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Section 2. La revue de littérature

1. Santé mondiale

La notion de santé mondiale a fait l’objet de nombreuses définitions durant les deux dernières décennies. En 1998 l’Institute of Medicine des États Unis la définissait dans les termes suivants : “health problems, isues and concerns that transcend national boundaries, and may best be addressed by cooperatives actions” (IOM, 1997). À partir de l’an 2000, l’on observe le

développement de la santé mondiale dans les institutions académiques en Amérique du Nord (Mac Farlane, Jacobs et Kaaya, 2008) et plusieurs définitions de la santé mondiale apparaissent dans la littérature scientifique au cours de cette période. Pour Merson et al ( 2006 ) la notion de santé mondiale réfère à l'application des principes de santé publique aux enjeux de santé transcendant les frontières nationales (Walt et Buse, 2006). En 2008, Richard Skolnik et Kathryn Jacobsen proposent une autre définition, selon ces auteurs, l'étude de la santé mondiale renvoie à la prise en compte des problèmes de santé d'un point de vue global plutôt qu’au niveau de chaque pays. Aussi, le terme santé mondiale implique que les pays travaillent ensemble à la résolution des problèmes de santé (Skolnik, 2008). Dans son ouvrage “Introduction to global

health”, Kathryn Jacobsen considère que plusieurs auteurs utilisent le terme santé mondiale de

manière indifférenciée avec l’expression « santé internationale » tandis que d’autres l’utilisent pour désigner des enjeux de santé qui transcendent les frontières nationales (Jacobsen, 2008). On constate à travers l’évolution de la définition que les auteurs donnent à la santé mondiale, qu’il n’y a pas de consensus autour de ce que doivent être la santé mondiale, ses objectifs ou encore les moyens de les atteindre. Cependant, l’on reconnaît à travers ces différentes définitions la volonté de penser la santé dans une approche globale. En effet, on note chez ces auteurs que les préoccupations entourant la santé dans le monde sont de nature complexe, surpassant les frontières nationales et faisant appel à la coopération des États pour répondre à ces défis.

Ceci souligne l’importance de la santé mondiale pour les gouvernements, les organisations internationales publiques et privées ainsi que les programmes d’enseignement et de recherche des universités en particulier dans les pays développés (Merson, 2014; Neely et Nading, 2017). Cependant l’expansion de la notion a mis en lumière les enjeux de même que la nécessité d’une définition claire et consensuelle notamment pour l’identification des priorités et

l’élaboration de stratégies d’actions (Koplan et al., 2009). Considérant les différences observées parmi les auteurs dans sa définition, la nécessité d’une clarification conceptuelle ou encore le développement d’une vision commune se sont progressivement imposés (Campbell, Pleic et Connolly, 2012; Mac Farlane et al., 2008). Ainsi, pour Koplan et al ( 2009 ), en l’absence de consensus autour d’une définition il est difficile de développer des stratégies et d’identifier les priorités d’interventions tout comme les moyens à mettre à œuvre pour atteindre les objectifs de santé mondiale (Koplan et al., 2009). Considérant ces précisions, Koplan et ses collègues proposent la définition suivante :

“Global health is an area for study, research, and practice that places a priority on improving health and achieving equity in health for all people worldwide. Global health emphasizes transnational health issues, determinants, and solutions; involves many disciplines within and beyond the health sciences and promotes interdisciplinary collaboration; and is a synthesis of population-based prevention with individual-level clinical care.” (Koplan et al., 2009) 1.

Plus tard, la réalisation de l’équité en santé fera dire à Paula Braveman que cette définition a pour objectif de corriger les inégalités systématiques que l’on peut éviter et qui sont réputées injustes, particulièrement chez les populations les plus désavantagées au plan économique et social (Braveman, 2014). Ces inégalités peuvent résulter des politiques publiques dans lesquelles les besoins des groupes sociaux particuliers comme les réfugiés ou les personnes en situation de handicap ne sont pas pris en compte pour adresser les priorités de santé (Spini, 2017). Elles peuvent être aussi causées par des structures sociales favorisant le statu quo ou la

dégradation des indicateurs de santé maternelle et infantile chez des populations autochtones (Kirmayer et Brass, 2016).

Dans une démarche de clarification, Koplan et ses collègues justifient les principaux termes que l’on retrouve dans leur définition de la santé mondiale. Le terme « global » doit être compris au sens des préoccupations pour la santé qui concernent plusieurs pays ou encore qui sont influencées par des facteurs transnationaux comme les changements climatiques, l’urbanisation, l’éradication de certaines maladies ou épidémies (Koplan et al., 2009). En d’autres termes il renvoie à la portée mondiale des préoccupations de santé et n’est pas limité à leur localisation géographique (Koplan et al., 2009). Par ailleurs, Koplan et ses collègues précisent que le champ de la santé mondiale englobe un large éventuel de maladies et d’enjeux de santé notamment le VIH-sida, le paludisme, la tuberculose ou encore la lutte contre le tabagisme et la malnutrition (Koplan et al., 2009). Pour eux, le développement croissant des moyens de transport et de communication ou encore l’interdépendance économique des pays accélèrent les processus d’interconnexion qui influencent la santé dans le monde (Koplan et al., 2009). Leur définition de la santé mondiale traduit l’émergence de nouveaux modes d’intervention qui accordent la primauté au développement de partenariats ainsi qu’au renforcement mutuel des compétences et des savoirs entre les pays développés et les pays en développement (Koplan et al., 2009). Enfin le caractère interdisciplinaire de la santé mondiale s’explique par l’implication de professionnels issus de différentes disciplines comme les sciences sociales, le droit, l’économie, les sciences biomédicales et environnementales ou encore les politiques publiques (Koplan et al., 2009).

Mais pour d’autres auteurs dont Beaglehole et Bonita cette définition est trop large et présente des limites. Aussi considèrent-ils la santé mondiale comme une recherche

collaborative, transnationale et des actions pour la promotion de la santé pour tous (Beaglehole et Bonita, 2010). Pour ces auteurs, la santé mondiale implique des stratégies visant l’amélioration de la santé au plan individuel ou populationnel ainsi que des actions qui ne se limitent pas uniquement au domaine de la santé, mais incluent d’autres domaines comme le droit ou l’économie (Beaglehole et Bonita, 2010). Par ailleurs ils mettent l’emphase sur la nécessité de collaborer pour répondre aux principaux défis de santé dans le monde, et particulièrement ceux qui impliquent de multiples déterminants dans un environnement complexe. Quant à la dimension transnationale, elle est évoquée pour souligner que les préoccupations de santé mondiale se situent au-delà des frontières nationales même si ces manifestations se limitent à l’intérieur des pays. Pour Beaglehole et Bonita, l’importance de la recherche dans la définition de la santé mondiale souligne l’importance de se baser sur des évidences scientifiques pour le développement de politiques publiques visant l’amélioration de la santé.

Kayvan Bozorgmehr adresse également une critique à la définition de Koplan et ses collègues. Selon cet auteur, leurs arguments ne sont pas une réponse adéquate à la clarification du terme « global » que l’on retrouve dans la notion de « global health » (Bozorgmehr, 2010). Selon Bozorgmehr, cette définition présente trois principales limites et la première est en lien avec le terme « global ». Pour cet auteur, le terme global a un caractère imprécis car il suppose une référence quantitative pour identifier les pays, cette référence étant difficile à établir (Bozorgmehr, 2010). Cette prise de position souligne donc la nécessité de clarifier le point de référence au plan quantitatif au regard de l’expression « many countries » évoquée par Koplan et ses collègues. La seconde critique porte sur le lien entre le terme « global » et le caractère transnational des déterminants ou des solutions pour améliorer la santé. Aussi pour Bozorgmehr,

relier le terme global aux déterminants transnationaux de santé n'apporte pas suffisamment de clarification pour distinguer la santé mondiale de la santé internationale (Bozorgmehr, 2010). Pour l’auteur ce défaut de clarification conduirait à classer des initiatives transnationales comme des enjeux de santé mondiale (Bozorgmehr, 2010). Enfin la troisième critique concerne l’étendue des préoccupations de santé dans la définition de la santé mondiale. Ici, Bozorgmehr considère que les critères de définition du terme « scoop » dans la santé mondiale sont inappropriés car cet attribut dépend de critères subjectifs plutôt que d'objectifs (Bozorgmehr, 2010).

Au-delà d’une définition consensuelle, les auteurs qui ont proposé des définitions de la santé mondiale visaient notamment à distinguer la santé mondiale des disciplines comme la santé publique ou la santé internationale (Bozorgmehr, 2010). Cependant leurs efforts de clarification ont parfois suscité des critiques parmi des chercheurs en santé publique. Linda Fried et ses collègues du “Global Health Committee” de “l’Association of Schools of Public Health” considèrent par exemple que la santé mondiale et la santé publique sont indissociables. Pour ceux-ci, la santé mondiale et la santé publique constituent un domaine unique avec une longue tradition et des systèmes de recherche scientifiquement validés pour répondre aux besoins de santé et l’amélioration de la vie des populations vulnérables (Fried et al., 2010). Pour ces auteurs les efforts de clarification entre la santé mondiale et la santé publique contribuent à créer des tensions avec les stratégies de santé publique globale (Fried et al., 2010). Certains auteurs en santé internationale formulent des critiques similaires. Pour ceux-là, la santé mondiale relève originellement du champ de la santé internationale puisque la plupart des programmes académiques et des Institutions de recherche en particulier aux États unis sont issus de la transformation des programmes de santé internationale (Mac Farlane et al., 2008). De ce qui

précède, l’on peut considérer que l’objectif d’une définition consensuelle de la santé mondiale n’est finalement pas atteint. Au demeurant, il apparaît que la santé mondiale et la santé publique internationale présentent plusieurs points de convergence. C’est ce que montrent les résultats d’une revue de littérature systématique de Megan Clark et ses collègues ( 2016 ) notamment sur la justice sociale en santé, la prise en compte du contexte historique et culturel, des valeurs locales, le partage mutuel des expériences ou encore les collaborations et partenariats (Clark, Raffray, Hendricks et Gagnon, 2016). Des résultats similaires à propos des compétences communes entre la santé mondiale et la santé publique internationale ont été rapportés par Sawleshwarkar et Negin ( 2017 ) notamment en matière de partenariats et collaborations ainsi que des politiques de développement (Sawleshwarkar et Negin, 2017). Ces récents travaux semblent donc renforcer les appels pour la clarification de la définition et du rôle de la santé publique dans le contexte de la mondialisation (Jenkins, Lomazzi, Yeatman et Borisch, 2016) et par la même questionnent la pertinence de maintenir la distinction entre la santé mondiale et la santé publique internationale.