directement l’individu, mais dont il subit l’influence (Boulanger et al., 2001), tel le conseil de bande autochtone pour l’enfant ou les parents Innus qui n’y sont pas engagés. Il ne faut cependant pas voir la séparation de ces systèmes comme hermétique puisqu’elle ne nuit pas, à notre sens, aux processus de développement individuel identitaire et culturel, mais permet plutôt de voir l’étendue de l’influence sociale et des interactions possibles (Rogoff, 2003; Lektorsky, 2009). L’écosystémie constitue donc un des outils nous permettant de nous représenter de quelle façon l’identité est le fruit d’une construction dynamique négociée par des individus dans un contexte social vaste en plus de comprendre cette complexité dans les interactions qui fait en sorte que l’identité ne connaît pas d’état final (Tarhan et Balban, 2014).

3.3.3 L’identité est indexable et partiale

En troisième lieu, nous considérons l’indexicalité et la partialité comme des éléments importants dans la définition de l’identité, nous rapprochant ainsi de l’ethnométhodologie, de la linguistique, de l’anthropologie et de la philosophie.

L’indexicalité, à l’origine, fait référence aux déictiques en linguistique. Ce sont des termes dont la signification dépend entièrement du contexte dans lequel ils sont prononcés tels qu’ici, maintenant, je (Morel et Danon-Boileau, 1992). Pour mieux comprendre cette indexicalité, imaginons une maison. Il se peut que la maison ait de grandes fenêtres, une

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façade briquetée, des volets et un jardin de jolies fleurs à ses côtés. Ou non. Elle peut être grande ou petite. De style néoclassique ou victorien. Et pourtant cela reste une maison. Cette indexicalité de la maison renvoie toujours à une demeure qui est propre à l’individu qui l’imagine. Les schèmes de référence dépendent de notions inférant sur un axe, comparable à l’axe paradigmatique du langage. L’indexicalité est donc plus étendue que la notion linguistique de déictique, mais fait appel aux mêmes processus de pensée, d’analyse, d’actions. Dans la formation de l’identité, l'indexicalité repose grandement sur les structures idéologiques, car les associations entre le langage et l'identité sont enracinées dans les croyances et les valeurs culturelles (Bucholtz et Hall, 2005). Nous prenons donc le parti que l’identité indexable fait appel aux référents de son propre vécu par un choix de langue, un choix de mots, un choix d’expression, un choix de conduite. Par exemple, l’ensemble des gens qui parlent l’innu forme un groupe, une ethnie-linguistique, partageant une langue, des expressions, des codes sociaux. La communauté partageant le code qui lui est propre forme un groupe indexical pour les personnes qui ne sont pas membres. Cela n’empêche toutefois pas qu’une même situation est ressentie psychologiquement et intellectuellement différemment par chaque individu qui compose ce même groupe, ou qui participe à l’action de la situation. Elle dépend donc de l’instant présent et passé d’un individu, de son historicité « se déroulant à l’intérieur d’une culture spécifique, c’est-à-dire d’un ensemble complexe et parfois contradictoire de représentations et de pratiques définissant un certain type de rapport au monde, de compréhension de l’univers au sein duquel on vit » (Dorais, 2004, p. 3). En considérant la formation de l'identité à plusieurs niveaux indexicaux constitués en interaction, nous pouvons assembler un portrait beaucoup plus riche de sa subjectivité et de son intersubjectivité (Bucholtz et Hall, 2005 ; Lecerf, 1985). Cette subjectivité, cette partialité, dans la construction identitaire est due au fait que chaque individu construit son identité et la met en acte de façon bien personnelle (Dorais, 2004). Cette identité partiale consiste en une synthèse des rapports signifiants que l'individu entretient avec son environnement « en tant qu'homme ou femme : jeune, adulte ou aîné, riche ou pauvre, avec ou sans formation universitaire, habitant de telle région, locuteur d'une langue particulière, pratiquant ou non d'une religion spécifique, citoyen de tel pays, etc. » (Dorais, 2004, p. 4). De façon très simple, l’identité partiale fait surface lorsqu’un individu fait intervenir des préférences personnelles quant à sa compréhension de l’univers

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et quant à la mise en acte de son identité. Ces préférences en partie délibérées et intentionnelles, en partie habituelles et plus ou moins conscientes sont le fruit de contraintes interactionnelles incontournables et perpétuelles (Bucholtz et Hall, 2005). Cette partialité est donc en mouvance, à l’image d’une identité continuellement en changement, quoique relativement stable (Dorais, 2004).

3.3.4 L’identité est positionnelle

En dernier lieu, faire émerger l’identité nécessite que les individus se positionnent par rapport aux autres, d’où l’idée qu’elle est positionnelle. L’identité apparaît dans le discours d’une personne à travers son ou ses rôles dans son environnement, ses positions interactionnelles, parfois temporaires, parfois durables (Bucholtz et Hall, 2005). Holland, Lachicotte, Skinner et Cain (1998, p. 3) voient cette positionnalité à la manière d’un jeu de rôle en quelque sorte : « les gens disent aux autres qui ils sont, mais plus important encore, ils se disent et ils essaient d’agir comme s’ils étaient ce qu’ils disent être18. Les humanistes

font référence à cette positionnalité en se référant à l’expression « gnôthi seauton » socratique. Le « connais-toi toi-même » assigne à l’individu le devoir de prendre conscience de sa propre mesure sans tenter de rivaliser avec les Dieux. Bien qu’il ne soit pas question de se situer vis-à-vis des puissances divines dans le monde relationnel que nous décrivons, il n’en demeure pas moins que nous nous retrouvons toujours face à une hiérarchie sociologique et ethnographique plus vaste qui contribue à influencer notre discours identitaire (Bucholtz et Hall, 2005). L’identité émerge du discours selon la ou les positions interactionnelles, les rôles, que les acteurs sociaux occupent de manière temporaire ou non. Bien que cette particularité ait un impact direct sur l’approche méthodologique à adopter, il n’en demeure pas moins qu’elle influence également la compréhension qu’on se fait du terme analysé. Ainsi, il ne s'agit pas de choisir une dimension d'identité sur les autres, mais de considérer de multiples facettes afin de parvenir à une compréhension plus complète du fonctionnement de l’identité et de l’identité en soi (Bucholtz et Hall, 2005).

18 « People tell others who they are, but even more importantly, they tell themselves and they try to act as

(31)

À la lumière de ce qui vient d’être énoncé, nous soutenons que l’identité, rendue tangible grâce au discours, est un ensemble de traits ou de caractéristiques, largement influencées par nos interactions et nos positions vis-à-vis de ces dernières, qui permettent de reconnaître une personne dans son individualité, son indexicalité et sa partialité.

3.4 Du concept d’identité vers l’identité d’apprenant

En didactique des langues, la question de l’identité et des langues est généralement abordée sous deux angles : « premièrement, du point de vue de la langue qui évolue et se transforme au gré des situations de communication dans lesquelles une personne participe. Deuxièmement, du point de vue de l’identité des sujets, souvent des identités plurielles comme celles des migrants, analysant les représentations que ceux-ci se font de leurs langues et des fonctions qu’ils leur attribuent » (Martinez, 2011, p. 135). Dans ces deux cas, on parlera d’identité linguistique où l’on considère la langue comme un marqueur d’identité. À l’instar de Martinez (2011), nous avons choisi de se focaliser sur une troisième perspective, celle de l’apprendre ou pour reprendre les termes de Carré (2005) de « l’apprenance » et de sa fonction identitaire. C’est dans l’acte d’appropriation des langues que l’apprenant se construit et qu’il se construit une identité plurilingue et pluriculturelle (Martinez, 2011).

À partir de là, nous convenons que l’apprentissage, en plus d’incarner une activité culturelle, contribue à développer ou influencer l’identité des élèves. En effet, l'appropriation des nouvelles connaissances a, en tout temps, une influence potentielle sur la perception que l'individu a de lui-même en tant que personne dans un contexte donné (Coll et Falsafi, 2010). Selon Lave et Wenger (1991), grâce à la participation dans les communautés de pratique et d’apprentissage, les individus apprennent non seulement les pratiques réelles, mais ils apprennent également à être membres de ces communautés. Le fait de devenir membres des communautés implique la construction d'identités de différents types, et en particulier l’identité d’apprenant. Par conséquent, l'apprentissage est le moyen de construire des identités et vice-versa ; les formes d'apprentissage façonnent les identités et les identités façonnent l'apprentissage (Coll et Falsafi, 2010). Pour cette raison, nous sommes d’avis que l'identité d'apprenant est l'identité de base dans toute situation éducative (Coll et Falsafi, 2010; Kolb et Kolb, 2009). Elle ferait ainsi la lumière sur la façon dont les

Références

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