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3 Cadre conceptuel

3.4 Du concept d’identité vers l’identité d’apprenant

En didactique des langues, la question de l’identité et des langues est généralement abordée sous deux angles : « premièrement, du point de vue de la langue qui évolue et se transforme au gré des situations de communication dans lesquelles une personne participe. Deuxièmement, du point de vue de l’identité des sujets, souvent des identités plurielles comme celles des migrants, analysant les représentations que ceux-ci se font de leurs langues et des fonctions qu’ils leur attribuent » (Martinez, 2011, p. 135). Dans ces deux cas, on parlera d’identité linguistique où l’on considère la langue comme un marqueur d’identité. À l’instar de Martinez (2011), nous avons choisi de se focaliser sur une troisième perspective, celle de l’apprendre ou pour reprendre les termes de Carré (2005) de « l’apprenance » et de sa fonction identitaire. C’est dans l’acte d’appropriation des langues que l’apprenant se construit et qu’il se construit une identité plurilingue et pluriculturelle (Martinez, 2011).

À partir de là, nous convenons que l’apprentissage, en plus d’incarner une activité culturelle, contribue à développer ou influencer l’identité des élèves. En effet, l'appropriation des nouvelles connaissances a, en tout temps, une influence potentielle sur la perception que l'individu a de lui-même en tant que personne dans un contexte donné (Coll et Falsafi, 2010). Selon Lave et Wenger (1991), grâce à la participation dans les communautés de pratique et d’apprentissage, les individus apprennent non seulement les pratiques réelles, mais ils apprennent également à être membres de ces communautés. Le fait de devenir membres des communautés implique la construction d'identités de différents types, et en particulier l’identité d’apprenant. Par conséquent, l'apprentissage est le moyen de construire des identités et vice-versa ; les formes d'apprentissage façonnent les identités et les identités façonnent l'apprentissage (Coll et Falsafi, 2010). Pour cette raison, nous sommes d’avis que l'identité d'apprenant est l'identité de base dans toute situation éducative (Coll et Falsafi, 2010; Kolb et Kolb, 2009). Elle ferait ainsi la lumière sur la façon dont les

élèves perçoivent leurs expériences éducatives et leurs résultats scolaires (Gee, Allen et Clinton, 2001; Sfard et Prusak, 2005).

Pour Carl Rogers et Paulo Freire, les apprenants sont ceux qui font confiance à leurs expériences personnelles directes et à leur capacité d'apprendre d'elles Leur objectif principal n'est pas la performance immédiate ou l'atteinte des objectifs, mais le processus continu d'apprentissage à partir de ces expériences. Au lieu de désirer un objectif fixe, ils préfèrent l'excitation d'être dans le processus continu qu’offre l’apprentissage (Charlot, 1997). Cette compréhension de l’identité d’apprenant fait grandement écho à une notion élaborée dans les années 60-70 dans le domaine de la psychanalyse (Lacan, 1969; Aulagnier et al., 1967) et de la sociologie (Charlot et Figeat, 1979; Lesne 1977), soit le « rapport au savoir ». Charlot et l’équipe ESCOL (2003), avec leur approche socioanthropologique, élaborent la notion de « rapport au savoir » qui permet, à notre avis, d’éclairer le mieux l’identité d’apprenant. Premièrement, elle permet, selon Bernard (2008), de poser la question du sens des apprentissages et de l’apprendre qui ne se retrouve pas dans les autres approches. C’est le cas, entre autres, lorsque Charlot (1997, p. 93) mentionne que « le rapport au savoir est l’ensemble organisé des relations qu’un sujet entretient avec tout ce qui relève de l’apprendre et du savoir » et que « c’est dans le rapport au savoir – à l’apprendre – que les apprenants semblent construire leur identité » (Charlot, 1997, p. 92). Deuxièmement, à la lumière du socioconstructivisme où la médiation (Lenoir, 1996) et l’activité (Leontiev, 1984) sont des composantes essentielles, Charlot (2003, p. 48) les prend en compte en écrivant que : « c’est le sujet qui apprend (nul ne peut le faire à sa place), mais il ne peut apprendre que par la médiation de l’autre (…) et en s’engageant dans une activité ». Troisièmement, l’approche socioanthropologique permet, selon Caillot (2014), d’introduire la différenciation, « là où la didactique avait trop tendance à considérer l’Élève avec un grand E ». On remarque en effet l’importance donnée à l’individu par Charlot (1997, p. 93) lorsqu’on lit : « Je continue toutefois à considérer qu’on peut parler du rapport au savoir d’un groupe […] à la condition (stricte) de ne pas commettre l’erreur de projeter ensuite les conclusions sur un sujet membre de ce groupe ». En outre, à l’instar de Charlot et de nombreux autres auteurs (Charlot, Bautier & Rochex, 1992; Falardeau et Simard, 2001 ; Buysse, 2012), qui envisagent la problématique du rapport au savoir avec les notions de rapport au monde, de rapport aux autres et de rapport à soi-même, nous

considérons que ces trois éléments devraient constituer le cœur d’une définition puisque notre étude porte sur le rapport au monde scolaire (l’école), le rapport aux autres acteurs scolaires (parents, enseignants, apprenants) et le rapport à soi-même en tant qu’apprenant, et l’impact de ses rapports sur l’élaboration d’une identité d’apprenant chez les élèves. Le rapport au savoir19 est donc l’ensemble (organisé) des relations qu’un sujet – ici l’apprenant en contexte scolaire – entretient avec tout ce qui relève de « l’apprendre » et du « savoir ». Le rapport au savoir (dans le contexte scolaire) est donc le rapport au monde scolaire (pédagogique, éducatif), aux autres acteurs scolaires (parent, enseignant, apprenant, etc.) et à soi-même en tant qu’apprenant et sujet confronté à la nécessité d’apprendre. Les apprenants, qui ne sont pas capables de créer un véritable rapport au savoir, ne se perçoivent pas comme apprenants au sens réel du terme – c’est-à-dire comme sujet de l’acte d’apprentissage. Ils restent des « élèves » dans un paradigme instructiviste (Martinez, 2011).

En ce sens, le rapport au savoir des apprenants favorise l’implication dans l’apprentissage et influence directement l’identité d’apprenant. Ainsi, les personnes ayant une identité d'apprentissage « se perçoivent [alors] comme des apprenants, cherchent et engagent des expériences de vie avec une attitude d'apprentissage et croient en leur capacité d'apprendre » (Kolb et Kolb, 2009, p. 1). Cette perception doit nécessairement émerger du

discours des individus-apprenants pour devenir tangible. Une identité d'apprenant se

développe au fil du temps en adoptant provisoirement une attitude d'apprentissage vers l'expérience de vie, vers une orientation d'apprentissage plus confiante, vers un moi d'apprentissage spécifique à certains contextes et finalement vers une auto-identité d'apprentissage qui imprègne profondément tous les aspects de la manière dont chaque individu vit sa vie. Elle est donc indexable, partiale et positionnelle. Finalement, cette

19 Par ailleurs, malgré un presque consensus autour de la conception socio-anthropologique du rapport au savoir dans le

domaine de l’éducation, il semble que certains auteurs discutent l’unicité du rapport au savoir. C’est le cas de Caillot qui considère qu’il n’y a pas un savoir unique ou un rapport unique aux savoirs ; qu’on devrait donc utiliser l’expression rapports aux savoirs. Nous n’abondons toutefois pas dans ce sens. Charlot n’ignore pas la pluralité des rapports et des savoirs puisqu’il décrit l’étude du rapport au savoir comme l’étude des rapports à des lieux, à des personnes, à des objets, à des contenues de pensées, etc. D’autant qu’il précise dans son ouvrage Du rapport au savoir (1997) que pour éviter toute ambigüité, il réserve l’expression rapports aux savoirs aux rapports aux savoirs-objets. Il ira même jusqu’à corriger une de ces propres définitions : « le rapport au savoir est une relation de sens… » (1992) pour « le rapport au savoir est un ensemble de relations de sens… » (1997, p. 93) afin d’éviter d’occulter la pluralité des rapports. Il est donc évident que la pluralité est bel et bien présente dans la compréhension de Charlot même si la marque du pluriel n’est pas utilisée dans l’expression.

progression de l’identité d’apprenant est relationnelle, tout comme l’est le rapport au savoir, puisqu’elle est soutenue et nourrit par des relations productrices de croissance, notamment les relations avec les pairs, les enseignants, les intervenants scolaires, la famille (Coll et Falsafi, 2010).