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7 Analyse

7.1 Waub

7.1.3 Le rapport à l’école et aux matières scolaires

Il s’agit ici de tenter de cerner le rapport qu’entretient l’élève avec le milieu scolaire et son degré d’implication dans les diverses matières enseignées.

7.1.3.1 Avant l’intervention

Lorsqu’on demande à Waub de nous dire les choses qu’il aime à l’école, ce sont exclusivement des éléments communs avec l’extérieur des murs de l’école qui ressortent : ses amis, faire du sport le midi, l’éducation physique, l’option hockey. Son école idéale aurait une patinoire, des espaces de relaxation, une classe d’informatique et un horaire allégé : « je mettrais juste de l’école en après-midi. Je mettrais des récréations entre chaque cours, comme au secondaire » (W1). Autant dire qu’elle aurait tout l’inverse de ce que son établissement scolaire de communauté propose actuellement. Et dans son monde idéal, il n’y aurait pas d’école du tout : « Tu trouves que c’est normal que j’aille à l’école même à moins 15 [degrés] ? Mon père, il veut que j’aille à l’école chaque jour. Il me dit tout le temps d’y aller. Parce qu’il veut que j’aille loin à l’école. Je ne sais pas pourquoi. Si je lâchais l’école, ça ne changerait rien » (W1).

La vie en communauté où les emplois sont très limités ne permet pas à Waub de voir les perspectives d’avenir qu’on associe fréquemment à l’école. De plus, l’école actuelle n’apporte pas les outils et les approches pédagogiques qu’un jeune Innu de 12 ans tel que Waub semble rechercher dans sa vie quotidienne. Ses apprentissages en mathématiques, en français ou en sciences ne le « récompensent » pas de manière concrète et les méthodes utilisées en classe le font sentir passif dans ses apprentissages, contrairement à un

entraînement de hockey ou à une sortie dans le bois. Ce dernier considère qu’il se rendrait

plus utile en n’allant pas à l’école, en endossant son rôle d’aîné de la famille, puisqu’il pourrait s’occuper de sa mère : « Elle est souvent malade. Elle aide beaucoup ma grand- mère. Je le sais qu’elle est souvent malade ma mère. J’y ferais à manger. Je m’occuperais de mon petit frère à sa place. Parce que mon père, il est loin. Il est parti d’ici ça fait longtemps » (W1). En ne concevant pas ce que l’école et les matières scolaires peuvent lui apporter concrètement, Waub n’est pas en mesure d’envisager l’école comme un lieu motivant et utile, ni même valorisant et important. Il est au cœur d’un conflit de valeurs où

ses parents, personnes très significatives pour lui, le poussent à aller à l’école (sans en connaître les raisons réelles) et son besoin de s’épanouir et de sentir sa présence essentielle sur Terre.

7.1.3.2 Après l’intervention

Après l’intervention, Waub a été suspendu de l’école en raison d’un écart de conduite en éducation physique. En réaction à sa suspension, il dit : « C’est pas grave, j’aurai pas besoin de venir à l’école. C’est ben mieux de même » (W2). Par contre, il se montre soulagé de ne manquer aucune activité de français liée à l’intervention de la recherche. Lorsqu’on demande pour une seconde fois à Waub de nous dire les choses qu’il aime à l’école, il nous mentionne qu’il aime les activités qui lui rappellent de bons souvenirs avec ses parents ou ses amis, qu’il aime lorsqu’on parle de sa culture, lorsque des gens viennent visiter sa classe, lorsque les classes se déroulent à l’extérieur des murs de l’école. Pour son école de rêve, il lance le souhait que toutes les écoles innues puissent avoir du français tel que proposé dans l’intervention : « Moi, je pense que tout le monde va aimer ça les cercles. Partout. Ben tous les Innus. Toutes les écoles innues devraient pouvoir avoir ça ! » (W2) Pour Waub, l’importance du lieu physique pour « faire l’école » est ressortie de manière significative suite à l’intervention : « Dans la tente…J’ai aimé ça pouvoir m’allonger pis être là pour faire l’école. On oubliait presqu’on était à l’école. Haha ! Je vais dire ça à la directrice : c’était le fun les cercles, ça nous faisait oublier l’école » (W2). Grâce à l’intervention, Waub mentionne que l’école peut également devenir un lieu où il apprend des choses sur sa communauté, sur ses amis, en plus du cursus de base : « L’école, c’est important parce que c’est là que tu apprends des choses obligatoires. Pis les cercles, comment dire, on dirait que j’ai une idée, on dirait que c’est encore plus important d’apprendre la vie des autres…pis nos affaires à nous autres » (W2).

Finalement, suite à l’intervention, Waub était à même d’exprimer que le français pouvait être une matière intéressante et plaisante. D’ailleurs, le fait que les CII ne lui rappelaient pas tout ce qu’il peut associer à un cours de français habituel semble en être la raison : « Dans le fond, toutes les cours qu’on faisait des cercles, c’était toute du français ? J’en

reviens pas, c’était ben trop l’fun pour être du français » (W2). Il était à même de dire, au terme de l’intervention, que le français pouvait lui permettre de se connaître davantage et de connaître davantage sa communauté de classe : « Avec mon père. À l’hiver. Ben cet hiver. On a été glisser. Pis la neige était mou, fait que ça comme creuser pis y’é tombé. On avait fait plein d’activités cette journée-là. J’aime ça être avec mon père, mais là je vis avec ma mère. Les ateliers, ils me faisaient penser à des affaires comme ça. Mais tsé, en plus on était supposé faire du français ! » (W2). Cette matière scolaire a donc trouvé chez Waub une utilité à court terme et aussi un aspect concret et agréable.

7.1.3.3 Évolution

Le rapport à l’école de Waub est celui qui semble avoir connu l’évolution la plus importante. Avant l’intervention, l’école n’offre rien de plus à ses yeux que ce que l’extérieur peut offrir, et Waub est incapable d’y nommer des éléments importants ou positifs. Il rêve même d’un monde sans écoles où il se sentirait libre et utile. Or, l’intervention a fait naître chez Waub une nouvelle impression positive à l’égard de l’école. Il est désormais en mesure de nommer des éléments uniques à l’intervention qu’on ne pourrait retrouver en dehors des murs de l’école. Des éléments qu’il a appréciés et qui ont rendu son école intéressante. À la suite de l’intervention, il reconnaît que l’école peut devenir un lieu de découverte de soi et des autres en plus d’un lieu où sa culture est présente et valorisée de manière concrète. Ironiquement, il est même capable d’envisager que certaines pratiques pédagogiques, comme celle proposée par les CII, offrent la possibilité d’oublier qu’à l’école, on est à l’école. En nous éloignant des terrains connus, des routines, de l’aspect traditionnel de l’enseignement et de ses redondances, nous avons du même coup éloigné la vision négative que Waub pouvait avoir de l’école. En disposant d’un lieu d’enseignement tout à fait différent de la salle de classe, comme ce fut le cas des CII donnés dans la tente innue, Waub a cessé de se sentir « obligé » d’apprendre en reconnaissant les lieux informels d’apprentissage qu’il affectionne. Il a donc fait le choix d’être et de rester actif dans ses apprentissages scolaires pour le plaisir, et non dans l’idée de réussir ses examens, et ce malgré les difficultés rencontrées. De plus, dans la tente, le décor de l’école a pris une tout autre dimension qui a permis à Waub d’oublier qu’il se trouvait bel et bien à l’école. Ce pas a semblé suffisant pour faire naître un intérêt ou une

curiosité vis-à-vis de celle-ci. Comme si l’idée même de se trouver entre les murs de l’école était suffisante pour faire taire son envie d’apprendre. En renouant avec la possibilité que l’école puisse être un lieu agréable qui nous ressemble, qui va au-delà d’un lieu physique, Waub a renoué du même coup avec l’idée que l’école a des objectifs importants : « L’école, c’est important parce que c’est là que tu apprends des choses » (W2). Ce qu’il n’aurait certainement pas osé exprimer avant l’intervention.