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Section 3. Contexte organisationnel et financement de la recherche dans les pays du Sud

1. Aperçu historique de la recherche en Afrique

Au moment de leur accession à l’indépendance au début des années 1960, les pays africains ont hérité des structures de recherche mises en place du temps des colonies (Waast, 2002). Dans leur étude sur l’état de la recherche en Afrique, Gaillard et Waast (1988) rappellent que c’est durant cette période qu’ont été créés des centres de recherche ainsi que des universités basées sur les modèles des anciennes puissances coloniales(Gaillard et Waast, 1988). Entre 1960 et 1970 ils observent une augmentation importante du nombre de diplômés et de chercheurs nationaux formés sur place ou dans les pays occidentaux et cette évolution témoigne de la prise de conscience des États africains de l’importance et du rôle de la science pour leur développement. Le financement de la recherche au cours de cette période enregistre une forte croissance, suggérant la volonté de ces pays de promouvoir le développement de la recherche scientifique. Au cours de ces deux décennies, ils observent également une implication croissante des anciennes puissances coloniales dans le financement de la recherche scientifique à travers l’octroi de bourses d’étude et de recherche.

Dans une autre étude portant sur la recherche en Afrique, Roland Waast (2002) évoque l’émergence d’une nouvelle génération de chercheurs et un nouveau mode de production

scientifique. Ainsi, selon Waast, la science est considérée dans les pays africains comme un bien public qui prend en compte les impératifs du pays. Dès lors, l’État en supporte l’essentiel du financement et les chercheurs ont le statut de fonctionnaires ayant droit à des carrières (Waast, 2002).

De 1960 à la fin des années 1970, les résultats des recherches scientifiques sont significatifs, notamment des publications reconnues au plan international, une augmentation de la population universitaire ainsi que du nombre de chercheurs (Gaillard et Waast, 1988). L’on note à cet égard une augmentation du nombre de diplômés ainsi que du taux de chercheurs nationaux au sein des universités et instituts de recherche qui s’exprime par l’expression « l’africanisation des postes de chercheurs et d’enseignants-chercheurs » (Khelfaoui, 2001a). Mais dès le début des années 1980, des préoccupations sont mises en lumière et en particulier des disparités observées dans le financement des domaines de recherche. En effet, les décideurs publics octroient une grande part des ressources financières à des domaines comme l’agronomie au détriment de la recherche en santé (CRDI, 2010). Par ailleurs, une part considérable du budget national de la recherche, pouvant aller jusqu’à 70% dans certains pays, dépend de l’aide financière étrangère (CRDI, 2010).

Les années 1980 marquent ainsi une inflexion dans le financement de la recherche scientifique par les pays africains notamment avec l’impact des crises économiques en Afrique ainsi que les plans d’ajustement structurel à l’initiative du Fonds Monétaire International et de la Banque Mondiale qui en ont résulté (CRDI, 2010). Dans les années 1990, plusieurs États ont réduit considérablement voire pour certains d’entre eux cessé tout financement de la recherche scientifique. Ces changements ont entrainé un désengagement des États se traduisant par

exemple à travers la dégradation des infrastructures d’enseignement et de recherche ou encore la dévalorisation du salaire des enseignants chercheurs (Traoré, 2004).

Dans la même étude, Waast observe que suite à ces bouleversements, le mode de production de la recherche s’est transformé. Aussi, considère-t-il désormais que la recherche scientifique en Afrique est réputée plus proche du développement, moins tournée vers la pédagogie avec un faible potentiel de publication (Waast, 2002). Enfin il vient à la conclusion que le désengagement de ces États africains a eu pour conséquence une baisse des contributions des chercheurs africains dans les publications scientifiques au plan mondial. Cependant poursuit-il, si la recherche a régressé dans ces pays, elle n’a pas totalement disparu. En effet, la recherche se déroule davantage dans un cadre privé contractuel et ses résultats ne sont pas toujours accessibles sous forme de publication scientifique.

Une décennie plus tard, alors que des évolutions dans les politiques de santé ont pu être observées dans les pays africains, des auteurs dont Wone et Dia (2012) rappellent que la recherche scientifique ne remplit toujours pas son rôle en particulier dans les politiques publiques de santé. Wone et Dia (2012) mentionnent trois défis qui caractérisent la recherche en santé en Afrique (Wone et Tal Dia, 2012).

Le premier défi est l’absence de vision stratégique globale et de synergie entre tous les acteurs de la recherche en santé. Pour ces auteurs, le défi de vision stratégique est particulièrement accentué dans les pays d’Afrique francophone. L’une des conséquences est la multiplication des initiatives pour répondre à des préoccupations communes. Le second défi selon ces auteurs est caractérisé par le fait que la recherche scientifique guide rarement les décisions politiques en matière de santé. Ils soulignent à cet égard le manque d’engagement pour la prise de décision basée sur les évidences scientifiques. Du point de vue de ces auteurs, cette situation résulte d’un

double constat : « les chercheurs jaloux de leur liberté envisagent rarement une collaboration avec les décideurs… » et les décideurs politiques quant à eux « ne se préoccupent pas de l’utilisation des résultats de la recherche dont les effets sont souvent à long terme » (Wone et Tal Dia, 2012) 3. Enfin le troisième défi est en lien avec la formation à la recherche. En effet, ces auteurs font le constat que durant leur formation les jeunes chercheurs ne bénéficient pas de plan de formation structurée à la recherche scientifique (Wone et Tal Dia, 2012). C’est le cas des cliniciens-chercheurs qui reçoivent une formation clinique approfondie tandis que peu d’entre eux ont accès à une formation adéquate en méthodologie de la recherche (Wone et Tal Dia, 2012).

D’autres travaux confirment ces défis. C’est notamment les études de Kirigia et ses collègues (2015) ou encore d’Aidam et Sombié (2016) qui rapportent la faiblesse des institutions de recherches, l’absence de stratégies claires de recherche au niveau national ainsi que le manque d’attractivité du métier de chercheur (Aidam et Sombié, 2016; Kirigia, Ota, Motari, Bataringaya et Mouhouelo, 2015).