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CHAPITRE 5. L’ASYMÉTRIE DE POUVOIR DANS LES PARTENARIATS DE

3.1 Les défis du financement des partenariats

La faiblesse des ressources financières est une caractéristique de la recherche en santé dans plusieurs pays en développement (Gogognon, Hunt et Ridde, 2012; OMS, 2006b) et qui, conséquemment a des répercussions sur les possibilités de développer des partenariats.

Les données montrent des défis en lien avec la nature et les modalités du financement des partenariats. Pour les souligner, nous distinguerons les fonds d’origine locale et internationale employés dans la recherche.

3.1.1. Le financement local

Le financement « local » réfère ici aux ressources endogènes, la première ressource provient des chercheurs eux-mêmes, la seconde relève du gouvernement ivoirien et la troisième

relève des ONG locales. Pour plusieurs répondants, les fonds personnels constituent la seule source de financement disponible et ils renvoient à une portion du salaire :

« Si tu veux faire une étude, et que tu dois faire des examens, c’est à tes propres frais [...] Donc c’est toi qui dois payer de ta propre poche » [Entrevue#13].

Pour ces chercheurs, l’utilisation du salaire est due à l’absence des ressources publiques allouées à la recherche en santé :

« Pour trouver une structure en Côte d’Ivoire qui finance, c’est difficile. C’est vrai on nous dit de rédiger un projet de recherche, tu le rédiges, mais à qui le soumettre ? Il n’y a pas beaucoup de financiers ici ce qui fait que ces projets restent sur les tables ou dans les tiroirs et deviennent caducs »

[Entrevue #2].

Ces témoignages suggèrent que la responsabilité du financement repose sur les chercheurs. Mais cette pratique présente des risques susceptibles de fragiliser leur situation financière personnelle :

« En tant qu’individu, en tant qu’équipe qui avez pensé à un projet, c’est à vous de voir vos canaux de financement, c’est à vous de faire votre plaidoyer ; c’est à vous de trouver un particulier pour vous financer. Si vous n’avez pas eu la possibilité de faire ça, c’est sur fonds propres. D’aucuns vont plus loin prendre des crédits bancaires pour réaliser leurs projets, voilà la vie du chercheur » [Entrevue #17].

Cette pratique peut avoir des conséquences sur le renforcement des compétences des chercheurs ou le transfert de connaissances :

« Ça aurait été intéressant pour moi, de participer à la réalisation des techniques qui se faisaient [à l’étranger], parce qu’en tant qu’enseignant-chercheur, je suis appelé à transmettre. Mais aujourd’hui je ne peux pas appliquer cette technique, or il me faut me l’approprier pour pouvoir transmettre aux plus jeunes qui viennent. Pour moi c’est un problème auquel il faut penser parce qu’on ne va pas rester toujours dans les techniques un peu dépassées parce que nous sommes en Afrique »

[Entrevue #10].

Pour d’autres chercheurs, l’autofinancement a un impact sur les priorités de recherche et les oblige à initier des projets ayant un impact limité sur l’amélioration des pratiques :

« On est obligé de nous axer sur les petites questions de recherche […] C’est comme si cette recherche n’a pas d’impact sur l’activité hospitalière elle-même, c’est un caractère trop local donc c’est un peu difficile à diffuser. On est obligé de limiter un peu les aspects de la recherche pour ne pas que ça entame nos possibilités financières » [Entrevue #5].

D’autres témoignages rappellent que l’autofinancement limite la vulgarisation des découvertes scientifiques, cette situation constitue un frein à la reconnaissance du mérite des chercheurs et compromet leur visibilité internationale.

« On ne se fait pas connaître parce que nos travaux ne sont pas diffusés à large échelle et deuxièmement, il y a certains sujets sur lesquels on peut apporter des éclairages pour toute la communauté scientifique, mais malheureusement le manque de diffusion de nos données fait qu’on ne peut pas apporter ces contributions [...] Et puis pour nos institutions aussi ça pose un problème parce

que quand de l’extérieur on veut jeter un regard sur la productivité de nos institutions étant donné que les canaux de diffusion ne sont pas efficaces, évidemment, on sous-estime l’activité de recherche dans nos institutions et ça nous fragilise » [Entrevue #9].

Les chercheurs évoquent aussi des « primes de recherche » pour le financement de leurs travaux. Règlementairement, ces primes sont des mesures d’appui soulignant l’excellence des contributions scientifiques :

« la prime de recherche est allouée aux fonctionnaires, enseignants et chercheurs justifiants de travaux de recherche jugés pertinents par les autorités académiques » (RCI, 2016).

On peut souligner un paradoxe à cet égard : selon les chercheurs le gouvernement ne contribue pas au financement des recherches, mais octroie des primes aux plus méritants.

Au-delà de reconnaître le mérite scientifique, elle semble éloignée de cette finalité, des témoignages révélant qu’elle ne sanctionne pas nécessairement la réalisation d’une recherche.

« L’objectif, on l’appelle prime, c’est pour en fait encourager parce qu’elle ne sanctionne pas une recherche, ce n’est pas parce que tu as fait une recherche qu’on te la donne, ce n’est pas non plus pour que tu partes faire une recherche. Tu peux prendre la prime pour aller chez toi pour dormir » [Entrevue #18].

Ainsi, tous les chercheurs reçoivent la « prime de recherche », les montants annuels étant fixés en fonction des titres et grades (RCI, 2016). Certains jugent légitime le critère hiérarchique puisque leurs collègues ayant les plus hauts grades ont un rôle de moteur dans le développement de la recherche. D’autres portent un regard critique et recommandent des règles d’attribution strictes :

« Il y a une prime de recherche qui est versée, peu importe ce que vous produisez comme résultats. Je pense que c’est une aberration ; cette prime, il faut la rendre consistante, l’assujettir à la production d’un rapport » [Entrevue #9].

Durant les entrevues, certains chercheurs ont fait état du budget alloué par le gouvernement aux laboratoires de recherche de l’université. Toutefois, aucun ne le mentionne comme une source de financement et ils semblent avoir une connaissance approximative de ces conditions. Enfin les fonds alloués à la recherche par les ONG nationales constituent la troisième source de financement local. Les chercheurs en faisant cas estiment cette ressource basée sur la cooptation au sein du réseau académique :

« L’Université a été cooptée pour conduire cette étude. L’Université a contacté l’UFR de Sciences médicales, et ils ont cherché le responsable du département de santé publique, c’est ainsi que j’ai été coopté »

[Entrevue #3].

Ce système de cooptation suggère que le financement des ONG locales relève d’un processus discrétionnaire. L’on remarque que l’accès à ce financement ne s’inscrit pas toujours dans un processus ouvert et accessible à tous.

3.1.2. Le financement international

Selon les chercheurs, le financement international provient d’organismes occidentaux de financement de la recherche en santé, d’agences de coopération, d’ONG internationales ou d’organismes spécialisés des Nations Unies. Ces ressources occupent une place marginale, seulement quatre chercheurs les évoquent dans leurs partenariats :

« On a constaté que ces partenariats étaient établis par des Occidentaux qui avaient déjà mené des études ici avec certains chercheurs. Ils ont gardé de très

bonnes relations ; ils ont trouvé de bons résultats donc ils ont continué leur partenariat » [Entrevue #8].

Quelques répondants ont rapporté l’existence d’un fonds de recherche pour l’amélioration de la santé dans le cadre de la coopération entre la Côte d’Ivoire et la Suisse (CSRS). Cependant aucun participant n’a bénéficié de ces subventions dans ses travaux.