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Des premiers textes concernant la médecine du IIIème millénaire avant notre ère à aujourd’hui, en passant par les luttes « empiriques » contre les épidémies (lèpre, peste...) de l'Antiquité au Moyen-âge, où une logique de prévention consistant à écarter les personnes porteuses (ou potentiellement porteuses) de maladie semblait majoritaire (Robert, 2003), la prise en compte de la santé dans le monde à considérablement évoluée. En France, la première grande loi de notre époque en santé publique a été votée en 1902 (Journal Officiel de la République Française, 1902). Elle insiste sur le rôle des communes dans la « protection » de la santé publique, en indiquant les démarches à suivre en cas de risque de contagion, mais aussi l’importance qu’il y a à assurer la salubrité des locaux.

Selon Fortin (2004), c'est vers le milieu du XXème siècle qu'on se rend compte que l'impact de la médecine sur les maladies infectieuses est faible comparé à celui des conditions économiques et sociales de vie des populations. Dès le début du XXIème siècle, l'intérêt porté aux habitudes de vie et à la complexité des facteurs concourant à l'apparition de la maladie va aller grandissant. L'OMS va formaliser deux nouveaux tournants. Le premier en 1946, où le concept de santé dépasse l'idée « d'absence de maladie ou de handicap » pour être pensé de manière positive et globale (World Health Organization, 1946). Le second autour des années 80, avec le concept de « Promotion de la Santé » (World Health Organization, 1978, 1986). Ce concept sera un peu plus détaillé dans les pages qui suivent, mais on peut cependant noter que ce tournant a consisté à donner une plus grande maîtrise aux individus sur leur propre santé et d'avantage de moyen pour l'améliorer. Mais c'est aussi l'idée de dépasser l'individu pour penser à l'échelle de la communauté, apporter une approche écologique de la santé en prenant en compte l'entourage physique et humain de l'individu.

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I - A) Différentes approches en santé

Dans la littérature, on peut trouver différentes manières de représenter les différentes approches de la santé. Par exemple, depuis quelques années, on observe une opposition entre la pathogenèse et la salutogenèse. Si la première, plus traditionnelle, est plutôt axée sur « comment éviter la mauvaise santé », la seconde s'appuie plutôt sur « comment être en bonne santé ». Pour certains auteurs, il devient nécessaire que les professionnels de la promotion de la santé s'écartent d'une vision orientée sur les facteurs de risques et qu'ils cherchent à adopter une vision plus axée sur les conditions qui conduisent au bien-être (Green & Tones, 2010, p. 11). Le concept de salutogenèse a été massivement développé par Antonovsky. L’auteur s’appuie notamment sur le modèle du SOC (Sense Of Coherence), qui s’articule autour de trois dimensions : la compréhension des évènements, la capacité de gestion des évènements, la signification des évènements (Eriksson & Lindström, 2008 ; Geulayov, Drory, Novikov, & Dankner, 2015 ; Griffiths, Ryan, & Foster, 2011). En se basant sur les travaux d’Antonovsky, Eriksson et Lindström (2008) ont proposé un modèle de « Health in the River of Life » (cf. Figure 2, p. 32) hiérarchisant les différentes actions en santé à destination des populations. L’idée proposée est de représenter la lutte contre la maladie dans une rivière. Le modèle curatif étant basé sur l’intervention de professionnels compétents uniquement – seul moyen de sauver l’individu de la noyade. Les modèles de prévention et de protection sont plutôt basés sur une limitation en amont des risques. Pour la protection, les individus sont passifs, alors qu’ils deviennent actifs dans la prévention. Dans le modèle de l’éducation pour la santé, les individus deviennent eux-mêmes acteurs de leur santé. Enfin, au niveau de la promotion de la santé, l’environnement dans lequel l’individu évolue est pris en compte. Les auteurs défendent l’idée selon laquelle une vision salutogénique peut-être appliquée à chacun des paliers de la rivière (Eriksson & Lindström, 2008).

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Figure 2 - Health in the River of Life (Eriksonn, M., & Lindström, B., 2008)

Renard et Deccache (Renard & Deccache, 2004) proposent une synthèse des principaux points qui opposent les concepts de pathogenèse et de salutogenèse (Tableau II ci-dessous) :

Tableau II - Pathogenèse vs Salutogenèse (adapté d'après Antonovsky par Gretler Bonanomi S., 1997, In Renard et Deccache, 2004)

Pathogenèse

(conception traditionnelle de la santé/de la maladie)

Salutogenèse

(conception de la santé/de la maladie selon Antonovsky)

Définition de santé/maladie Dichotomique : on est soit en bonne santé, soit malade Santé et maladie sont les deux extrêmes abstraits d’un continuum Focalisation sur Maladie - Patiente/patient - « cas » Tous les êtres humains et leur état de santé

Facteurs actifs Facteurs de risque (dommageables pour la santé) Ressources

Facteurs de stress Les facteurs de stress sont des facteurs de risque nuisibles pour la santé et donc pathogènes

Il est normal qu’il y ait des facteurs de stress ; potentiellement, ils ont des effets positifs et négatifs sur la santé : ils peuvent être salutogènes ou pathogènes

Traitement Le traitement consiste en une suite de « guerres » contre des maladies spécifiques

Le « traitement » implique une confrontation permanente entre les effets positifs et négatifs sur la santé

Il s'agit ici de présentations synthétiques et simplifiées de deux paradigmes théoriquement opposés. Cependant, dans la pratique, ils ne sont pas totalement antinomiques et peuvent se compléter. De plus, les frontières ne sont pas aussi marquées.

33 Eymard (2004) a proposé de traiter le concept de santé en fonction de trois conceptions : le modèle linéaire, le modèle global et le modèle d'un sujet autonome ouvert sur le monde. Nous ne considérons pas qu'un de ces modèles soit « mieux » que les autres et devrait être universellement reconnu et appliqué. Ces modèles coexistent, ont coexisté, et vont sûrement continuer à coexister. En effet,

« la conception des choses et donc ici de la santé, est pour partie liée au positionnement du sujet au monde et à ce qu'il vit au quotidien, mais aussi aux tendances sociales, économiques et politiques, aux phénomènes de mode et à l'évolution tant collective qu'individuelle du sujet » (Eymard, 2004, p. 16)

Ci-dessous, une présentation résumant les principales caractéristiques de ces trois modèles en fonction de la conception de la santé, de la place du sujet et de l'acceptation de la santé (Tableau III (Simar, 2010)).

Tableau III - Principales caractéristiques des modèles de santé selon Eymard (2004) (Simar, 2010)

Conception de la santé Place du sujet Acceptation de la santé

Modèle linéaire

Centré sur l’absence de maladie. La santé et la maladie s’opposent tel un axe sur lequel se trouveraient d’un côté

la santé et de l’autre la maladie puis la mort

La personne est considérée comme la somme de ses organes

La santé des personnes est liée aux progrès de la médecine et est entre les mains de spécialistes

Modèle global

Centré sur la personne. La santé et la maladie sont distinctes et la santé est subjective et dépend du ressenti de la personne, de son bien-être en référence à la définition de l’OMS (1946)

La personne est considérée comme actrice de sa santé, considérée comme un potentiel à protéger. Elle est en recherche d’un équilibre harmonieux entre la satisfaction de ses besoins et l’évolution de son

environnement

La santé des personnes est un idéal à atteindre (toujours en référence à la définition de l’OMS) où la vie est sacralisée au détriment du sujet humain, qui devient alors un objet à contrôler, à réguler, en même temps qu’on lui crée des besoins de santé pour une santé totale Modèle d’un sujet autonome ouvert sur le monde

Centré sur la personne. La santé est une ressource de la vie quotidienne, une construction singulière par la personne en fonction de sa propre histoire

La personne est considérée comme un sujet autonome qui construit ses propres normes de santé. Il n’est pas seulement acteur de sa santé, il devient aussi décideur

La santé des personnes repose sur une politique visant à réduire les inégalités et où il y a reconnaissance des savoirs expérientiels puisque le savoir n’est pas uniquement académique mais aussi issu de l’expérience au quotidien des personnes

Naidoo et Wills (Naidoo & Wills, 2009) quant à eux distinguent cinq approches de la santé. Une approche médicale ou préventive, basée sur la réduction de la morbidité et

34 de la mortalité prématurée ; une approche axée sur les comportements, qui cherche à encourager les individus à adopter des comportements sains ; une approche éducative, basée sur l'apport de savoirs et de connaissances et le développement de compétences afin que les individus puissent choisir leur mode de vie sain. Les auteurs ajoutent que ce qui distingue cette approche de l'approche basée sur les comportements est que l'approche éducative ne cherche pas à induire un type particulier de comportement « sain ». La 4ème approche est « l'empowerment », qui aide les individus à identifier leurs propres intérêts et à agir sur eux. Enfin, l'approche du changement social, qui accorde de l'importance à l'environnement socio-économique comme déterminant de santé. Ces différentes approches sont résumées dans le tableau ci-dessous (Tableau IV), en fonction de leurs objectifs principaux, des méthodes majeures qui y sont liées, et de l’évaluation mise en place.

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Tableau IV - Différentes approches de santé, d'après Naidoo et Wills (2009)

Approche Objectif Méthode Évaluation

Médicale ou préventive

Réduire la morbidité et la

mortalité prématurée. Approche axée sur les groupes à risques autour d'une thématique particulière.

Basée sur la réduction du taux de maladies et de la mortalité.

Axée sur les comportements

Encourager les individus à adopter des comportements sains.

Approche axée sur l'individu.

Majoritairement top-down et réalisée par un expert « qui sait comment améliorer la santé » et un public « qui a besoin d'éducation et de conseils ».

L'évaluation de cette approche n'est pas aussi simple que « si la personne change de comportement, c'est une réussite ». Il est difficile de prendre en compte les changements sur le long terme, et tout aussi compliqué d'attribuer « une réussite » à une action particulière.

Éducative

Apporter des savoirs et des connaissances et développer des compétences afin que les individus puissent choisir leur mode de vie sain. Cette approche se distingue de l'approche basée sur les comportements car elle ne cherche pas à induire un type particulier de comportement « sain ».

Approche qui agit sur l'individu à trois niveaux : la cognition (information et compréhension), l'affectif (attitudes et ressentis), le comportement (les compétences). Seule l'augmentation du savoir est facilement mesurable.

Empowerment

On distingue le self-

empowerment et l'empowerment

communautaire. Le self-

empowerment vise à ce que les

individus identifient leurs propres intérêts et à agissent sur eux. L’empowerment communautaire vise à permettre aux communautés d’augmenter leur contrôle sur leurs vies.

Approche axée sur l'individu. Beaucoup de professionnels de la santé, de l'éducation et du social utilisent des stratégies

d'empowerment.

Là aussi, l'évaluation est difficile du fait de la longueur des processus

d'empowerment. De plus, des

résultats positifs d'une telle approche peuvent être larges et difficiles à spécifier. Changement social Accorder de l'importance à l'environnement socio- économique comme déterminant de santé. Cette approche est axée sur l'échelle politique ou environnementale, et le but est d'apporter des

changements dans les environnements physique, social et économique. Cette approche pourrait se résumer ainsi : « faire du meilleur choix le choix le plus simple ».

Approche axée sur l'échelle politique ou

environnementale. Il s'agit généralement d'une méthode top-down. Il est assez difficile d'adopter ce modèle pour les acteurs de promotion de la santé, les compétences demandées n'étant pas (ou peu) incluses dans les formations. On notera cependant que certains corps de métiers réussissent à mobiliser les acteurs dans une logique de changement social.

L'évaluation de ce modèle porte sur des changements législatifs, organisationnels, ou de régulations (lobby, etc.).

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I - B) Qu’est-ce que la santé ?

Les approches de la santé vont dépendre massivement de la façon dont ce concept va être défini. En effet, la définition que l’on va donner à la santé va en déterminer les enjeux et orienter les pratiques qui y sont liées (Institut national de la santé et de la recherche médicale, 2001). Si on se concentre sur une approche biophysiologique, les mesures seront objectives (ou objectivées), et ce sera surtout le travail de professionnels du monde médical (Institut national de la santé et de la recherche médicale, 2001). En revanche :

« Lorsque la santé est perçue à la fois comme un état et comme une dynamique, une « capacité à ... », elle s'évalue aussi en termes de pouvoir de mobilisation, de capacité d'action et d'interaction avec autrui, de prise de conscience... Dans ce cas, l'action de santé ne se limite pas à la gestion ou l'apprentissage des risques de maladie ou d'accidents et des dangers, des comportements protecteurs ou préventifs. Elle s'étend à d'autres éléments comme les interactions sociales, le bien-être, le rôle et le pouvoir sur sa propre santé, la conscience des déterminants de la santé, la réflexion sur la place et la priorité de la santé dans la vie... L'action de santé devient alors le rôle conjoint des professionnels de la santé et des éducateurs. » (Institut national de la santé et de la recherche médicale, 2001, p. 16)

Nous n’allons pas faire de revue des différentes définitions qui sont proposées par les différents scientifiques. Nous en citerons simplement quelques unes qui nous semblent intéressantes pour la suite de nos propos. La définition la plus communément admise de la santé est celle présentée par l’OMS en 1946 :

« La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité ». (World Health Organization, 1946)

Cette définition a surtout pour volonté d’élargir la santé à un concept qui n’est pas uniquement médical, et qui se centre sur le bien-être de l’individu. Mais elle est critiquée, notamment du fait de l’absolu du mot « complet » (à priori, personne ne peut dans ce cas se considérer en bonne santé), qui implique aussi les personnes avec des handicaps ou des maladies chroniques comme n’ayant jamais la possibilité d’être en bonne santé (Huber et al., 2011).

37 La charte d’Ottawa (1986) précise cette définition et assume pleinement acception positive du concept de santé. De plus, la santé n’est plus considérée comme un état, mais comme une ressource de la vie quotidienne.

« La santé est donc perçue comme une ressource de la vie quotidienne, et non comme le but de la vie ; c'est un concept positif mettant l'accent sur les ressources sociales et personnelles, et sur les capacités physiques. » (World Health Organization, 1986)

La santé est considérée comme un droit de l’Homme. Ainsi, les conditions et les ressources nécessaires à la santé sont listées dans la charte :

« se loger,

accéder à l’éducation, se nourrir convenablement, disposer d’un certain revenu, bénéficier d’un écosystème stable,

compter sur un apport durable de ressources ;

avoir droit à la justice sociale et à un traitement équitable » (World Health Organization, 1986)

Downie, Tannahill et Tannahill (Downie et al., 1996) proposent un modèle qui fait intervenir plusieurs de ces différents concepts dans leur définition de la santé (cf. Figure 3, p. 38). En effet, ils considèrent la santé comme un continuum, allant du « négatif » (maladie…) au « positif » (bien-être…). Les éléments relatifs aux dimensions physique, sociale et mentale naviguent entre ces deux extrêmes.

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Figure 3 – Modèle de santé, adaptation Downie et al., 1996, p.24

En résumé, nous pouvons distinguer des approches de la santé qui oscillent entre la santé comme un objet pris en charge par un expert et dont l’individu n’est pas réellement concerné et un objet qui est avant tout du ressort de l’individu au sein d’un environnement. La santé n’est alors pas subie, mais construite. Il s’agit donc de promouvoir la santé des populations et des individus. La promotion de la santé est un concept aujourd’hui reconnu et répandu, que nous allons développer dans la partie qui suit.